Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Histoires d’exil et de patience : atelier de soutien psychologique
11 mai 2025Chaque semaine nous recevons comme aujourd’hui le 10 Mai le compte rendu, le récit du soutien psychologique pour les femmes dans les camps de déplacé.e.s. La poursuite et l’intensification de ce type d’ateliers ne relèvent pas d’un luxe psychologique, mais d’une nécessité humaine urgente en temps de catastrophe. Ils donnent aux femmes des ailes intérieures invisibles qui les aident à s’élever, même un peu, au-dessus des décombres, et leur rendent un peu de leur équilibre dans un monde qui s’effondre autour d’elles.
Par un après-midi de printemps accablant, vingt femmes déplacées du camp des Amis, à l’ouest de Deir al-Balah, se sont réunies pour une séance de soutien psychologique intitulée : “Histoires d’exil et de patience”. Cette séance était un espace pour reprendre son souffle, une pause temporaire dans le vacarme de la douleur, un petit havre pour se réconcilier avec soi-même, loin du tumulte des tentes et de la dureté de la vie.
Dès les premiers instants, les femmes ont senti que cet atelier était différent. L’animatrice a ouvert la séance avec des mots chaleureux, soulignant que tout ce qui serait dit resterait dans un cadre de confiance, que cet espace existait pour accueillir les émotions lourdes, et non pour juger ou comparer. Elle a ensuite invité les participantes à fermer les yeux calmement, à se concentrer sur leur respiration, à suivre le mouvement de l’air entrant et sortant, comme si elles tentaient de reprendre le contrôle de leurs corps épuisés par la peur, les nuits blanches et l’errance. Certaines ont soupiré profondément pour la première fois depuis des mois, d’autres ont laissé couler des larmes silencieuses, comme si leurs corps abandonnaient la garde du silence pour laisser sortir la tristesse. Puis l’animatrice a guidé les femmes dans l’imaginaire de lieux où elles se sentaient en sécurité. « Imaginez-vous sous un arbre, sur une plage, ou dans une pièce que vous connaissez bien, où l’on sent l’odeur du pain ou où l’on entend la voix de vos mères. Rappelez-vous d’un endroit où vous vous sentiez apaisée. » Cette invitation a suffi pour raviver des souvenirs enfouis. « J’ai revu la fenêtre de notre maison, j’ai revu le bassin où j’arrosais le basilic. »
Puis l’animatrice a ouvert la porte aux récits : « Celles qui souhaitent parler, nous vous écoutons. » Une femme dans la cinquantaine : « Depuis que nous avons fui notre maison sous les bombardements, je n’ai parlé de rien. J’évitais les questions, même celles de mes enfants. Aujourd’hui, je veux parler, même si mes mots s’effondrent. » Elle a raconté le moment de l’exil, comment elle avait laissé derrière elle les meubles de toute une vie, l’album de photos de sa fille décédée, et ce sentiment tenace de ne plus se reconnaître elle-même. « Je ne suis pas une héroïne, mais je suis toujours debout. »
Alors, les récits ont commencé à se dérouler. Une jeune femme de moins de vingt-cinq ans a parlé de sa première nuit sous la tente, tenant la main de sa petite fille et lui répétant : « Nous allons bien, nous sommes fortes », tout en pleurant en silence. Une autre a évoqué la maladie de son enfant, et son impossibilité de lui procurer des médicaments depuis deux mois. Pourtant, chaque soir, elle lui raconte des histoires, dissimulant sa peur derrière un visage recouvert d’un mensonge blanc : « Je lui dis que demain sera meilleur, même si je n’y crois pas toujours. »
Les animatrices étaient pleinement présentes dans l’écoute, elles écoutaient simplement. « Que ressentiez-vous à ce moment-là ? », « Qu’est-ce qui vous a aidée à tenir ? », « Quelles paroles vous êtes-vous dites pour ne pas vous effondrer ? »
Dans l’atelier, un exercice intitulé « Le symbole de la patience » a été proposé. « Je suis le mur, beaucoup se sont effondrés autour de moi, mais je suis toujours debout. » , « Je suis le nuage, je me déplace sans maison, mais je continue de pleuvoir. » Le partage de ces symboles a permis à ces femmes de se reconnaître dans le vécu des autres, réduisant ainsi leur sentiment d’isolement, une douleur partagée devient plus légère.
Ensuite, les animatrices proposé un simple exercice corporel, invitant les femmes à se lever et à bouger doucement au rythme d’une musique apaisante. Certaines ont levé les bras vers le ciel, d’autres ont fermé les yeux et bougé lentement la tête, comme pour se débarrasser du poids des souvenirs collés à leurs épaules.
« Nous sommes toutes devenues des histoires qui marchent, mais personne ne nous lit. » « Aujourd’hui, on s’est lu, on a parlé avec une voix qu’on gardait enfouie depuis longtemps. »
À la fin, les femmes se sont assises en cercle dans un moment de silence et de méditation avec un exercice de respiration profonde accompagné d’un mot à associer à l’inspiration : « force », et à l’expiration : « libération ». Le début d’une réconciliation intérieure avec soi-même.
Aucun certificat n’a été distribué, aucune photo n’a été prise. Mais chacune est repartie avec quelque chose de nouveau dans le cœur : la certitude que sa voix est entendue, que sa douleur n’est pas un fardeau, et que la patience n’est pas seulement silence, mais résistance douce, répétée, semblable à une respiration. La séance “Histoires d’exil et de patience” pour les habitantes du camp des Amis est un témoignage vivant que la parole est une thérapie, que le soupir est un aveu, et que le rassemblement de femmes autour de la douleur peut générer une énergie de guérison invisible, mais puissante et profonde.
Alors que les maisons s’effondrent, que les proches disparaissent, que les repères de la vie s’effacent, l’âme humaine demeure un champ de bataille tout aussi féroce. C’est là que ces ateliers se révèlent comme un pont vers l’équilibre, un souffle qui donne aux femmes le droit de ressentir, la légitimité de pleurer, et la possibilité de parler sans peur. La femme déplacée, qui a enduré bien plus que ce qu’elle pouvait supporter, n’a pas besoin qu’on la « répare », mais qu’on reconnaisse son humanité et qu’on lui rappelle qu’elle n’est pas seule dans cette douleur.
Offrir des espaces sûrs pour s’exprimer, apprendre des techniques de respiration et de relaxation, et favoriser l’écoute mutuelle entre femmes contribue à réparer ce que l’œil ne voit pas : la dignité, la confiance, et la capacité de résilience.
Lien vers les photos et vidéos
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