Violence des luttes et luttes contre la violence
« Voyez ces casseurs, voyez ces nihilistes détruisant pour le plaisir ». Pour l’État, la contestation qui s’exprime par la violence doit obligatoirement demeurer dans la sphère de l’impolitique. C’est pourquoi le gouvernement et ses relais médiatiques évoquent toujours de façon indifférenciée les « casseurs », prenant ainsi la précaution de ne jamais évoquer les raisons politiques de tels agissements. Jamais il n’est expliqué que certains anarchistes s’attaquent à des cibles identifiées (les banques notamment) avec un objectif politique bien précis. Ce serait reconnaître que la dissidence fonctionne selon un système de valeur concurrent et donc potentiellement dangereux. Pour l’État, le violent ne peut avoir de morale ni de projet politique. Lui seul dispose d’un socle axiologique (souvent le respect de « l’ordre public républicain ») autorisant l’emploi de la violence. Toute autre forme de violence doit absolument être diabolisée afin que le contraste en ressortant puisse justifier l’usage de la violence par le Léviathan. Mais tout cela est bien connu et se trouve chez Max Weber. « De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. […] Il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine, qui, dans les limites d’un territoire déterminé […] revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime[1]. »
Un monopole de la violence tout court
Chez Weber, l’État pense lui-même son monopole de la violence comme légitime mais cette légitimité émane avant tout des administrés. Mais lorsque la fiction juridique du contrat social s’effondre, lorsque la puissance publique est contestée dans ses fondements même, lorsqu’une partie conséquente de la population n’accepte plus le truchement de la représentativité étatique, la violence étatique passe de l’orbite de la légitimité à celle de l’arbitraire le plus inique. Dans ces conditions, l’État n’a plus qu’un monopole de la violence tout court. Un monopole qu’il conserve en l’exerçant, c’est-à-dire en étant toujours plus violent.
Dans un monde globalisé où l’économique supplante progressivement le politique, les États se transforment en police des puissances économiques. Le projet de barrage de Sivens en est un des multiples exemples probants. Lorsqu’une résistance populaire s’organise pour faire échec à un projet jugé contraire au Bien commun, l’État bourgeois n’hésite pas – afin de sauver l’apparence d’un non-viol de ses sacro-saints Droits de l’Homme – à recourir à des milices proto-fascistes selon l’adage bien connu « le fascisme est le dernier allié du capitalisme ». Cette assertion s’est encore vérifiée à Sivens lorsque la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, sous la direction de l’homme d’affaire aux multiples casquettes Xavier Belin[2], fut à l’origine de la formation de milices composées d’agriculteurs et de militants FN, afin de déloger manu militari les zadistes du site du Testet.
La question du changement violent est posée par l’État
Ça se sent – au diable les analyses rationelles prospectives – les choses vont changer. Comment et vers où, on ne sait pas. Mais un flux de désuétude et de rage féconde nous traverse. La question de savoir si ce changement sera violent ou non ne nous appartient pas, il appartient à l’État. Ce sera à lui de choisir s’il fait couler le sang. Là – et seulement là – se posera la question de notre riposte. Car si la violence est un moyen, elle n’est jamais déclenchée que par la puissance publique, luttant bien souvent jusqu’au dernier souffle pour défendre les privilèges de ses maîtres.
Laissons le monopole de la violence à l’État
Dans ces circonstances, laissons à la vieille structure étatique déclinante le monopole de la violence. Arborons plutôt la non-violence[3] puisque de toute façon « le groupe qui possède le pouvoir politique aura toujours le dessus sur les révolutionnaires lorsque arrive le moment de la justification de la violence »[4]. Mais attention, la non-violence doit être entendue comme technique de lutte active (écriture, actions symboliques, occupation de sites, piratage etc.) et non pas comme une inaction larvée. Bien entendu, la non-violence n’est pas un absolu et la recherche systématique de la voie pacifique ne doit pas muter en abolition du réalisme vers lequel tend trop souvent l’angélisme pacifiste.
R.
[1] Cité par Xavier Beckaert, « La pensée anarchiste et la non-violence », en accès libre ici.
[2] Sur ce triste personnage, v. Barnabé Binctin et Laure Chanon, « Xavier Beulin, l’homme aux mille bras. », en accès libre ici.
[3] V. Xavier Beckaert, « Anarchisme et non-violence », en accès libre ici.
[4] V. idem.
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