Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | A Gaza l’Aïd, une fête qui n’est pas encore venue

30 mars 2025
Prière de l' Aïd el-Fitr à Gaza

Le 30 Mars, jour de l’Aïd fêté partout dans le monde par les musulmans Abu Amir envoie ce texte : À Gaza…La fête n’est pas encore venue. Et peut-être… ne viendra-t-elle jamais.

Dans les vastes régions du monde, les rues se parent de lumières et de décorations, les maisons résonnent des rires des enfants vêtus de leurs habits neufs pour l’Aïd. L’odeur des gâteaux et du café flotte dans l’air, et les vœux sont échangés entre voisins et proches. Les musulmans, partout, accueillent l’Aïd al-Fitr avec joie et bonheur. Ils sortent dès l’aube vers les lieux de prière, prient ensemble, s’embrassent, partagent les douceurs et s’offrent des cadeaux. C’est la fin du jeûne, le début de la fête, un moment de paix.

À Gaza, il n’y a ni rituels, ni vœux, ni fête. À Gaza, l’Aïd est accueilli par le silence des tombes, par des linceuls blancs à la place des habits neufs, par l’odeur de la poudre plutôt que celle des pâtisseries.

À l’aube, alors que retentissaient les premières invocations de l’Aïd, les habitants de Gaza ne sont pas sortis vers les lieux de prière, mais vers les ruines de leurs maisons, les décombres des mosquées, les fosses communes creusées à la hâte. La prière de l’Aïd a été accomplie sur les débris, les fronts se prosternant sur une terre détruite, les invocations montant dans un silence écrasé par la désolation. Ce n’était pas une prière de joie, mais une prière d’adieu, une prière de patience face à l’épreuve.

Dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza, les avions militaires n’ont cessé de voler, intensifiant leurs frappes dès les premières heures du matin. L’armée israélienne a annoncé l’élargissement de ses opérations terrestres dans le quartier surpeuplé de Jenina, rempli de déplacés. Sur le terrain, les drones “quadcopters” traquaient les gens dans les rues, tirant des balles, lançant des grenades pour empêcher tout rassemblement. Au moins 11 civils ont été blessés, dont des enfants et des femmes, et transférés vers les hôpitaux de Khan Younès, au milieu d’un état de panique généralisée.

Au même moment, à Bani Suheila, à l’est de Khan Younès, une roquette est tombée sur la maison de la famille Qahwaji. Les deux petites filles, Shuruq et Yaqin, ont été tuées. Elles ne portaient pas leurs habits de fête, mais un linceul blanc pour leur dernier voyage vers le cimetière. Pas de jouets, pas d’étrennes, pas d’au revoir. Seulement des trous dans la terre, et des larmes dans les yeux.

Le sud de Khan Younès n’a pas été épargné non plus. Quatre membres de la famille Qadi ont été tués, plusieurs autres blessés, après qu’un avion ait ciblé leur maison sans avertissement. À Jabaliya, au nord de la bande de Gaza, une maison de la famille Muqbil a été bombardée dans le quartier de Jarn, tuant deux femmes, dont une enfant, et causant de graves blessures à d’autres.

Dans le quartier de Tuffah, à l’est de la ville de Gaza, des véhicules civils ont été visés, tuant un homme et blessant d’autres personnes qui tentaient soit de livrer de l’aide, soit de fuir d’un endroit à un autre, cherchant un salut inexistant.

Au centre de la bande, le camp de Nuseirat n’a pas été épargné. L’artillerie a frappé le nord du camp, ajoutant d’autres scènes d’horreur à un jour censé être une fête de paix et de miséricorde.

Selon le ministère de la Santé, en seulement 24 heures, 26 corps ont été transférés dans les hôpitaux, dont un corps extrait des décombres, en plus de plus de 70 blessés. En seulement 13 jours depuis la reprise de la guerre, le nombre de morts a dépassé les 921, et les blessés sont plus de 2 054. Depuis le 7 octobre 2023, le bilan total dépasse 50 277 morts et 114 095 blessés.

Malgré ces chiffres catastrophiques, l’armée continue son agression, et ses dirigeants persistent à défendre leur politique sans honte. Le même matin, le premier ministre, Benjamin Netanyahou, a tenu une réunion ministérielle où il a défendu la guerre totale, affirmant que “la pression militaire et politique” est la seule voie pour atteindre ses objectifs, notamment la récupération des otages. Il n’a pas mentionné les enfants, ni les victimes, ni les villes détruites. Il a simplement continué à affirmer que cette guerre est “réussie” et qu’elle atteint ses buts.

Pendant ce temps, les enfants de Gaza se demandent où sont passées leurs fêtes, leurs jouets enfouis, leurs frères et sœurs qui ne répondent plus. Personne ne leur répond. Dans les camps, plus d’un million et demi de déplacés souffrent de l’absence des besoins vitaux. Les files d’attente s’étendent sur des heures pour un pain ou une bouteille d’eau.

Selon les services de sécurité israéliens, le reste de carburant, de nourriture et d’eau dans la bande de Gaza ne suffira probablement pas pour plus de 60 jours, dans un contexte de guerre continue et d’échec des négociations pour un échange de prisonniers ou un cessez-le-feu.

Lors de l’Aïd, on est censé distribuer des sucreries, pas des cadavres. Allumer des lanternes, pas des incendies. Frapper aux portes pour offrir des vœux, pas les démolir sur leurs habitants.

Le matin de l’Aïd, les réseaux sociaux dans le monde arabe se sont remplis d’images de fête et de joie, tandis que ceux de Gaza débordaient d’images d’enfants morts, de cris d’alerte, de petites chaussures posées près des tombes, et d’une phrase qui se répète dans chaque maison :
“La fête n’est pas encore venue…”

À Gaza, l’Aïd n’est qu’un souvenir douloureux, un rêve suspendu, une attente d’un monde plus juste et plus humain.
À Gaza, l’Aïd naît déjà mort.

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