Giletjaunisation contre la loi sécurité globale ? Pas si vite en besogne…
Le succès de la manifestation de samedi matin à Montpellier contre la loi « sécurité globale » souligne rudement l’exercice des pleins pouvoirs para-dictatoriaux contre la manifestation de l’après-midi. Comment reconstruire un rapports de force ?
La protestation de rue, celle d’une gauche des combats – pas celle, façon Manuel Valls, qui s’est installée en mairie de Montpellier pour relayer la surenchère sécuritaire et la stigmatisation des populations non conformes – a relevé la tête samedi matin. Dans les colonnes du Poing, on a relaté l’affluence en nombre, la jeunesse dans les rangs, le succès des mots d’ordre anti-autoritaires radicaux, la joie des retrouvailles, la rencontre des inconnus par centaines, l’improvisation et l’effervescence, la prise du flambeau des soulèvements des deux années passées, en présence d’un bon nombre de leurs participants d’alors, gilets jaunes.

Et pour tout ça, on a titré : « A Montpellier, giletjaunisation de la bataille contre la loi Sécurité ». On a titré cela, dans le mouvement immédiat, un rien euphorique, de se mettre à rédiger l’article, juste en quittant la place de la Préfecture à 13 heures. Sauf… Sauf que pendant que se rédigeaient ces lignes, un autre journaliste du Poing devait constater, à peine une heure plus tard, à deux-cent cinquante mètres de là, l’écrasement dans l’œuf de la moindre tentative de regroupement pour le rassemblement de l’après-midi.
Non déclaré, à l’inverse de celui de la matinée, sans organisation appelante, à l’inverse du fort collectif de plus de vingt entités impliqué le matin, ce second rassemblement entendait marquer le deuxième anniversaire du mouvement des gilets jaunes. Non encadré, on pouvait le considérer plus proche de l’effervescence insurgée de ce mouvement. À prendre le pouls du cortège du matin, on pouvait s’attendre à ce que pareille effervescence, qui déjà s’y manifestait dans l’humeur, déboule, au moins pour quelques centaines de manifestants, sur la Comédie à 14 heures.
Le Préfet ne s’y est pas trompé. Dans son arrêté d’interdiction, il désigne explicitement ce rassemblement comme celui des gilets jaunes. Il en décrit les méfaits supposément constatés, apparemment dantesques. Il prononce une interdiction générale et absolue, de principe : tout rassemblement de ce type ne peut qu’être interdit. En découle un déploiement effarant de forces de l’ordre sur le terrain, sans même qu’il se soit produit le moindre incident. On se sentirait en Chine. En Russie. Écœurées, abattues, les velléités manifestantes ne peuvent que s’évaporer devant ce rapport de force.

Peut-on alors parler de giletjaunisation, sinon avortée, quand c’est le Préfet qui décide de qui a le droit de manifester, où et quand, et de quelle manière, sans qu’un rapport de force d’autonomie minimum ne parvienne à le contredire ? Si méritant soit-il pour sa ténacité, on ne peut considérer que le rendez-vous ritualisé plus tard dans l’après-midi au Prés d’Arènes, dûment déclaré, incarne ce rapports de force, en fait brisé.
Le défi est redoutable. Tout doit être envisagé. Réexaminé. Réinventé. Réitérer, très publiquement, des appels à rassemblement à l’endroit le plus en vue de la ville, quand rien ne permet d’y engager le moindre rapport de force, n’a-t-il pas quelque chose de désespéré ? En tout cas désespérant. N’y a-t-il pas d’autres lieux, d’autres formes, d’autres mobilités, d’autres tactiques, d’autres surprises, à explorer ? C’est plus facile à écrire qu’à forger. Mais comment se résoudre à laisser le Pouvoir enfermer là où ça l’arrange, la puissance combattive observée à midi dans le même lieu où, deux heures plus tard, il n’y a plus d’yeux que pour pleurer, sans même qu’il y ait besoin de lacrymos.

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