Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | A Gaza le métier de pêcheur saigne
17 décembre 2025Abu Amir le 16 Décembre en fait le récit: sous les effets de la guerre, du déplacement des pêcheurs quand la mer suffoque
Depuis des décennies, les pêcheurs de la bande de Gaza vivent sous un blocus étouffant imposé par la marine israélienne sur les zones de pêche et les routes de navigation. Au fil des années, ce blocus est devenu un fardeau qui pèse lourdement sur leur vie et les poursuit dans les moindres détails de leur quotidien. La mer n’est plus un espace ouvert comme autrefois, mais s’est transformée en un champ rempli de dangers, d’avertissements et de poursuites menées par des vedettes militaires.
Malgré cela, avant la guerre, les pêcheurs continuaient à vivre avec beaucoup de patience et de défi. Ils s’appuyaient sur une vie marquée par l’austérité et entreprenaient des sorties de pêche périlleuses, souvent tard dans la nuit, se dissimulant dans l’obscurité de la mer, espérant qu’elle les cacherait aux yeux de la marine israélienne. Ils naviguaient avec peur, tenant leurs filets avec des cœurs tremblants, et revenaient chez eux avec ce que les vagues voulaient bien leur offrir : une maigre subsistance, mais suffisante pour apaiser la faim de leurs enfants qui attendaient derrière les portes ce que leurs pères rapporteraient de la mer.
Les pêcheurs savaient que la vie n’était pas facile et que chaque sortie en mer pouvait être la dernière. Pourtant, ils s’accrochaient à l’espoir et continuaient de rêver d’un jour où ils pourraient pêcher librement, comme les pêcheurs du reste du monde. Mais cet espoir fragile n’a pas résisté longtemps à l’ouragan qui a éclaté le 7 octobre, un ouragan qui n’était pas l’œuvre de la nature, mais celui des flammes de la guerre qui ont envahi Gaza et transformé ses côtes en lignes de feu ouvertes.
Dès les premières heures de l’offensive, les missiles ont commencé à pleuvoir sur les ports et les embarcations des pêcheurs. Ni les petites barques ni les modestes bateaux en bois dont ils dépendaient n’ont été épargnés. Les entrepôts ont été détruits, les ateliers de réparation rasés, et les infrastructures de pêche réduites à des décombres. À chaque vague de bombardement, les pêcheurs perdaient une nouvelle part de leur avenir. La mer, leur unique source de subsistance, a été totalement fermée, et les pêcheurs se sont retrouvés transformés en familles déplacées, après avoir perdu à la fois leurs outils, leurs bateaux et leurs maisons.
Avec l’élargissement des opérations militaires, les pêcheurs ont entamé un parcours de déplacement forcé aussi douloureux que la perte de leur gagne-pain. Un parcours imposé par les circonstances, d’un quartier à l’autre, d’un camp à l’autre, fuyant la mort. Ils emportaient ce qu’ils pouvaient : quelques couvertures et vêtements, laissant derrière eux leurs modestes biens incapables de les accompagner sur un long chemin parcouru à pied, au milieu de la peur, du froid et du manque de nourriture.
À chaque étape de ce déplacement, ils se heurtaient à une réalité encore plus dure : des abris surpeuplés, des routes dangereuses et une aide humanitaire rare. Malgré cela, ils restaient soudés et tentaient de survivre avec ce qui leur restait de force.
Dans ces conditions extrêmement difficiles, les équipes de l’UJFP ont suivi les pêcheurs pas à pas, restant en contact permanent avec eux et s’efforçant de répondre à leurs besoins les plus urgents afin de leur assurer le minimum des conditions de vie. Elles ont distribué des tentes, des couvertures, des vêtements d’hiver, des colis alimentaires, des bâches en plastique, des paniers de légumes, ainsi que des barils d’eau et des tuyaux pour assurer l’approvisionnement en eau dans les lieux de déplacement. Les équipes savaient que ces pêcheurs avaient perdu non seulement leur travail, mais tout ce qu’ils possédaient en quelques instants, et que se tenir à leurs côtés était un devoir humain qui ne souffrait aucun retard.
De cette conviction est née l’intervention humanitaire Hiver au chaud , qui a accordé une attention particulière aux enfants des pêcheurs cette semaine dans le camp de réfugiés de la plage (Al-Shati). Les équipes y ont mené une opération de distribution de 270 pièces de vêtements d’hiver destinées à ces enfants qui affrontent un hiver extrêmement rigoureux, sans chauffage et sans vêtements suffisants. L’équipe est arrivée au camp à huit heures du matin et a été accueillie par le camarade Zakaria Bakr, représentant des pêcheurs, qui leur a présenté le plan de travail avant de se rendre dans la zone de Karm Maslaha, première zone de distribution, où les familles se sont rassemblées avec bienveillance malgré la souffrance.
Les vêtements ont été classés par tailles et la distribution a commencé. Elle a duré trois heures et a laissé un impact visible sur les visages des enfants, dont les traits fatigués se sont illuminés de sourires. Après la fin de la distribution dans la première zone, l’équipe s’est rendue au deuxième point de distribution, au diwan ( service administratif) de la famille Bakr, siège des réunions des pêcheurs et de la famille. Un grand nombre de femmes accompagnées de leurs enfants les attendaient. La gratitude était perceptible sur les visages lorsque l’équipe est entrée, portant les sacs de vêtements.
Le chef de la famille Bakr a participé à l’organisation de la distribution à travers des listes préparées en coopération avec les pêcheurs. Malgré la foule, l’exiguïté des lieux et la dureté des conditions, la spontanéité avec laquelle les femmes s’adressaient à l’équipe révélait la relation humaine qui s’était construite avec les équipes de l’UJFP au cours des mois de déplacement. Une relation qui leur donnait le sentiment de ne pas être seuls face à cette lourde épreuve.
À l’issue de la visite, le camarade Zakaria a invité l’équipe à son domicile, où une longue discussion a eu lieu sur les défis auxquels les pêcheurs sont confrontés aujourd’hui. Il a parlé avec amertume des bateaux réduits à l’état d’épaves, des ports devenus inutilisables, des équipements impossibles à récupérer, et de l’avenir incertain qui attend le métier de la pêche, lequel représente une part profonde de l’identité et de la mémoire de Gaza. Les pêcheurs se retrouvent aujourd’hui sans mer, sans outils, sans source de revenus, le besoin de soutien est plus pressant que jamais.
En conclusion de la rencontre, Zakaria a exprimé sa profonde gratitude aux équipes de l’UJFP à l’intérieur et à l’extérieur de Gaza, affirmant que leurs efforts ne se limitaient pas à l’aide sur le terrain, mais s’étendaient à la création d’un véritable élan de solidarité humaine avec un groupe vivant les conditions les plus dures de son histoire. Il a insisté sur le fait que la poursuite de ce soutien est ce qui maintient une fenêtre d’espoir ouverte dans une vie qui a perdu la plupart de ses repères.
La réalité des pêcheurs de Gaza aujourd’hui apparaît comme l’une des images les plus éloquentes de la cruauté de la guerre. Ils font face à un blocus ancien, à une destruction nouvelle, à des déplacements continus et à la perte totale de leur source de subsistance. Pourtant, ils continuent de s’accrocher à l’espoir comme à un dernier filet de sauvetage, et de se cramponner à ce qu’il leur reste de force, tandis que la mer demeure un témoin silencieux de leur histoire, une histoire qui n’est pas encore terminée : l’histoire d’un métier qui saigne, de générations qui luttent pour survivre, et d’une résilience qui prouve encore que la volonté humaine est capable de se dresser face à l’ouragan de la guerre, aussi violentes que soient ses rafales.
Lien vers les photos et une belle vidéo ! Un travail incessant…..
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