Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Gaza , une terre d’enjeux stratégiques et d’intérêts économiques

11 septembre 2025
Crédit Photo site ISM France

Le texte d’Abu Amir du 10 Septembre analyse les intérêts majeurs que repésentent la bande de Gaza pour les puissants de ce monde : écraser un peuple et provoquer une tragédie pour que chacun puisse gèrer ses propres objectifs

Gaza n’est pas seulement une ville sur la côte, c’est un territoire assiégé depuis plus d’une quinzaine d’années, où vivent plus de deux millions de personnes dans la plus grande prison à ciel ouvert du monde. Privés de liberté de mouvement, d’électricité, d’eau et de médicaments, ses enfants naissent sous blocus, grandissent sous les bombardements et ne connaissent pas l’enfance comme les enfants du reste du monde. Ses femmes font leurs adieux à leurs fils et maris sans tombes dignes d’eux, car les cimetières sont saturés. Ses vieillards attendent la mort sous les décombres, tandis que le monde observe avec froideur, comme si les Palestiniens de Gaza étaient destinés à servir de carburant pour les guerres et de matière pour les bulletins d’information. Leurs maisons sont détruites sur leurs têtes par décision politique glaciale, leurs corps déchiquetés par des armes sophistiquées fabriquées dans des pays qui prétendent défendre les droits de l’homme. Gaza vit une tragédie sans précédent dans l’histoire : une terre assiégée par terre, mer et air, un peuple puni pour n’avoir pas renoncé à son identité, un sang versé impunément sous les yeux d’un monde qui choisit le silence, transformant l’oppresseur en bourreau et la victime en accusé. Voilà la vérité cruelle : le Palestinien de Gaza est puni simplement parce qu’il est Palestinien, privé de ses ressources, de sa liberté, et même de son droit à une vie digne, dans l’une des pires formes d’injustice collective que l’humanité moderne ait connues.

La guerre contre Gaza n’a jamais été le simple reflet de l’événement du 7 octobre, comme le colportent les médias occidentaux et israéliens. C’est une guerre aux racines enchevêtrées, aux causes profondes, inscrite dans les calculs des grandes puissances qui dépassent de loin le cadre immédiat. L’enjeu n’est pas seulement une riposte militaire ou une question de sécurité, mais aussi des intérêts stratégiques et économiques liés aux ressources naturelles, en particulier le gaz naturel. Celui-ci est présent en grande quantité dans le champ Gaza Marine, situé à une trentaine de kilomètres au large du littoral, qui contiendrait environ un trillion de pieds cubes de gaz naturel — soit près de trente milliards de mètres cubes. Certaines estimations l’élèvent même à 1,4 trillion de pieds cubes. C’est une quantité immense pour les Palestiniens, suffisante pour couvrir leurs besoins pendant des décennies, et leur permettant d’exporter le surplus et de générer des milliards de dollars de revenus capables de transformer leur économie, en la faisant passer d’une dépendance chronique à l’aide extérieure vers une forme d’autonomie. Mais c’est précisément ce qu’Israël et les puissances occidentales refusent : l’émergence d’une Palestine économiquement forte bouleverserait les équilibres de pouvoir et de domination dans la région. Ainsi, le dossier du gaz est au cœur des motivations de la guerre.

Depuis la découverte du champ à la fin des années 1990, Israël n’a cessé d’entraver toute tentative palestinienne d’exploitation, invoquant la sécurité ou imposant des obstacles juridiques et bureaucratiques, en s’appuyant sur les zones d’ombre des accords d’Oslo qui n’ont jamais réglé la question du tracé maritime. Cela a maintenu les Palestiniens dans une position de faiblesse, incapables de bénéficier de leurs propres ressources sans l’aval de l’occupation. L’importance du dossier s’est accrue ces dernières années avec la crise énergétique européenne provoquée par la guerre en Ukraine et la recherche désespérée de sources alternatives au gaz russe. Dès lors, le gaz de la Méditerranée orientale est devenu l’objet de toutes les convoitises européennes, et Israël cherche à se positionner comme le principal fournisseur via des projets d’exportation d’envergure. Cela explique sa volonté de monopoliser les champs maritimes et de veiller à ce que les Palestiniens ne deviennent pas des concurrents potentiels sur ce marché stratégique. Israël exploite déjà d’immenses gisements comme Léviathan et Tamar, et signe des contrats à long terme avec l’Égypte, la Jordanie et même l’Europe, consolidant ainsi son statut de puissance énergétique régionale.

La possession d’un champ gazier de la taille de Gaza Marine par les Palestiniens, s’il était exploité indépendamment, signifierait leur entrée sur le marché de l’énergie en tant que fournisseur fiable, avec des revenus conséquents soutenant leur résistance et réduisant leur dépendance à l’occupation. Cela constitue une menace stratégique pour Israël. Pour cette raison, la poursuite de la guerre et le maintien de Gaza dans un état de destruction, de faiblesse et de siège facilitent l’imposition d’une tutelle israélienne sur tout investissement futur. Ainsi, le champ ne pourrait être développé que par des compagnies internationales, sous supervision israélienne ou dans le cadre d’accords régionaux, privant les Palestiniens du contrôle de leur destin économique.

Mais le gaz n’est pas la seule motivation. Gaza occupe une position géostratégique unique sur la côte méditerranéenne, à la jonction de l’Asie et de l’Afrique. Contrôler Gaza confère un avantage logistique immense. D’où les plans de réorganisation démographique et politique promus sous des appellations comme le « Deal du siècle » et d’autres projets similaires, visant à affaiblir Gaza et à pousser ses habitants vers le Sinaï ou ailleurs, afin de décharger la terre de son poids humain et de la transformer en une zone exploitable sur les plans sécuritaire et économique, sans résistance. La guerre est donc un instrument pour assouplir la situation et préparer le terrain à des transformations majeures dans la géopolitique régionale.

Quant au silence international, il ne s’agit pas seulement d’impuissance ou d’indifférence, mais du reflet d’intérêts croisés. Les grandes puissances savent pertinemment qu’elles pourraient mettre fin à la guerre en quelques jours si elles le voulaient, mais elles s’en abstiennent parce que la poursuite du conflit sert leurs objectifs stratégiques. L’Europe voit en Israël sa porte d’entrée vers le gaz, et tout projet palestinien indépendant pourrait brouiller ses calculs. Les États-Unis considèrent la guerre comme un moyen de consolider l’hégémonie d’Israël en tant que bras avancé dans la région, et comme un outil pour maintenir l’Iran et ses alliés sous pression. Ils y voient aussi une opportunité en or pour les industries de l’armement, qui écoulent leurs produits et les testent sur le terrain. Même d’autres puissances mondiales comme la Russie et la Chine, bien qu’elles affichent leur soutien aux Palestiniens dans les forums internationaux, trouvent dans le chaos du Moyen-Orient un allègement de la pression sur elles dans les dossiers ukrainien et taïwanais. Elles ne cherchent donc pas une solution globale, préférant profiter de l’embarras occidental et exposer son hypocrisie.

Il devient ainsi évident que la guerre n’est pas seulement une réaction à une opération militaire, mais fait partie d’un projet plus vaste de contrôle des ressources et de redéfinition des équilibres de pouvoir. Les ambitions israéliennes de domination du marché du gaz rencontrent le besoin urgent de l’Europe en énergie, la volonté des États-Unis de maintenir leur emprise sur la région, et les intérêts des fabricants d’armes dans la perpétuation du conflit. Mettre fin à la guerre n’est pas techniquement difficile : Washington pourrait faire pression sur Israël et l’arrêter à tout moment. Mais ce qui l’empêche de le faire, c’est que la guerre profite en silence à toutes les grandes puissances, tandis que les Palestiniens demeurent les plus grands perdants, pris en étau entre les bombardements, les convoitises gazières et des rêves de liberté étouffés encore et encore.

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