Le Venezuela pris dans la marée noire
Le Venezuela est actuellement en proie à de violentes manifestations. Les élections législatives à venir n’y sont certainement pas pour rien. Les pénuries et l’inflation créent un climat tendu sur lequel surfent les pyromanes de l’opposition. Washington rajoute de l’huile sur le feu : « Nous sommes très inquiets des efforts du gouvernement vénézuélien visant à intensifier l’intimidation de ses opposants politiques » a d’ailleurs déclaré la Maison Blanche. Du Monde au New York Times, le constat est sans appel : le pays basculerait irrémédiablement vers la dictature et témoignerait de l’échec cinglant du socialisme(1). Accorder un peu d’attention aux causes de la situation actuelle oblige cependant à nuancer ce constat.
Un radeau socialiste dans l’océan mondialisation
Comme d’autres pays avant lui, le Venezuela se trouve confronté à la difficulté de mettre en place un système économique socialiste dans un monde libéral, qui plus est en Amérique latine, laboratoire du néo-libéralisme sauvage dans les années 1980-1990. À son arrivée au pouvoir en 1999, Hugo Chavez hérite d’un pays doté d’une très faible capacité industrielle, fortement dépendant de l’extérieur pour la production de biens et dont le principal atout est son pétrole. La seule option qui s’offre à lui est de nationaliser la rente pétrolière – qui profitait jusqu’alors à des sociétés privées – pour financer son programme social. Les résultats sont spectaculaires : la proportion de pauvres chute de 48,6% en 2002 à 27,8% en 2013(2) faisant du Venezuela le pays le moins inégalitaire d’Amérique latine(3). Choisir d’investir dans le social plutôt que dans l’industrie fut salvateur pour de nombreux vénézuéliens mais a eu pour conséquence de maintenir une dépendance très forte au marché mondial. Le pays importe en effet 70% des biens qu’il consomme(4), financés par les dollars provenant des exportations d’or noir. Outre le difficile contrôle des taux de change entre le bolivar (devise nationale) et le dollar qui favorise la spéculation, le pays est confronté aux tempêtes sévissant sur le marché des énergies et à l’agressivité des concurrents. La vertigineuse chute des prix du pétrole depuis l’été 2014 (voir encadré) entraine mécaniquement une diminution des ressources de l’État et de sa capacité à importer. Ainsi, les pénuries s’aggravent et l’inflation explose, entrainant de fortes tensions sociales.
Une opposition prête à tout
Les difficultés énoncées ci-dessus font office de baril de poudre et les candidats pour y mettre le feu sont nombreux. L’oligarchie vénézuélienne a très mal vécu l’élection d’Hugo Chavez à la tête du pays en 1998. Elle use depuis de tous les moyens pour tenter de reprendre le pouvoir. En 2002, un coup d’État échoue de justesse grâce au soutien populaire dont bénéficie le président(5). En 2003, le patronat tente de paralyser l’économie afin de plonger le pays dans le chaos, recyclant au passage un vieux stratagème utilisé par les milieux d’affaires chiliens au début des années 1970 pour préparer le coup d’État du général Pinochet. Depuis la mort de Chavez en 2013, son successeur, Nicolás Maduro fait face à une intensification des tentatives de déstabilisation. Certains membres de l’opposition se sont d’ailleurs désolidarisés de cette frange radicale, notamment Henrique Capriles, ancien candidat à la présidentielle. En mars dernier, une succession de manifestations violentes, manipulées par la droite ultra-conservatrice, a fait 43 morts et 878 blessés(6). Le 12 février dernier, le président annonce avoir échappé de justesse à un nouveau coup d’État. Pas un mot dans les grands médias internationaux qui occultent sans cesse le caractère ultra-violent de l’opposition, lui déroulant par là même le tapis rouge pour recommencer. La manière dont a été traitée l’arrestation d’Antonio Ledezma, maire de Caracas soupçonné d’être à l’origine de la dernière tentative de coup d’État, est symptomatique. L’homme est présenté par Le Monde comme une victime supplémentaire de « l’escalade répressive au Venezuela », peu importe son passé trouble et les innombrables plaintes dont il a fait l’objet(7), pour de sordides affaires de meurtre notamment, dont il n’est fait aucune mention.
Le radeau bolivarien est donc assailli de toute part, à bâbords par le marché, à tribord par une oligarchie qui attise les tensions afin de récupérer le pouvoir. Ce scénario se répète inlassablement depuis 1998. Malgré ce climat, de grandes avancées sociales ont été possibles. La question centrale aujourd’hui est de savoir si le Venezuela parviendra à se sevrer de cette dépendance au pétrole, antérieure à l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez, pour inventer un modèle économique compatible avec les idéaux de la révolution bolivarienne.
Mario Bilella
(1) Attention, ne pas confondre avec ce que le PS entend par « socialisme ».
(2) Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) de l’ONU.
(3) Olivier Dabène, La Gauche en Amérique latine, 1998-2012, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) « Académique », 2012.
(4) Gregory Wilpert, « Le Venezuela se noie dans son pétrole », Le Monde diplomatique, novembre 2013.
(5) Voir à ce sujet The Revolution Will Not Be Televised de Kim Bartley et Donnacha O’Briain.
(6) « La tentative de coup d’État au Venezuela », Mémoire des luttes.
(7) « Venezuela : Qui est Antonio Ledezma ? », Blog de Pizzicalaluna, Mediapart.
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