Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Comment porter nos enfants dans la tempête ?

29 mars 2025
Atelier de soutien psychologique pour les femmes

Abu Amir transmet le compte rendu de l’atelier de soutien psychologique de Deir al Balah

À Deir al-Balah, dans un contexte de déplacements forcés répétés, un groupe de mères s’est réuni pour une séance de soutien psychologique organisée par les équipes de l’UJPF, intitulée : « Faire face avec les enfants pendant les bombardements et les déplacements ». Cette séance n’était pas une simple réunion, mais un espace léger en apparence, lourd de sens, où les femmes se sont retrouvées entourées de leurs expériences ininterrompues et de questions restées sans réponse : comment rassurer nos enfants dans un monde qui ignore la tranquillité ?

Bien que les enfants ne soient pas présents dans la salle, leur présence emplissait les mémoires et les cœurs. Les yeux des mères étaient chargés d’images de leurs enfants courant affolés, se cachant dans les coins, s’accrochant à leurs vêtements à la recherche d’un moment de sécurité au milieu des ruines.

La séance a débuté par une discussion sur les effets du traumatisme sur les enfants, et comment la peur peut se manifester à travers des comportements que l’enfant ne peut exprimer verbalement : des pleurs, un silence prolongé, un attachement excessif à la mère ou un refus de dormir. Les difficultés auxquelles sont confrontées les mères pour comprendre ces changements ont été abordées, surtout lorsqu’elles n’ont ni outils, ni espaces de repos ou de répit.

Les animatrices ont proposé plusieurs suggestions pratiques pour aider les mères à interagir avec leurs enfants. Elles ont expliqué l’importance pour la mère d’écouter sans juger, de laisser l’enfant s’exprimer, même avec peu de mots ou à travers des dessins confus. L’idée de préparer une « boîte de sécurité » symbolique a été proposée : y placer des objets rassurants pour l’enfant, comme un tissu portant une odeur familière, un jouet ancien, ou même une pierre ramassée lors d’un moment de paix.

Les participantes ont été invitées à réfléchir à leur propre rôle pendant les moments de bombardement : se voient-elles transmettre leur panique à l’enfant ? Le cachent-elles en silence ? Nient-elles ses émotions pour le rassurer ? Cet exercice a été particulièrement marquant, les femmes échangeant à voix basse comme si elles redéfinissaient leur langage avec leurs enfants. « Je suis là », « Je te comprends », « La peur n’est pas une faiblesse »… Ces phrases sont devenues des messages de guérison. L’une des participantes a levé la tête et a dit : « Je réalise maintenant que je demande à mon enfant d’être fort, alors que je ne m’autorise pas à être faible devant lui. Peut-être est-ce pour cela qu’il se cache encore plus, car il n’a pas trouvé d’espace pour avoir peur, comme moi. »

Il est apparu que les femmes se reprochaient énormément de choses. On leur a donc demandé d’écrire une phrase exprimant leur culpabilité, puis de la déchirer, et de la remplacer par une phrase empreinte de compassion envers elles-mêmes : « Je ne suis pas une mauvaise mère, je suis juste fatiguée »« Je fais de mon mieux »« Je suis une mère, même si le monde s’écroule autour de moi ».

Ensuite, les animatrices ont guidé les participantes dans un exercice de méditation : imaginer trois cercles dans leur esprit. Le premier représente les peurs de leurs enfants, le deuxième leur réaction habituelle, et le troisième une réponse plus consciente et bienveillante. Cet exercice a provoqué une profonde introspection silencieuse, non sans douleur.

Puis vint le moment des confidences. Une mère a dit : « Mon fils me suit dès qu’il entend un bruit. Il me demande : Maman, est-ce que notre maison va tomber cette nuit ? Et je ne fais que sourire et lui mentir, alors que je pleure à l’intérieur. » Une autre a raconté : « Ma fille a eu peur du bruit de l’eau que je versais. Elle a cru que c’était une bombe. Elle s’est cachée et a crié. Je n’avais que mes bras. Je l’ai prise contre moi et lui ai dit : ce n’est pas une explosion, c’est juste de l’eau. » Une troisième a dit : « Mon fils a arrêté de dessiner. Il aimait dessiner un arbre, une maison, un chat. Maintenant, il ne touche plus un crayon. Il m’a dit hier : pourquoi dessiner une maison ? Elle ne restera pas debout. »

Aucune solution miracle n’a été proposée durant la séance, mais de simples idées basées sur de petits gestes : chanter une berceuse à l’enfant, même dans une tente étroite. Lui tenir la main et respirer lentement ensemble. S’asseoir avec lui pour lire une histoire ou raconter un conte d’enfance. Lui créer une routine : une tasse de thé à la même heure, une prière avant de dormir, un baiser sur le front, ou une phrase répétée chaque matin : « Je suis là. »

À la fin, une question a été posée : « Quel petit geste pouvez-vous faire aujourd’hui pour que votre enfant se sente en sécurité ? » L’une d’elles a dit : « Je vais lui préparer son petit-déjeuner préféré et lui caresser les cheveux en souriant. »
Une autre a dit : « Je vais laisser son dessin accroché sur le bord de la tente, pour qu’il sache qu’il y a quelque chose qui tient encore debout. »
Et une troisième a murmuré : « Je vais lui dire, de toutes mes forces, même si je suis effondrée… Je ne t’abandonnerai pas. »

Cette séance ne portait pas uniquement sur les enfants, mais sur les mères qui, chaque nuit, se tiennent au bord de l’effondrement et cachent leurs larmes dans l’obscurité pour ne pas les montrer à un enfant terrifié. Elle parlait de ces femmes qui n’ont pas le temps de craquer, car un enfant attend un sourire, un verre d’eau ou une étreinte pour ne pas sombrer.

Les femmes ont quitté la séance avec les mêmes douleurs, mais avec de petits outils et une prise de conscience nouvelle : que les cris ne s’apaisent pas dans le silence, que la peur ne disparaît pas avec des mensonges, mais qu’elle peut être apaisée avec de l’amour, de la présence et de l’écoute.

À Gaza, la maternité n’est pas qu’un instinct… C’est un combat quotidien contre l’effondrement.
Tenir son enfant pendant les bombardements…
Chanter à sa fille dans une école surpeuplée…
Caresser le front de son petit et lui dire :
je suis avec toi
C’est cela, et cela seulement, l’héroïsme.

Lien photos et vidéos

https://drive.google.com/drive/folders/11V7xxCDKyYq5NIdm_J8m9JY8rP8OHkQw

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