Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Destructions après destructions Gaza, les débris d’une ville

4 septembre 2025
Les vestiges de Gaza

Dans ce texte du 3 Septembre Abu Amir détaille la destruction de Gaza ville où plus aucune sécurité existe, tout devient mirage, fantômes entre les gravats.

À Gaza meurtrie, où résonnent les échos des bombardements mêlés aux cris des déplacés, se déroulent de nouveaux chapitres d’une tragédie marquée par des visages contradictoires, entre rumeurs et vérités, entre ce qui circule parmi la population et ce que l’occupation choisit de dissimuler. Ces dernières heures, des nouvelles se sont propagées parmi les habitants et les journalistes selon lesquelles la zone d’Al-Soudaniya, à l’ouest de la ville de Gaza, aurait été désignée comme zone sûre pour les déplacés, et qu’un hôpital de campagne y serait installé pour prodiguer quelques premiers secours à ceux qui survivent encore parmi les décombres. Les informations délimitent ce périmètre humanitaire de la jonction d’Al-Soudaniya au nord jusqu’au rond-point Al-Nablsi au sud, c’est-à-dire à l’ouest du quartier de Tel Al-Hawa, sur une profondeur de deux kilomètres vers l’est jusqu’aux rues Al-Jalaa, comme une petite carte d’espérance tracée sur un papier fragile. Mais le grand problème est que tout cela manque encore d’annonce officielle ou de confirmation du côté israélien. Les gens restent donc prisonniers de l’attente, entre promesse et trahison, guettant le moment où le flou se dissipera. Personne ne sait si les zones de l’ouest de Gaza deviendront réellement un refuge sûr, ou si ce n’est qu’un mirage poursuivi par ceux qui fuient la mort.

Face à ce discours sur une zone de sécurité, les flammes et la fumée s’élèvent simultanément des abords de la ville, offrant une toute autre réalité. Les destructions de bâtiments résidentiels se poursuivent à un rythme croissant dans le nord-est de Khan Younès, à Jabaliya, ainsi qu’à l’est des quartiers Al-Tuffah, Al-Shuja‘iyya et Al-Sabra. Comme si la machine de guerre ignorait l’arrêt, ne distinguant ni entre un immeuble encore debout ni entre des ruines déjà éventrées : même les pierres qui ne servent plus d’abri sont dynamitées et dispersées à nouveau. Quant au quartier de Zeitoun, devenu une véritable icône de destruction, les explosions y ont atteint un tel niveau que les habitants murmurent que l’occupation y cherche des fantômes parmi les gravats, car il n’y reste plus rien à faire sauter. Pourtant, la vague de dynamitage s’est étendue vers l’ouest, touchant ce qui, hier encore, était habité, comme si le but était d’effacer entièrement le quartier de la mémoire et de l’existence, dans une scène qui dépasse le cadre des affrontements militaires pour devenir une punition collective et un témoignage de la stratégie de destruction systématique.

Au cœur de ce tableau sombre, l’exode massif se poursuit : un fleuve humain s’écoule vers le sud, malgré l’encombrement étouffant dans les camps temporaires, où les tentes s’alignent serrées comme des poitrines oppressées par leur douleur, où les enfants trébuchent entre les jambes de leurs mères, et où les pères marchent le regard éteint, traînant derrière eux l’héritage d’une défaite forcée. Ils ont laissé leurs maisons, leurs clés et leurs rêves, pour se retrouver impuissants. La défense civile à Gaza n’a pu que déclarer qu’ils ont été abandonnés à leur sort, face à une incapacité insupportable : pas d’eau potable, pas de nourriture suffisante, aucune possibilité de répondre aux besoins humains les plus élémentaires. Toute la bande de Gaza s’est transformée en une immense tente respirant l’oppression sous un ciel saturé d’avions.

Derrière ce chaos sur le terrain se profile la dimension stratégique de l’opération militaire, dirigée par des fils visibles et d’autres dissimulés. Le discours officiel de l’occupation ne cesse de répéter que l’objectif central de l’invasion de Gaza est l’éradication du Hamas. Mais la réalité du terrain laisse entrevoir un objectif plus profond et plus sombre : effacer les fondements mêmes de la vie — maisons, écoles, hôpitaux, mosquées — afin de remodeler la géographie démographique de la bande et rendre la vie impossible. Comment des êtres humains pourraient-ils vivre sur une terre où il ne reste ni toit pour les abriter, ni lit pour accueillir leurs malades, ni école pour enseigner à leurs enfants ? C’est une politique de la terre brûlée exercée de sang-froid, qui pousse les habitants à l’exil et les contraint à chercher une nouvelle vie en dehors de Gaza. Voilà l’essence de ce que poursuit Israël : un déplacement collectif déguisé sous le couvert de la guerre contre la résistance.

Et tandis que l’urbanisme de Gaza s’écroule pierre après pierre, l’esprit de la population s’effondre avec lui, partagé entre l’attachement à la survie et la résignation au destin. Chaque rue est devenue une adresse de tragédie, chaque coin porte une histoire de perte. Des familles entières sont ensevelies sous les décombres sans trouver personne pour les dégager, et les listes de disparus s’allongent sans fin. Quand les déplacés se retournent, ils ne voient qu’une poussière épaisse engloutissant leur mémoire, ne leur laissant que la prière que les jours à venir les portent vers une rive de sécurité lointaine — aussi lointaine qu’un rêve irréalisable.

Quant à la communauté internationale, elle se contente d’observer la scène à distance : tantôt par des communiqués de condamnation tièdes, tantôt par des promesses d’aide qui n’arrivent jamais. Gaza reste ainsi dans un combat inégal entre une résilience cherchant à reprendre souffle et une force brutale sans pitié. Chaque heure qui passe prouve que la situation n’est plus une simple bataille militaire entre une armée et une résistance, mais un projet complet visant à vider Gaza de ses habitants, à effacer son histoire et à mettre fin à son existence comme espace viable. Les maisons sont démolies en masse, les hôpitaux cessent un à un de fonctionner, et les écoles sont transformées en ruines ou en abris misérables, impropres même à accueillir des êtres humains.

Le plus douloureux est que la scène du quartier de Zeitoun est devenue un modèle qui se répète ailleurs : à Khan Younès au nord, à Jabaliya à l’est, à Shuja‘iyya, à Al-Sabra et à Al-Tuffah, le même schéma se reproduit : destruction après destruction, comme s’il y avait une volonté obstinée de ne laisser debout aucun mur, de n’épargner aucune mémoire urbaine, et avec elles d’effacer la mémoire des gens eux-mêmes. Gaza devient ainsi une toile vide, attendant que d’autres y écrivent ce qu’ils veulent.

Au milieu de tout cela, la voix des déplacés reste celle qui secoue le plus la scène : des enfants qui demandent « Où est notre maison ? » sans réponse ; des femmes qui tentent d’arracher un morceau de pain au néant, trébuchant entre promesses non tenues et réalité toujours plus dure ; des hommes qui tirent de petites charrettes chargées de leurs maigres biens, conscients qu’ils avancent vers l’inconnu, même si leur direction semble être le sud. Mais ni le sud n’est sûr, ni le nord possible : toute Gaza est devenue un espace ouvert à l’errance.

Ainsi les faits s’imposent sous nos yeux : ce qui se déroule n’est pas une guerre passagère, mais un nouveau chapitre d’une épopée de déplacement collectif, écrit aux dépens d’un peuple sans défense. La force brutale y est utilisée comme outil de remodelage de l’avenir : un avenir où le Palestinien n’a pas sa place sur sa propre terre, où cette petite parcelle du monde doit être redessinée selon les ambitions de l’occupation, fût-ce au prix d’arracher les gens à leurs racines, de disperser leur histoire et de transformer Gaza en vestige disparu.

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