Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Gaza vit un état de confusion collective
7 novembre 2025
Un texte d’Abu Amir le 7/11 qui décrit Gaza aujourd’hui : entre une trêve incomprise et une sécurité sans repères
Gaza traverse aujourd’hui l’une des phases les plus complexes et les plus ambiguës qu’elle ait connues depuis des années. Après deux années de guerre, de destruction et d’hémorragie humaine, la région est entrée dans un processus de négociation ayant abouti à un accord annoncé par des acteurs internationaux et régionaux, sans pour autant qu’il ne se traduise clairement sur le terrain, ni que ses détails ne soient explicites pour le citoyen, pourtant le premier concerné par ses conséquences. Contrairement à ce que vivent habituellement les peuples après un accord de cessez-le-feu ou de trêve, Gaza n’a pas connu un moment de clarté, mais plutôt un moment d’incertitude, car l’accord demeure flou dans ses contours, incertain dans son application, et ses résultats annoncés restent suspendus sans calendrier précis.
Sur le plan sécuritaire, Gaza vit dans un état de « ni guerre, ni paix ». Les tirs cessent à certains moments pour reprendre à d’autres, les mouvements militaires diminuent dans certaines zones et se poursuivent dans d’autres, et l’on parle de retraits, de repositionnements ou d’arrangements de terrain davantage dans les médias que dans la réalité. Cette situation non tranchée génère une profonde inquiétude parmi la population, car pour elle, la sécurité n’est pas une déclaration politique, mais la possibilité pour les enfants de dormir sans peur et pour les familles de se déplacer sans subir de bombardements ou de déplacements forcés. Cela n’a pas encore pleinement été atteint.
Dans les rues de Gaza, les mêmes questions reviennent sans cesse : la guerre est-elle vraiment terminée ? Peut-on revenir chez nous ou devons-nous rester dans les zones de déplacement ? Quel sera le sort des points de passage ? Qu’en est-il de la reconstruction ? Des prisonniers ? Des garanties ? Personne n’a de réponse précise. L’accord annoncé est apparu vague dans ses dispositions, sujet à de multiples interprétations, sans être expliqué à la population dans un langage clair qui la rassure ou l’aide à se préparer. Cette absence de détails n’a pas seulement laissé place à l’interprétation, elle a aussi ouvert la porte aux rumeurs, et chaque heure apporte son lot de nouvelles versions : tantôt une trêve durable, tantôt un retour imminent de la guerre, tantôt des clauses non divulguées, tantôt des conditions négociées en coulisses. En l’absence d’information officielle claire, le citoyen de Gaza comble le vide avec ce qu’il entend ou imagine, car l’attente dans l’inconnu est psychologiquement plus lourde que la vérité, aussi dure soit-elle.
L’état de confusion collective que vivent aujourd’hui les habitants n’est pas un manque de conscience, mais le résultat naturel d’un contexte anormal. Celui qui a vécu les bombardements, les déplacements, les massacres et la perte d’êtres chers ne peut soudainement embrasser une nouvelle phase sans en comprendre les conditions, ni accorder sa confiance à des promesses sans garanties concrètes sur le terrain. Ce qui trouble le plus les gens aujourd’hui n’est pas tant la peur de la guerre que l’incertitude sur sa fin réelle Ce qui se passe est-il le prélude à une conclusion proche ou un nouveau chapitre d’une longue histoire dont nul ne connaît l’issue ?
Sur le plan sécuritaire également, un vide semble entourer la gestion quotidienne. Avant la guerre, des autorités clairement identifiées géraient les affaires civiles et sécuritaires. Pendant la guerre, la situation était réglée par la logique du pouvoir militaire. Mais aujourd’hui, Gaza est prise dans une zone grise : aucune autorité ne gère complètement la situation, aucune force d’occupation ne redéfinit explicitement sa position, et aucune puissance locale n’est en mesure d’imposer une stabilité globale avant que les termes finaux des accords ne se dessinent. Cet entre-deux permanent est comme une braise sous la cendre : il ne permet pas aux citoyens de sentir que le danger est écarté, ni de se projeter dans l’avenir.
Dans ce brouillard politique et sécuritaire, les crises quotidiennes n’attendent pas : les hôpitaux sont à bout, l’aide est insuffisante, les infrastructures sont détruites, des familles sont sans abri, et les marchés tournent au ralenti quand ils fonctionnent encore. Dans un tel contexte, les habitants ne demandent pas un discours politique complexe, mais des réponses simples : sommes-nous en sécurité ? Pouvons-nous commencer à rebâtir ? Le déplacement forcé est-il terminé ? Les points de passage vont-ils rouvrir ? Existe-t-il un horizon clair ou restons-nous dans l’impasse ? À ce jour, ces questions se heurtent au silence officiel, à des réponses vagues ou à des analyses médiatiques contradictoires, ce qui accroît l’angoisse collective et renforce l’impression que Gaza se décide dans l’ombre des coulisses, non selon les réalités de la rue qui en subit les conséquences.
Malgré tout cela, les Gazaouis n’ont pas perdu leur capacité d’adaptation. La vie ne s’est pas totalement arrêtée, les marchés ne se sont pas tus, et dans les files d’attente pour le pain ou devant les centres d’hébergement, les conversations oscillent entre humour amer et espoir prudent. Ils pressentent, par l’expérience, que les périodes de transition sont toujours chaotiques, que la vérité n’arrive jamais d’un coup, mais se dévoile peu à peu. Pourtant, ils refusent que leur destin reste suspendu sans transparence, car la chose la plus précieuse qu’ils ont perdue ces deux dernières années n’est ni leurs biens ni leurs maisons, mais la confiance et celle-ci ne peut revenir qu’à travers la clarté.
Aujourd’hui, ce dont Gaza a le plus besoin n’est pas d’un nouvel accord, mais d’une explication claire de l’accord existant. Pas de déclarations politiques, mais d’informations concrètes, sans détours. Pas de promesses repoussées, mais des mesures tangibles qui restaurent progressivement le sentiment de sécurité. Une société qui sort de la guerre ne se reconstruit pas avec des termes diplomatiques, mais avec des faits simples : l’arrêt réel de la guerre, le retour digne des déplacés, l’ouverture stable des points de passage, un véritable plan d’aide et de reconstruction, et un calendrier précis qui transforme le mot « bientôt » en une échéance sur laquelle on peut compter.
Gaza aujourd’hui ne réclame pas l’impossible. Elle demande la clarté. Elle ne réclame pas une victoire absolue, mais un minimum de certitude. Car ce qui épuise le plus un peuple, ce n’est pas seulement les bombardements… c’est d’attendre le lendemain sans savoir à quoi il ressemblera.
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