Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | A Paris ce qui se dit pour la Palestine ne ressemble jamais à ce qui se fait!

14 novembre 2025
Emmanuel Macron accueille Mahmoud Abbas, sur le perron de l'Elysée, à Paris, le 11 novembre 2025. © REUTERS/Benoit Tessier

Les lignes rouges de Macron ont-elles été tracées avec du sang ou avec du rouge à lèvres ? Un texte d’Abu Amir le 14 Novembre
Au moment où le discours français semblait enfin se dépoussiérer du silence, Paris est sortie de sa réserve avec un ton enflammé envers Israël. Certains ont cru que l’heure du tournant historique avait sonné, que la France, longtemps réfugiée derrière une diplomatie grise, avait décidé de dire enfin ce qu’elle taisait depuis des années : mettre un terme à la politique d’annexion, de colonisation et de piétinement du droit international.

Mais à peine l’écho des déclarations retombe-t-il que l’épreuve du réel commence que la vérité, devenue lassante à force de se répéter, apparaît à nouveau : ce qui se dit à Paris ne ressemble jamais à ce qui s’y fait. Les mots, prononcés avec force et emphase, ne franchissent jamais le seuil de l’action. Ils se transforment en simples messages de satisfaction intérieure, bien plus qu’en pressions extérieures.

Le président français parle aujourd’hui d’un ton ferme. Il brandit « la ligne rouge », met en garde contre son franchissement, réclame l’arrêt de l’annexion et veut empêcher l’explosion imminente en Cisjordanie. Il promet une riposte européenne unie et laisse même entendre que la patience de l’Europe touche à sa fin. Mais la question qui s’impose, brutale et incontournable, est la suivante : où était cete fermeté² lorsqu’une colonisation dévorait la terre ? Où était cette colère quand le sang palestinien coulait sans répit ? Où étaient les avertissements quand les crimes des colons devenaient un spectacle quotidien sans châtiment ?

La France, experte dans l’art du discours virulent, n’a toujours pas maîtrisé celui de la traduction en actes. Elle n’a imposé aucune sanction, n’a usé d’aucun levier de pression, n’a suspendu aucun accord économique, n’a gelé aucune coopération militaire, n’a jamais fait payer un coût réel à l’occupation. Elle a préféré hausser la voix sans jamais hausser le prix. Comme si les lignes rouges qu’elle annonce n’étaient pas écrites à l’encre politique, mais à l’encre médiatique, soluble dès le premier contact avec les intérêts stratégiques.

Ainsi se révèle la lourde contradiction : un discours fort et audacieux, opposé à une politique timide et inefficace, incapable de changer quoi que ce soit. L’occupation ne reculepas, la colonisation ne s’interrompt pas, les colons ne craignent pas la menace, l’annexion ne fait pas un pas en arrière. Car Israël sait, tout simplement, que la colère européenne est souvent sans crocs, que les protestations du vieux continent restent confinées au papier, que les déclarations enflammées se terminent par une conférence de presse, sans décisions douloureuses à suivre. Le plafond du discours ne s’élève jamais jusqu’à celui de l’action réelle ; il se limite à absorber la colère intérieure d’une opinion publique européenne de plus en plus solidaire du droit palestinien et lassée du « deux poids, deux mesures ».

Ainsi, la fermeté du ton de Macron, quelle que soit sa sincérité apparente, semble viser davantage à calmer l’opinion française qu’à dissuader l’occupant. C’est une posture dictée par la popularité, non par la conviction politique. Voilà le vrai drame : la politique française ne se mesure plus à sa capacité d’influence, mais à sa capacité à redorer son image dans les sondages. Elle ne cherche plus l’équilibre entre principes et intérêts, mais entre discours et embarras intérieur. Elle condamne ce qu’elle ne change pas, dénonce ce qu’elle ne freine pas, agite des menaces qu’elle n’exécute jamais, hausse la voix sans faire bouger les lignes.

Le seul changement, c’est que la langue est devenue plus dure — non que l’effet soit devenu plus fort. Pendant ce temps, sur le terrain, la situation s’embrase : la violence des colons s’intensifie, la colonisation s’étend, l’annexion progresse lentement mais sûrement. Israël ne perçoit pas le discours français comme une menace, mais comme un bruit de fond saisonnier, des mots qui s’évaporent comme tant d’autres avant eux.

Dès lors, la stupéfaction devient légitime : à quoi sert l’avertissement sans la sanction ? À quoi bon la position sans effet ? Quelle valeur a la ligne rouge sans punition ? Une diplomatie qui ne fait pas payer de prix n’en est pas une, mais une narration politique pour consommation locale. L’Histoire ne retient pas ceux qui parlent le plus, mais ceux qui changent le plus. Elle n’honore pas ceux qui crient plus fort, mais ceux qui pèsent plus lourd. Elle ne glorifie pas la colère médiatique, mais l’impact réel.

Et aujourd’hui, malgré le vacarme de ses mots, la France reste en dehors de cette logique. La puissance ne se mesure pas à la hauteur du ton, mais au poids des conséquences. L’occupation n’est pas ébranlée par des phrases, mais par le coût qu’on lui impose. La rhétorique, aussi brûlante soit-elle, n’arrête ni un bulldozer, ni une colonie. Elle ne protège pas une terre, ne bloque pas une annexion, ne change pas le destin d’un peuple, tant qu’elle ne devient pas décision.

C’est là que réside toute la contradiction : la France dit aujourd’hui ce qu’elle aurait dû dire depuis longtemps, mais continue de faire ce qu’elle a toujours fait depuis des décennies. Aucun poids n’égale le verbe, aucun acte n’égale la menace, aucune mesure n’égale l’avertissement. La question demeure donc suspendue : sommes-nous face à un véritable tournant encore inachevé, ou simplement à un nouveau cycle de belles paroles prononcées pour plaire, non pour agir ?

La France restera-t-elle la capitale des déclarations fortes et des positions faibles ? Sortira-t-elle un jour du champ oratoire pour entrer dans celui de l’action réelle ? En attendant que cette question trouve sa réponse, le scénario se répète : une protestation française bruyante, une réalité palestinienne toujours plus dure, une occupation sans crainte, et un monde qui applaudit les formules… tandis que la terre, elle, continue d’être confisquée, loin des discours.

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