Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | A Gaza l’importance d’une négociation issue du peuple

3 septembre 2025
L'enfance crucifiée sur les murs du silence mondial

Abu Amir envoie deux textes le 2 Septembre : un sur la continuité de l’échec des négociations dans le jeu temporel d’Israël et un autre sur l’enfance crucifiée de Gaza sur les murs du silence mondial.

Depuis de longs mois, les habitants de Gaza vivent au rythme des avancées et des reculs, au gré des nouvelles sur des négociations qui commencent et s’achèvent sans résultats. Ils vivent dans une attente inquiète et amère, s’accrochant à la moindre lueur d’espoir qui pourrait les sauver de ce cycle de sang et de destruction. Mais à la fin, ils reviennent toujours au même cercle de déception : les flammes de la guerre ne s’éteignent pas, le sang continue de couler, et les promesses relayées par les médias d’une issue imminente ou d’un apaisement proche ne se concrétisent jamais. Les négociations semblent être devenues un rituel répétitif qui ne produit que davantage de questions lourdes sur la poitrine des gens. Pourquoi l’échec ? Qui en porte la responsabilité ? Et quelle logique pourrait convaincre une mère qui a perdu ses enfants sous les décombres que ce nouveau cycle de pourparlers ne finira pas dans le néant, comme les précédents ? Dans ce moment psychologique chargé de désespoir, de colère et d’attente, la question des causes de l’échec devient existentielle, non seulement politique, touchant directement la vie et le droit à l’existence des gens.

Le principal obstacle à ces négociations, sans équivoque, est Israël. C’est la partie qui détient les outils de la force et les utilise sans pitié, transformant la table des négociations en une scène de chantage, imposant des conditions irréalisables et gagnant du temps, consciente que chaque jour sans accord lui offre une occasion supplémentaire d’ancrer une nouvelle réalité sur le terrain, une réalité faite d’occupation, d’expulsion et de domination. Israël ne cherche pas à mettre fin à la guerre, mais à l’exploiter ; elle ne recherche pas une solution juste, mais un abandon camouflé par le langage des accords. Et derrière elle se tiennent ses grands alliés, qui lui offrent couverture politique, armes et temps, laissant la victime seule face à une machine de guerre sans pitié. Mais suffit-il de rejeter tout le blâme sur l’ennemi ? Ne devons-nous pas aussi nous interroger sur nos propres failles ?

La première question se pose quant aux membres de la délégation négociatrice : possèdent-ils les qualités essentielles pour représenter le peuple et préserver la cause ? Ont-ils une vision claire, une volonté ferme ? Ou bien les divisions politiques et les calculs factionnels se reflètent-ils dans leurs performances, affaiblissant leur position et offrant à l’ennemi une large marge de manœuvre ? Quand le négociateur devient prisonnier de ses appartenances étroites, il devient incapable de porter les préoccupations de tout un peuple, et les négociations se transforment en un conflit interne déguisé en cause nationale. Alors, n’avons-nous pas besoin de négociateurs conscients que la cause qu’ils portent n’est pas un dossier partisan, mais une question de sang, de vies, de terre, d’existence ?

Il y a aussi la question du temps et du lieu : combien de fois ces négociations se sont-elles déroulées à des moments inopportuns, dans des lieux non neutres, loin de la voix du terrain et des cris des victimes, comme si elles se déroulaient dans une tour d’ivoire détachée du sol ? Le choix du temps et du lieu a souvent été un facteur décisif d’échec, car un négociateur détaché de la réalité de son peuple perd la capacité de défendre cette réalité avec force. Quant aux médiateurs, censés faciliter les solutions, combien de fois se sont-ils transformés en outils de pression, exigeant des Palestiniens davantage de concessions au nom du réalisme, tout en fermant les yeux sur l’intransigeance d’Israël et son refus de tout engagement réel ?

Il faut également examiner la nature des revendications et des propositions présentées à la table : sont-elles équilibrées, reflétant le poids de la cause et les sacrifices du peuple ? Ou oscillent-elles entre des plafonds irréalisables dans les conditions actuelles et d’autres si bas qu’ils éveillent la suspicion et ouvrent la porte à des concessions gratuites ? Le problème majeur réside dans cette oscillation, qui permet à l’ennemi de jouer ses cartes : accuser la partie palestinienne d’exagérer lorsqu’elle fixe des exigences élevées, et exploiter sa faiblesse lorsqu’elle abaisse ses prétentions. L’équilibre devient ici une nécessité existentielle : il impose que les revendications soient liées à la réalité du terrain et au poids du sang versé : ni excès qui conduit à l’impuissance, ni abandon qui mène à la liquidation de la cause.

Nous devons comprendre qu’un recul d’un ou deux pas à un moment donné ne signifie pas la défaite, mais peut être la voie pour préserver l’essence de la cause, à condition que ce recul soit tactique et non stratégique, un moyen de protéger le peuple et non un prétexte pour vendre ses droits. Car se maintenir sur la terre, assurer la présence du peuple sur son sol, est en soi une victoire. Les accords fragiles qui paraissent être des acquis alors qu’ils constituent en réalité un abandon des principes, sont le danger le plus grand, car ils risquent de transformer le sang des martyrs en simples chiffres dans les archives de l’oubli.

Le plus dangereux dans la continuité de l’échec est qu’il profite directement à Israël. Elle en est la première et la dernière bénéficiaire, car elle sait que la temporisation en période de faiblesse équivaut à multiplier les pertes palestiniennes. Chaque jour sans résultat est un jour supplémentaire d’usure des infrastructures de Gaza, d’épuisement des forces et de la résilience du peuple, et de nouveaux déplacements et déracinements. L’ennemi exploite habilement cette continuité, transformant les négociations en un théâtre absurde où il apparaît comme le “partisan de la paix” tout en poursuivant sans relâche sa guerre sur le terrain.

Mais au-delà de cela, il existe un danger encore plus insidieux : l’effondrement de la conscience des gens. Quand les cycles d’échec se répètent, les gens commencent à perdre confiance dans l’utilité des négociations, à sentir que leur sang est versé en vain, et que leur cause est gérée comme un simple dossier administratif et non comme une lutte de libération et d’existence. C’est alors que la douleur se décuple : perte politique dans les salles de négociation, et perte psychologique dans les cœurs. Et si nous perdons la conscience des gens, nous perdons le véritable soutien qui donne un sens à toute négociation.

D’où l’importance d’un discours négociateur issu du peuple, enraciné dans ses souffrances, protégé par sa conscience. Le négociateur doit toujours se rappeler qu’il ne représente pas un parti ou une faction, mais des millions d’êtres humains vivant sous les bombes, et l’histoire d’un sang versé à travers les générations. Il doit élever sa voix, non pour demander de nouvelles concessions, mais pour dire au monde : “Arrêtez les tueries, arrêtez le génocide, arrêtez la destruction.” Lorsque cette voix est sincère, elle impose un siège moral à l’ennemi et met à nu la fausseté de ses prétentions à rechercher la paix.

La continuité de cet échec nous place à un carrefour dangereux : soit nous restons prisonniers du jeu stérile des négociations qui nous consument temps et sang, offrant à Israël davantage de temps pour consolider son projet ; soit nous refondons notre approche des négociations, équilibrant entre l’ambition et les impératifs de la réalité, en faisant de la protection du peuple et de la sauvegarde de la cause une priorité absolue, avant toute autre considération.

La question aujourd’hui ne réside pas uniquement dans les détails du lieu et du temps, ni dans les textes des propositions, mais dans la volonté qui décidera si ces négociations sont un chemin vers la résilience ou une voie vers la liquidation. La question est de comprendre qu’Israël est l’obstacle premier, que le facteur temps ne joue pas en notre faveur, et que le sang versé quotidiennement nous impose une responsabilité historique à la hauteur de ce poids. La véritable victoire ne réside pas dans un accord imposé par l’ennemi, mais dans le fait que la cause reste vivante malgré les pertes, et que le peuple demeure sur sa terre malgré toutes les tentatives d’expulsion.

C’est pourquoi il est du devoir de toute voix libre d’affirmer clairement : l’échec répété n’est pas une fatalité, mais le résultat de mauvais choix. Il peut être transformé en leçon si nous parvenons à reconstruire notre conscience et à faire de la volonté du peuple la première référence. Ce n’est qu’alors que nous comprendrons que la victoire ne réside pas toujours dans des gains immédiats, mais dans la survie de la cause elle-même, vivante, nourrie par le droit, le sang et la mémoire. La véritable défaite, c’est de se rendre à Israël et de lui accorder, sous couvert de négociations, ce qu’elle n’a pas réussi à obtenir par la guerre.

                     A Gaza une enfance crucifiée sur les murs du silence mondial

Dans un territoire assiégé depuis de longues années, la tragédie croise la résilience des habitants comme l’ombre croise la lumière. Gaza, aujourd’hui, n’est pas un simple titre éphémère défilant sur les chaînes d’information, mais un test moral qui révèle ce qu’il reste d’humanité dans le monde. La machine de guerre ne s’arrête pas, les maisons s’effondrent sur leurs occupants, les camps s’élargissent sous l’effet de vagues de déplacements dont les habitants ignorent le chemin du retour. La mer, qui autrefois offrait aux habitants de la ville une brise légère, s’ouvre désormais sur un littoral rempli de tentes et de ruines. Et pourtant, dans les petits détails, se répètent des histoires de survie : un père partage un morceau de pain sec entre ses enfants, une mère transforme une tente en école sur le sable du rivage, des secouristes courent entre les lignes de feu avec des poches de sérum et des bandages insuffisants, et un frère serre la main de son frère blessé pour que leurs âmes ne s’éteignent pas ensemble. Cette image condensée n’embellit pas la réalité, elle la fait parler : une cruauté excessive, et une détermination plus dure que le fer.

Depuis la fin de l’année 2023, les vagues de raids et d’incursions se sont succédé, jusqu’à transformer toute la géographie en champ de cibles. Le petit territoire est devenu une carte d’épaves et de besoins. Chaque semaine ajoute une nouvelle liste de victimes. Le nombre de martyrs a dépassé des dizaines de milliers, tandis que celui des blessés a été estimé à plusieurs fois plus. Ce sont des chiffres qui pèsent sur la poitrine comme un rocher, mais qui ne comptabilisent pas tout ce qui s’est perdu sous les décombres : des noms, des souvenirs, des chemins de vie.

Mais les chiffres les plus cruels sont ceux qui concernent les enfants. À Gaza, les enfants ne sont pas une note en marge de la guerre ; ils en sont le texte même. Les avertissements se sont transformés en réalités : blessures, amputations, déformations permanentes, orphelins privés de soins, des milliers d’enfants sans parents, d’autres vivant entre la peur et la privation, certains séparés de leurs familles sans personne pour leur tenir la main au milieu de ce chaos. C’est une enfance ensevelie sous les décombres, rejetée dans des camps qui ne ressemblent pas à des maisons, et poursuivie chaque nuit par des cauchemars.

La guerre a un autre visage, tout aussi meurtrier : la faim. Au fil des mois, des quartiers entiers ont basculé au bord de la famine. Les visages pâles des enfants sont devenus l’image quotidienne d’une ville assiégée. Les longues files d’attente devant les points de distribution alimentaire ne signifient pas que la nourriture arrivera, mais qu’il faut patienter dans des conditions périlleuses. Les scènes d’enfants fouillant les sacs d’ordures à la recherche d’une bouchée sont devenues familières, tandis que les petits corps maigrissent et que la souffrance s’alourdit dans les yeux des mères.

Sous ce plafond oppressant de bombardements et de faim, le système de santé s’effondre. Les hôpitaux fonctionnent à moitié de leurs capacités, parfois moins. Les médecins opèrent à la lumière vacillante, avec des anesthésiques insuffisants. Les services d’urgence débordent, mélangeant blessures complexes et maladies chroniques dont le traitement est interrompu. Chaque minute de retard peut signifier une vie perdue, et chaque salle de réanimation ressemble à un autre champ de bataille.

Et si la faim et la médecine crient, l’eau, l’éducation et l’abri crient à leur tour. Des millions de litres d’eau contaminée ou coupée provoquent des maladies intestinales chez les enfants. Les écoles sont détruites ou transformées en centres d’hébergement surpeuplés qui n’ont rien de l’éducation. Le déplacement à Gaza n’est pas un événement unique ; ce sont des vagues successives qui obligent les familles à dresser et démonter leurs tentes, à revenir avec inquiétude puis à fuir à nouveau. Des centaines de milliers de déplacés cherchent un refuge qui n’existe pas.

Sur le plan psychologique, une blessure silencieuse échappe aux diagnostics médicaux : les cauchemars des enfants, les crises de panique, l’énurésie, les longs silences qui recouvrent des visages d’enfants vieillis trop tôt. Les programmes de soutien psychologique et social ne suffisent pas à effacer cette douleur, et ne peuvent rendre une enfance volée par une décision internationale tardive.

La guerre assiège l’enfance de toutes parts — bombardements, faim, maladies, froid ou chaleur, arrachement des foyers. Les parents livrent leurs batailles quotidiennes : maintenir leurs enfants en vie, obtenir un vaccin à temps, une dose contre la malnutrition, un verre d’eau potable, et une heure de jeu qui redonne un sens à l’enfance loin du vacarme des avions.

Et pour comprendre davantage la cruauté de l’image, il suffit de se rappeler que les files d’attente devant les points de distribution d’eau et de nourriture sont elles-mêmes devenues des zones de danger. Beaucoup ont été tués ou blessés alors qu’ils attendaient un camion de farine ou une caisse de vivres, transformant l’instant d’espérance en tragédie faite de pauvreté et de balles.

Malgré tout cela, Gaza continue de produire du sens à la cohésion : initiatives locales pour cuire du pain dans des fours rudimentaires, jeunes transportant l’eau dans des seaux sur des vélos délabrés, enseignants traçant les lettres sur des cartons, grands-mères transformant des recettes de cuisine en leçons de patience. Mais cet héroïsme quotidien ne décharge pas la communauté internationale de ses responsabilités, et ne devrait pas servir de prétexte à prolonger la catastrophe.

Au cœur de ce texte se tiennent les enfants : des enfants dont les parents ont été tués ou blessés, se retrouvant seuls face à un monde sans soutien ; des enfants portant des cicatrices visibles et d’autres invisibles ; des enfants luttant sous le toit bas d’une tente, avec le vent jouant avec quelques livres rescapés des bombardements ; des enfants qui connaissent mieux le bruit des avions que celui des oiseaux.

Il est écrit pour Gaza de prouver, encore et encore, que l’homme peut porter une mémoire plus lourde que son corps sans plier. Mais la justice n’est pas un test de résistance pour les victimes, ni l’équité une condition de leur endurance. La justice, c’est que cessent les bombardements, que le blocus soit levé, que les convois de nourriture et de médicaments entrent sans entraves, que les petites mains retrouvent les bancs de l’école, qu’au moins un enfant puisse dormir une nuit entière sans entendre d’explosions.

En attendant cela, les habitants de Gaza continueront de retisser leur tissu social : des voisins partageant du pain et des couvertures, des bénévoles soignant les blessures avec le peu disponible, des pères et des mères essayant de protéger l’enfance de l’extinction par des histoires et des chansons, des secouristes ouvrant un passage entre l’odeur de la fumée et le hurlement des sirènes. Le frère continuera de tenir la main de son frère blessé pour qu’ils ne tombent pas — non par faiblesse, mais parce que ce geste, au cœur de la tourmente, leur rappelle que la vie mérite d’être portée ensemble, même au bord du gouffre.

Et entre tout cela, l’appel reste clair : Assez. Assez de meurtres, de faim, de terreur. Assez de souffrance pour les mères, les pères et les enfants. Assez de retarder le droit fondamental à la sécurité et à la dignité. Gaza n’est pas une succession de titres brefs sur les écrans, mais des maisons, des prénoms, des cahiers d’école, des chansons de fête suspendues dans l’air, attendant le jour où la vie sera réorganisée — et où les enfants retrouveront enfin leur enfance.

Lien vers les photos et vidéos

https://drive.google.com/file/d/13yPlk6DC69d0IcC2feujNBZsQsCRaQH_/view?usp=drive_link

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE AGORA SUIVANT :

Chronique " Gaza Urgence Déplacé.e.s" | Les équipes de l’ UJFP poursuivent leur travail vital