Insultes racistes et homophobes, tabassages : récit de l’expulsion manu militari du campus de Bordeaux Victoire
Des étudiants du campus Victoire de l’université de Bordeaux se sont violemment fait expulser hier soir par la police d’un amphi occupé dans le cadre de la mobilisation contre le plan étudiants. Insultes racistes et homophobes, tabassages à coups de poing : le Poing vous livre le témoignage accablant d’un étudiant en sociologie présent au moment de l’évacuation.
« Revenez ici bande de gros pd »
« Hier matin, plusieurs dizaines d’étudiants ont commencé à bloquer le campus de l’université, conformément à la décision prise lors de l’assemblée générale (AG) de vendredi dernier, mais on s’est fait contrôler et fouiller par la police dès notre arrivée. Ensuite, des policiers nous ont pris en chasse en voiture, en accélérant derrière nous pour nous mettre la pression. Certains d’entre eux nous ont tenus en joug avec leurs LBD 40 [version “moderne” du flashball] au niveau de la tête, le doigt posé sur la gâchette. On a dû courir pour les semer. Ils nous ont lancé des insultes à caractère homophobe : “revenez ici bande de gros PD”, “on va vous choper bande de tarlouzes”. On n’a pas pu bloquer la faculté comme prévu, mais dès que la faculté a ouvert ses portes, on a occupé l’amphi Gintrac pour y tenir une AG, et on a voté l’occupation illimitée de cet amphi, pour informer les étudiants sur les conséquences du plan étudiants et avoir un espace pour organiser la lutte. Il y a eu un cours ouvert à tous dans l’après-midi, vers 17h30, qui s’est très bien passé, mais à 20 minutes de la fin du cours, une porte a été déboulonnée par la sécurité, ce qui était clairement une menace.
« Sale nègre »
On était une cinquantaine à pouvoir et vouloir dormir dans l’amphi alors on s’y est barricadés et vers 20h30, les policiers sont intervenus. Ils ont mis un certain temps pour enlever les barricades et on en a profité pour faire une chaine humaine avec nos bras. Une vingtaine de CRS ont débarqué cagoulés, casqués, avec des boucliers, et il y avait aussi la BAC [brigade anti-criminelle] en appui. Ils ont commencé à tirer sur nos bras pour nous dégager, en sachant que l’amphi est dangereux puisque les marches sont très hautes, mais ça ne marchait pas puisqu’on était attachés les uns aux autres. Ils ont alors commencé à nous matraquer sur les doigts, puis dans le ventre, et à coups de poing, avec leurs gants renforcés. Ils nous ont sortis tout un tas d’insultes sexistes, homophobes et racistes : “sale nègne”, “sale bougnoule”. Il y a eu beaucoup de blessés, certains ont juste les doigts gonflés avec des hématomes, comme moi, quelqu’un d’autre a une côte fêlée et un autre le visage tuméfié.
« Il a passé la nuit aux urgences »
Un camarade étudiant s’est fait défoncer à coups de poing dans le visage, il avait la mâchoire en sang, et il s’est fait trainer par les policiers jusqu’au fourgon alors qu’il était inconscient. Il a passé la nuit aux urgences avant de rentrer en cellule de garde à vue ce matin. Il est sorti aujourd’hui en fin d’après-midi et est ressorti avec une convocation pour violence sur personne dépositaire de l’autorité publique. Les policiers n’ont pas le droit d’intervenir dans le campus d’une université sans l’autorisation du président d’université, donc il est clairement complice de cette intervention. Aujourd’hui, l’administration de l’université a fermé le campus pour “raisons de sécurité”. On s’est réunis à une centaine de personnes ce matin pour informer les gens sur cette expulsion violente, puis on a rejoint l’AG de l’université Bordeaux Montaigne, à laquelle plusieurs centaines de personnes ont participé. On a décidé d’occuper l’amphi Montaigne de cette faculté et nous, au campus Bordeaux Victoire, on a décidé de refaire une AG dès que le campus sera rouvert pour décider des suites à donner au mouvement. »
Les personnels de la faculté de Bordeaux ont publié un communiqué ce mercredi 7 mars à 11h30 sur l’expulsion :
Nous, membres et personnels de la Faculté de sociologie de Bordeaux, avons été témoins de l’intervention de la police mardi 6 mars à 20h et condamnons la violence tant verbale que physique de cette agression. Nous estimons que l’envoi des forces de l’ordre était inapproprié et disproportionné au regard de la nature du mouvement et de la volonté de dialogue des étudiant.e.s. Par ailleurs, nous constatons que les dégradations évoquées pour justifier l’intervention n’ont pas eu lieu. Il est inacceptable que l’intervention policière ait donné lieu à des blessures physiques (deux hospitalisations) et psychologiques, et que la police ait proféré des injures à caractère raciste, sexiste et homophobe à l’encontre des étudiant.e.s. Aujourd’hui mercredi 7 mars, le site universitaire de la Victoire est fermé par décision de la présidence. Nous demandons la réouverture du site dès demain afin que les activités d’enseignement et de recherche puissent se dérouler normalement. Nous demandons que l’Université établisse les conditions du débat critique par et avec les étudiant.e.s.
Joëlle Perroton, Delphine Thivet, Alina Surubaru, Agnès Villechaise, Béatrice Jacques, Kenza Afsahi ,Eric Macé, Brigitte Pailley, Jérémy Bernard, Morgan Lans, Marine Delaunay, Amélie Petit, Glenn Mainguy, Adrien Ostolski, Maud Aigle, Claire Schiff, Thierry Oblet, Nicolas Charles, Thibault Bossy, Joël Zaffran, Pascal Ragouet, Jeanne Gautier-Bouillaud, Olivier Cousin, Ronan Hervouet, Emmanuel Langlois, Razmig Keucheyan
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