Le catalanisme politique et l’anarcho-syndicalisme

22 septembre 2019

Il existe deux formes de républicanisme. Le républicanisme réactionnaire, et le républicanisme démocratisant et fraternel.

Le républicanisme réactionnaire, de tradition latine, en vigueur en France, institue un droit civil abstrait qui ignore les conditions matérielles d’existence du citoyen. Il s’agit de soutenir une forme théorique de l’égalité, sans remettre en cause en cause les classes sociales dominantes.

Il existe aussi le républicanisme démocratisant et fraternel, celui de Périclès, Jefferson ou Robespierre. Celui-ci développe une pensée sur l’égalité qui passe inévitablement par la redistribution des terres et la prise en compte des conditions matérielles de l’individu. Selon ce républicanisme, la liberté n’est possible qu’à travers la redistribution des richesses.

On a souvent confondu républicanisme et libéralisme. Cependant, ce sont deux concepts bien différents. Le républicanisme existe depuis deux mille ans, tandis que le libéralisme n’a pas plus de deux siècles d’histoire. On les a confondu car le libéralisme s’est inscrit dans le républicanisme réactionnaire. L’idéologie capitalisme s’est très bien accoutumé du républicanisme réactionnaire, car il salarie tout individu et garantir l’accumulation du capital et le droit à la propriété, de fait réservé aux bourgeois.

À partir des années 1920 et 1930, en Catalogne, le républicanisme démocratisant a eu une expression matérielle très importante. Celui-ci a promu la participation des classes populaires dans sa propre organisation, à tous les niveaux. Le républicanisme catalan s’est traduit par la création de clubs, sociétés et coopératives où l’on lisait, débattait et réfléchissait autour des ouvrages classiques et des auteurs catalans comme Pi i Maragall ou Valentí Almirall. Dans ces clubs, on formait les ouvriers qui acquéraient alors une culture politique et syndicale.

Le prolétariat catalan s’est structuré, à partir des années 1920, sous une forme anarcho-syndicaliste. Cette façon de s’organiser était plus proche du républicanisme démocratique que du syndicalisme étatiste. L’idée, c’est que le secteur ouvrier choisisse des structures d’auto-organisation de caractère assembléiste, loin des méthodes autoritaires et bureaucratiques des communistes. On ne peut pas comprendre cette évolution de la lutte ouvrière catalane sans la mettre en lien avec le républicanisme qui était présent dans la pensée politique du début du XXe siècle en Catalogne. C’est un fait historique que beaucoup de prolétaires inscrits à la CNT (Confederació Nacional del Treball – centrale syndicale d’idéologie anarcho-syndicaliste) ont voté Esquerra Republicana de Catalunya (parti politique catalan républicain encore existant).

Ce républicanisme prend corps au niveau national avec un autre discours : celui de la nation catalane. La nation catalane est liée à une idée de la nation qui se bat contre l’absolutisme politique, qu’il soit monarchique ou dictatorial. La nation catalane représente un peuple en lutte contre l’autoritarisme et pour défendre des formes d’organisation décentralisées. Ce mythe national s’incarne le 11 septembre 1714 avec la perte de la ville de Barcelone contre le roi Felipe V. C’est un mythe national directement associé au républicanisme.

L’arrière fond républicain explique à la fois pourquoi les mouvements libertaires ont été aussi importants en Catalogne tout au long du XXe siècle et le déroulement de l’histoire de la Catalogne. L’association entre les instances politiques représentatives et le mouvement anarcho-syndicaliste se matérialisa, par exemple, lorsque Francesc Macià, président de la Catalogne entre 1931 et 1933 et ancien avocat de la CNT, tente un coup d’État insurrectionnel avec l’aide de la CNT, lorsque la deuxième proclamation de la République catalane en 1936 a reçu le soutien populaire des secteurs ouvriers, ou lors de la mise en place du décret de collectivisation et du contrôle ouvrier du 24 octobre 1936. Ce décret a été rédigé par le ministère de l’Économie de la Généralitat (gouvernement catalan) en association avec les secteurs anarcho-syndicalistes, dans le but de fonder une sorte de machinerie productive de guerre qui alimenterait tout le monde, car la faim s’est répandu dès le début de la guerre civile.

Voilà le noyau de l’affaire. La tradition républicaine démocratisante et fraternelle a traversé l’histoire syndicale et la politique catalane. Il a toujours existé une alliance entre le catalanisme politique et la classe ouvrière syndicaliste. Une collaboration étroite qui constitue cette idée d’un peuple catalan qui revendique une culture et une langue, mais qui représente également l’intégration de toutes et tous dans la construction de la nation. Le nouveau Consell de la República, créé par les exilé·e·s catalan·ne·s, est fondé sur ce principe. Tous ensemble contre l’impérialisme, l’absolutisme monarchique et le fascisme.

Les monarchies espagnoles, les dictatures militaires (Primo de Rivera, Franco) ainsi que les nouvelles formes de justice politique (Audiencia Nacional, Tribunal Supremo) ont depuis toujours tenté de réprimer la représentation politique de ce désir républicain de liberté. Suspension du fonctionnement de la Généralitat de Catalunya (voir l’application de l’article 155 en octobre 2017), ainsi que la persécution de ses présidents : Eric Prat de la Riba (1914-1917) prison, Josep Puig i Cadafalch (1917-1924) exilé, Francesc Macià (1932-1933) prison et exile, Lluís Companys (1932-1933) prison, exile et fusillé par Franco, Josep Irla (1940-1954) exilé… et Carles Puigdemont (2016-2017), suspendu de ses fonctions et actuellement exilé en Belgique.

Le catalanisme politique n’est pas un mouvement réactionnaire, élitiste, fasciste ni libéral. C’est un mouvement très ancien, bâti sur l’idée d’une démocratie directe et d’une République pour toutes et tous. Un mouvement historiquement lié au prolétariat et aux valeurs de l’émancipation.

Le catalanisme politique se réactualise à chaque fois qu’il y a des processus de ré-centralisation et d’autoritarisme de la part de l’État espagnol. C’est par ce prisme qu’il faut lire la période catalane actuelle, surtout depuis la vague de répression policière, bureaucratique, politique et judiciaire à laquelle sont soumis les Catalans depuis l’organisation du référendum le 1er octobre 2017.

Liberté pour les prisonniers et les prisonnières politiques catalan·e·s ! Retour des exilé·e·s !

Écrit par Albert Martínez Riubó et Jordina Puigdesens Iglesias

Montpellier, 22 Septembre 2019

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