Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | « Écrivez sur nous… avant que nous ne devenions poussière »

23 mars 2025
Gaza le 23 Mars 2025

Le 23 Mars Abu Amir nous envoie deux textes : le récit d’un habitant de Gaza et la description apocalyptique de la situation actuelle.

Témoignage d’un habitant de Gaza :

Je m’appelle Ibrahim, j’ai quarante ans et je vis dans la bande de Gaza… Ou pour être plus honnête, j’essaie de vivre. Je ne sais pas si ce que nous vivons ici peut encore être appelé une « vie », mais ce que je sais, c’est que je me suis réveillé aujourd’hui, non pas parce que j’ai bien dormi, mais parce qu’un missile est tombé près de nous, faisant trembler la tente où nous vivons.

Je ne suis ni écrivain, ni journaliste, je ne cherche pas la célébrité. Mais j’écris, parce qu’il ne me reste plus que les mots. J’écris pour dire que nous sommes encore là… même si le monde semble agir comme si nous avions disparu.

J’habitais une petite maison à Khan Younès. Elle était modeste, mais elle était à nous. On y entendait les cris de mes enfants, l’odeur des plats préparés par ma femme, les rires du soir quand l’électricité était coupée et que nous nous réunissions autour d’une bougie. Nous rêvions, malgré tout. Nous rêvions d’un jour où la souffrance s’arrêterait, où nous vivrions sans blocus, sans peur, sans avions qui tournent au-dessus de nos têtes chaque nuit.

Mais cette guerre… a tout changé.

Le cinquième jour de la guerre, je me suis réveillé au son des cris. Des gens couraient dans les rues, des enfants pieds nus, des femmes affolées. La maison voisine avait été bombardée, les murs étaient soufflés, l’air rempli de poussière et de hurlements. J’ai pris mes trois enfants, ma femme enceinte, et j’ai couru, sans savoir où aller. Nous vivons maintenant dans une tente près de l’hôpital européen. Une tente ? Plutôt un bout de tissu usé qui ne nous protège ni du froid, ni de la pluie. Depuis plusieurs jours, nous sommes trempés. Le sol est boueux, les couvertures humides, et le froid ronge nos os. Ma plus jeune fille pleure toute la nuit, et mon fils du milieu me demande chaque matin : « Papa, quand est-ce qu’on rentre à la maison ? » Et je baisse les yeux… parce que je n’ai pas de réponse.

Depuis plus de dix-sept ans, nous vivons sous blocus. Nous comptons les heures d’électricité, nous attendons l’eau comme les pauvres attendent un morceau de pain. Nous n’avons jamais vu notre mer sans être encerclés. Nous n’avons jamais vu d’aéroport, ni de voyage, ni même un horizon ouvert au rêve.

Tous les quelques années, une guerre. Avec des noms différents, mais la même douleur. Les maisons s’effondrent, les corps sont ramassés, et nous recommençons… dans la boue, dans l’obscurité, dans le silence terrible du monde.

Dans cette guerre, j’ai perdu mon frère. Je n’ai jamais retrouvé son corps. Ils l’ont enterré sous les décombres, comme des centaines d’autres. Sa femme vit aujourd’hui avec nous, dort à nos côtés, tenant la photo de son mari et pleurant doucement… comme si elle ne voulait pas déranger la mort.

Je n’écris pas pour susciter la pitié, mais pour dire la vérité. Nous ne sommes pas des chiffres dans des bulletins d’information, ni des scènes dans les journaux télévisés. Nous sommes des êtres humains. Nous sommes des pères, des mères, nous portons nos enfants, nous rêvons pour eux d’un avenir. Nous voulons simplement vivre dignement. Nous ne sommes les ennemis de personne. Nous sommes les victimes. Les victimes de l’occupation, du silence, d’un monde qui a tout vu… et choisi de ne rien faire.

Mes enfants n’ont pas vu une école depuis des mois. Ma femme a accouché de notre quatrième enfant sur le sol, sans médecin, sans chambre, sans même de l’eau potable.

Je veux vieillir et voir mon fils aller à l’école, pas être porté petit jusqu’à une tombe anonyme. Tout ce que nous voulons… c’est la vie.

Certains d’entre vous ont la voix, l’image, la liberté. Utilisez-les. Ne nous laissez pas mourir deux fois : une fois sous les décombres, et une autre dans votre silence.

Je suis Ibrahim, de Gaza. Je raconte ce que nous vivons avant que nous ne devenions poussière.
Je parle… parce que malgré tout, nous aimons encore la vie.

Texte d’Abu Amir le 23 Mars

Les avions de l’armée israélienne, accompagnés de leur artillerie, continuent de bombarder les maisons des citoyens dans toutes les régions de la bande de Gaza, laissant derrière eux des dizaines de morts civils innocents, pour la plupart des femmes et des enfants. Les sirènes d’ambulance hurlent sans arrêt, tandis que les colonnes de fumée s’élèvent des décombres des maisons détruites.

L’exode des habitants se poursuit comme un torrent incontrôlable, fuyant la mort depuis plusieurs zones du sud de la bande de Gaza, en particulier la ville de Rafah, notamment les quartiers de Tal al-Sultan et de la Shaboura. Dans le nord de la bande, des foules de déplacés continuent d’affluer vers l’ouest de la ville de Gaza, tentant de survivre avec ce qu’il leur reste.

Depuis la nuit dernière jusqu’au matin d’aujourd’hui, les corps de 40 personnes tuées ont été transportés vers les hôpitaux de la bande de Gaza. Ce chiffre ne reflète cependant pas l’ampleur réelle du massacre. De nombreux morts et blessés restent encore étendus au sol dans le quartier saoudien et la zone des Baraqsat à Rafah, sans que les équipes de secours ne puissent les atteindre, leurs corps abandonnés sous les décombres ou en pleine rue.

Le Croissant-Rouge palestinien a annoncé que ses équipes sont toujours encerclées dans la ville de Rafah, en attente du feu vert des organisations internationales qui coordonnent avec l’armée israélienne, laquelle refuse jusqu’à présent de leur permettre d’agir. Comme à son habitude, Israël piétine toutes les lois internationales garantissant la protection des équipes médicales et de secours.

La bande de Gaza est au bord d’une catastrophe humanitaire. Un génocide en cours, des assassinats systématiques, une famine imposée à plus de deux millions de personnes, le tout sous un silence international honteux, qui frôle la complicité. La fermeture totale des points de passage, l’empêchement d’acheminer nourriture, eau et médicaments, constituent des crimes de guerre au regard du droit international. Pourtant, le monde se tait. Comme si les lois censées protéger les peuples ne s’appliquaient pas aux Palestiniens.

Le secteur de la santé s’effondre. Les hôpitaux sont remplis de blessés, mais vides de matériel médical. Les amputations sont pratiquées à la lumière des téléphones portables, et les césariennes sans aucune anesthésie, au milieu des cris de douleur des patients. Les médecins, impuissants, travaillent avec leurs mains nues, réutilisant des tissus souillés pour panser les blessures. Ils pleurent en silence tout en tentant de sauver ce qui peut l’être.

La famine commence à frapper les enfants. L’eau potable est devenue un luxe inaccessible. Les tentes ne protègent ni du froid ni de la chaleur. À Gaza, personne n’est à l’abri. Personne n’échappe à la mort, à la faim, ou à la souffrance. C’est un génocide retransmis en direct, un crime en plein jour qu’on tente de faire passer pour un simple détail de l’histoire.

Quelle justice permet qu’un enfant meure de faim sous une tente ? Quelle loi autorise qu’un peuple entier soit affamé sans que personne ne réagisse ? Sommes-nous exclus de l’humanité ? Sommes-nous voués à mourir en silence, à voir notre existence effacée comme si nous n’avions jamais été là ?

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