Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Gaza un document vivant de la trahison du monde

9 mai 2025
Réchaud fonctionnant au kérosène

En ce 8 Mai Abu Amir nous a envoyé deux textes regroupés dans cette chronique : le premier évoque le retour à la lanterne et le second envoie une photo de Gaza dans le silence du monde

Quand les habitants reviennent à l’ère des réchauds, des lanternes et du feu à ciel ouvert
Dans la bande de Gaza, la guerre ne se mesure pas uniquement par le nombre de morts ou le vacarme des avions de chasse dans le ciel, mais par ce qu’elle détruit dans les détails du quotidien, par ce qu’elle déracine des fondements de la survie, forçant les gens à retourner à des époques qu’ils croyaient révolues à jamais. L’agression continue depuis octobre 2023, accompagnée d’un blocus implacable, n’a pas seulement démoli des bâtiments : elle a anéanti des modes de vie et ramené la population, de force, à l’époque des réchauds manuels et des lanternes en verre.
Privés presque totalement d’électricité et interdits d’accès au carburant et au gaz de cuisine, les habitants se retrouvent assiégés non seulement par les bombes, mais aussi par l’obscurité et la faim. Ils ont dû recourir à des moyens rudimentaires pour cuisiner et s’éclairer, comme si le temps avait basculé en arrière de plusieurs décennies. Le vieux réchaud en cuivre fonctionnant au kérosène – utilisé au début du siècle dernier – a refait surface dans les cuisines des familles sinistrées de Gaza, malgré son odeur piquante, son vacarme il reste moins nocif que la fumée étouffante du bois brûlé.
Avec la disparition des gazinières, ces vieux réchauds sont devenus un trésor pour ceux qui en possèdent. Quant aux autres, ils ont dû allumer des feux avec du bois ramassé, parfois avec les meubles brisés ou les débris des maisons détruites, voire en puisant du bois près des zones frontalières dangereuses. Certains brûlent du carton, des tissus usés, ou même du plastique, malgré les graves risques pour la santé.
Le “kanoun” – un récipient en métal où l’on allume le feu pour cuisiner – a également refait surface, illustrant l’absence totale d’alternatives. Beaucoup préparent désormais eux-mêmes leur pain, sur un feu de bois ou de plastique, faute d’autres options. Préparer un repas est devenu un défi qui prend des heures et nécessite une quantité de bois difficile à rassembler.
Quant à l’éclairage, il est devenu un luxe inaccessible. Les batteries sont épuisées, les lampes solaires inutilisables en l’absence de pièces de rechange ou de moyens de réparation. Les gens se tournent de nouveau vers les “lanternes en verre” traditionnelles, remplies de kérosène et allumées avec une mèche, produisant une lumière faible à peine suffisante pour voir autour. En l’absence d’importation de lampes ou de torches, la lanterne est devenue le moyen le moins coûteux, bien qu’elle ne soit pas sans danger.
Face à cette réalité, certains métiers que l’on croyait disparus ont ressurgi. Les ateliers de réparation de réchauds au kérosène ont repris leur activité, et la demande en pièces détachées anciennes a explosé. Certains se sont mis à fabriquer le kérosène de manière artisanale à partir de plastique recyclé, une méthode primitive et dangereuse. Avec l’aggravation de la crise, les prix des carburants ont flambé : un litre de kérosène importé ou de contrebande coûte entre 25 et 30 euros, tandis que le kérosène fabriqué localement à partir de plastique coûte entre 17 et 20 euros le litre.
La politique israélienne, fondée sur le blocus, la famine et la destruction systématique, ne vise pas uniquement une domination militaire sur Gaza. Elle cherche, à la fois de manière sournoise et explicite, à rendre la vie sur place insupportable, pour que les habitants perdent toute capacité à survivre et ressentent profondément que le départ est leur seule issue. Quand la nourriture et les médicaments sont interdits, que les maisons sont détruites, l’électricité et l’eau coupées, les passages fermés, et que les cadavres restent sous les décombres sans être extraits, le message israélien est clair : “Partez… cette terre n’est plus vivable”. Le retour forcé aux outils anciens pour cuisiner et s’éclairer – des réchauds au kérosène au bois, jusqu’aux lanternes – démontre que l’occupant ne se contente pas de détruire, mais tente de faire régresser la société palestinienne à Gaza de plusieurs décennies, dans une tentative de briser sa dignité et d’anéantir son tissu social. C’est une stratégie d’exode “en douceur”, qui flirte avec la mort sans la déclarer ouvertement, pour pousser à un déplacement massif de population et vider Gaza de ses habitants – un déplacement forcé à grande échelle destiné à régler la question palestinienne à la racine.
Tout cela se déroule dans le cadre d’une politique qui transforme chaque acte – cuisiner, s’éclairer – en mission exténuante, coûteuse en énergie, en temps, et en dignité. Gaza ne revient pas en arrière par choix, mais par la force. Ses habitants n’ont pas choisi de remplacer le gaz par le bois, ni d’éclairer leurs maisons à la lanterne – ils y sont contraints, dans un silence international étouffant et une indifférence mondiale glaçante.
Dans chaque maison, une flamme brûle – pas seulement celle du feu de cuisson, mais celle de la résistance. Ces vieux réchauds, ressuscités des ruines, sont devenus aujourd’hui un symbole de résilience. Ils ne représentent pas seulement un outil de survie, mais une déclaration d’une volonté inébranlable. Chaque flamme allumée sur un réchaud porte un message : nous sommes là, malgré le blocus, malgré l’obscurité, malgré la faim, nous vivons, nous cuisinons, nous éclairons nos foyers, nous résistons.
Ainsi, la guerre ne se joue plus seulement dans le ciel, mais dans chaque foyer, dans chaque marmite posée sur un feu, dans chaque flamme qui éclaire une nuit interminable. Gaza, cette ville contrainte de vivre dans le passé, continue néanmoins à écrire avec son sang et son feu les chapitres de son histoire. L’histoire d’un peuple qui ne cède pas, même s’il doit revenir aux outils de ses ancêtres. L’histoire d’une ville qui ne s’est pas éteinte, mais a rallumé ses flammes à partir de ses cendres.
Mais y a-t-il quelqu’un pour écouter ? Y a-t-il un sauveur ?
Ou bien la lanterne restera-t-elle le seul guide des Gazaouis dans une nuit sans fin… sans aube en vue ?

Gaza… la ville engloutie par les décombres, qui continue de respirer le silence du monde
Gaza n’est plus une ville habitée par la vie. Elle n’est plus un visage de l’aube, ni un appel à l’espoir, ni même une étendue géographique mesurée par sa superficie et ses frontières. Gaza est devenue une mémoire lourde, respirant par une bouche brisée, gémissant sous des ruines qui ne sont plus seulement des pierres, mais des tombes grandes ouvertes sous un ciel sans fin.
Plus de 17 mois de bombardements continus, plus de 100 000 tonnes d’explosifs ont été larguées sur ce petit ruban de terre, laissant derrière elles près de 50 millions de tonnes de décombres, qu’on ne mesure pas en mètres cubes, mais en silence, et qu’on compte par le nombre d’histoires éteintes sous les gravats.
La ville s’est transformée en ruines sans identité. 85 % des bâtiments de la bande ont été pulvérisés, 450 000 unités résidentielles détruites, fissurées ou endommagées. Ce qui reste tient debout comme des fantômes, appuyés sur des murs fragiles, attendant le prochain obus. Les ruelles ne sont plus seulement étroites, elles sont désormais étouffées par les gravats, empilées sur les récits, enterrées dans les poitrines de ceux qui ont survécu… ces vivants qui sont morts mille fois sans que leur nom figure sur une liste de victimes.
Chaque pierre ici porte un nom. Chaque coin abrite un lit d’enfant disparu, un Coran à moitié brûlé, une robe de mariée jamais portée. Les décombres à Gaza ne sont pas seulement du ciment et du fer, mais des couches de temps, de blessures, et de trous béants dans la mémoire d’un peuple qui ne possède même pas le luxe de pleurer.
Ici, il n’y a ni zones sûres, ni maisons intactes, ni même un arbre encore debout. Même les cimetières ont été détruits. Même le silence est devenu terrifiant. Même l’air est devenu irrespirable face à l’horreur des massacres.
Dans le quartier de Chuja’iyya, où la vie battait entre les étals et les passants, les ruelles sont devenues un labyrinthe de ruines, où les murs crient sans voix. À Rafah, des familles entières ont disparu des registres civils, il ne reste d’elles que quelques photos sous les décombres, ou leurs noms écrits sur les murs fracassés. À Beit Lahia, des enfants sortent pieds nus de dessous les tentes pour inspecter des ruelles qui furent autrefois un terrain de jeu, et sont aujourd’hui devenues des cimetières.
Gaza n’est plus une ville détruite, c’est un document vivant de la trahison du monde, et de violences inouïes que même les villes envahies par les armées de la Seconde Guerre mondiale n’ont pas connues. Berlin n’a pas été détruite comme Gaza l’a été. Hiroshima n’a pas été bombardée avec une telle brutalité continue. Aucune ville n’a été effacée comme l’a été cet endroit, sans que la conscience mondiale ne frémisse.
La tragédie n’est plus un simple fait divers dans les bulletins d’information, c’est une réalité criée par les murs effondrés, les rues pleines d’orphelins, et les camps devenus des foyers permanents, non temporaires. À Gaza, les gens ne dorment pas seulement sans électricité ni eau… mais sans lendemain, sans idée de survie, sans garantie de se réveiller vivants.
Et ce ne sont pas seulement les décombres qui racontent l’histoire. La faim aussi participe à cette sombre épopée. Chaque jour nouveau signifie une nouvelle file devant un point de distribution de farine, une nouvelle larme devant un centre alimentaire bombardé, et d’autres soupirs d’une mère faisant cuire de l’eau pour que ses enfants ne sentent pas le froid et la faim en même temps.
Et malgré tout cela, Gaza continue de respirer. Non pas parce que la vie l’aime, mais parce qu’elle refuse la mort totale. La ville, avec ses ruines, ses fantômes, ses ventres affamés, et ses enfants qui n’ont connu que le bruit des explosions, continue de résister… non pas par les armes, mais par la patience, par la persévérance, et par cette incroyable capacité à dire : Nous sommes là.
Au milieu de ces destructions, les âmes se tiennent sur leurs bords. Les gens vivent comme des spectres, évoluant dans des fragments de vie brisés, tentant de reconstruire leur journée avec ce qu’il reste de mémoire, et ce qu’il reste de souffle.
Gaza n’est plus une ville, mais un témoignage écrit avec la chair des humains. Une preuve accablante d’une barbarie sans limites, et d’un silence international devenu complice du crime. Et au cœur de toute cette destruction, une question résonne dans chaque ruelle détruite, sur la bouche de chaque mère ayant perdu ses enfants : Jusqu’à quand ce tas de ruines couvrira-t-il la vérité ?
Gaza ne demande ni pitié, ni justice… Elle accuse le monde entier, et lui dit clairement : Lorsque vous vous taisez face au génocide, vous en devenez complices.

 

 

 

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