Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | A Gaza, où commence la reconstruction ?

27 décembre 2025
Une photo satanique!

Le 26/12 Abu Amir explique comment le « désarmement » glisse d’une solution proclamée à un instrument de blocage dissimulé, une gestion méthodique de l’impasse.

Chaque fois que la question du « désarmement du Hamas » est remise sur la table dans le discours israélien, elle est présentée comme l’entrée naturelle pour mettre fin à la guerre et ouvrir la voie à une solution politique à Gaza. La formule paraît, en apparence, logique et simple : pas de stabilité sécuritaire sans désarmement, pas de reconstruction sans une autorité unique, et pas d’avenir politique en présence d’une force armée qui échappe au contrôle.

Mais s’arrêter sur ce que rapporte le journal Maariv dans ce contexte révèle une image bien plus complexe et montre que ce qui est proposé n’est pas tant un plan intégré que le reflet d’une crise interne au sein même de la prise de décision israélienne. Ce qui transparaît dans ce discours n’est pas une clarté de vision, mais une confusion dans les choix, une incapacité à trancher et une crainte des alternatives possibles. Au lieu de rechercher une solution radicale, il semble qu’il existe une orientation vers la gestion de la crise sur le long terme et le report de toute transition politique réelle, en posant des conditions dont les auteurs savent à l’avance qu’elles sont irréalisables. Cette approche ne peut être traitée comme une simple fuite médiatique passagère ; elle doit être lue comme un modèle de pensée qui cherche à transformer les limites de la capacité militaire et politique en « conditions » de négociation. En apparence, ce sont des conditions pour mettre fin à la guerre, mais en réalité, ce sont des outils qui maintiennent la situation en suspens : ni guerre arrêtée, ni paix engagée, ni retrait effectif, ni reconstruction globale lancée.

Ce qui est rapporté de la position publique israélienne peut être résumé clairement

Israël reconnaît d’abord qu’il n’existe aucune force internationale capable de désarmer le Hamas par la force, ni militairement ni politiquement. Cet aveu est important, car il signifie que l’idée du démantèlement des armes n’est pas une question pouvant être déléguée aux Nations unies ou à toute coalition internationale, ni réalisée par de simples accords écrits.

Dans le même temps, Israël conditionne son retrait de la « ligne jaune » — c’est-à-dire la ligne de contrôle sur le terrain — à un désarmement effectif. C’est ici qu’apparaît la contradiction fondamentale : la reconnaissance de l’impossibilité de l’exécution, combinée au fait de lier toute étape ultérieure à la réalisation de cette même exécution. Le résultat est une logique de suspension permanente, et non une logique de passage d’une phase à une autre.

À cela s’ajoute la notion de « force de stabilisation » comme solution théorique pour l’après-guerre. Mais le discours lui-même affirme que cette force ne peut fonctionner sans désarmement. Ainsi, l’idée se transforme d’un projet sécuritaire et politique potentiellement applicable en un simple habillage linguistique servant à repousser la solution. Lorsqu’on conditionne l’existence de cette force à un critère irréalisable, elle devient un prétexte pour justifier l’immobilisme plutôt qu’un véritable plan.

À ce stade, il devient clair que le « désarmement » n’est plus une condition de négociation au sens habituel. Une condition de négociation suppose l’existence d’un processus, de concessions réciproques, de mécanismes de mise en œuvre et de garanties claires. En revanche, lorsqu’un État déclare ne disposer d’aucun moyen pour réaliser la condition, puis en fait le fondement de tout, il ne négocie pas : il trace les limites de son incapacité et les transforme en politique.

Le discours israélien, sans le vouloir, reconnaît trois réalités fondamentales :

Premièrement, il n’existe aucun instrument international prêt à exécuter le désarmement.
Deuxièmement, il n’existe aucun modèle réussi pouvant être reproduit ou pris comme référence dans un cas comparable à celui de Gaza.
Troisièmement, il n’existe aucun mécanisme réaliste de mise en œuvre sans une occupation totale et de longue durée — une option qu’Israël ne souhaite pas assumer en raison de ses coûts politiques et militaires.

Malgré cela, le désarmement est érigé en condition préalable à tout retrait, toute stabilisation et toute reconstruction. La condition se transforme en un outil de blocage manifeste : une condition utilisée pour empêcher la transition, non pour la faciliter.

Le plus dangereux dans cette approche ne réside pas seulement dans le gel de la solution politique, mais dans les alternatives qui se préparent en silence. Rapportée, une phrase révèle un tournant stratégique d’une extrême gravité « le début de la reconstruction uniquement dans les zones placées sous contrôle israélien ».

Il ne s’agit pas d’un détail technique, mais d’une redéfinition complète du sens même de la reconstruction. Ici, la reconstruction n’est plus liée au besoin humanitaire ni à l’ampleur des destructions, mais à la géographie et au contrôle. Elle passe ainsi d’un droit collectif à un instrument politique, et d’un acte visant à redonner vie à un moyen de gestion des populations et de l’espace.

Cette approche ouvre la voie à une division de facto du territoire : des zones auxquelles la vie est permise parce qu’elles sont sous contrôle, et d’autres laissées dans un état de vide permanent parce qu’elles se trouvent en dehors de ce périmètre.

Avec le temps, la « ligne jaune » se transforme d’une ligne militaire temporaire en une frontière politique et économique non déclarée. Dans cette configuration, nul besoin d’une proclamation officielle de la partition. Il suffit que les projets de reconstruction commencent ici et non là-bas, que les opportunités d’emploi s’ouvrent dans certaines zones, et que les ressources et services soient gérés selon la logique du contrôle sur le terrain. À mesure que ces petites étapes s’accumulent, une nouvelle carte de souveraineté se dessine sur le sol.

Nous sommes ici face à trois strates imbriquées qui gouvernent la situation :
une strate de l’incapacité, où Israël ne dispose pas d’un outil pour désarmer et ne souhaite pas une occupation totale, une strate de blocage, où une condition irréalisable est fixée afin d’empêcher toute transition politique et une strate de l’alternative imposée, où s’installe une réalité fragmentée fondée sur une reconstruction sans souveraineté, une vie sans horizon, une stabilité limitée plutôt que globale. Cette réalité n’est pas présentée comme une solution finale, ni même comme une solution temporaire, mais comme le « meilleur possible » dans les circonstances actuelles. Avec le temps, cette situation se normalise et devient la règle plutôt que l’exception.

Ainsi, ce qui est proposé aujourd’hui ne peut être qualifié ni de plan de paix, ni même de plan d’urgence, mais plutôt de gestion méthodique de l’impasse. Le « désarmement » fonctionne ici comme un prétexte pour reporter les échéances politiques, transformer la reconstruction en outil de contrôle et redessiner la géographie sans l’annoncer.

Plus encore, ce processus n’a pas besoin de réussir politiquement au grand jour pour réussir dans les faits. Il réussit par le silence, la gradualité, le temps et l’accoutumance à une réalité incomplète présentée comme la seule réalité possible.

C’est pourquoi la lecture de la situation ne doit pas commencer par les déclarations et les conférences, mais par le terrain.

Où commence la reconstruction ?

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