Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | La migration comme outil de colonialisme démographique
8 décembre 2025Un texte précis d’Abu Amir le 7 Décembre sur l’émigration des Bnei Menashe vers Israël : entre récit religieux et accusations d’ingénierie démographique
Ces dernières années, la région connaît une série de mouvements liés à ce que l’on appelle les « tribus juives perdues », récits religieux vieux de plusieurs millénaires que les institutions sionistes ont réemployés dans le cadre de politiques de migration et de logement. Le dernier dossier en date concerne le transfert de centaines de membres de la « tribu des Bnei Menashe » du nord-est de l’Inde vers Israël, un processus entamé depuis des décennies mais qui s’accélère aujourd’hui dans le cadre d’un plan censé se poursuivre jusqu’en 2030.
Ces opérations ont suscité une large vague de débats :
tandis qu’Israël les présente comme un « retour historique d’une des tribus »,
les critiques y voient une démarche démographique et politique visant à renforcer la majorité juive et à remplir les colonies d’une nouvelle main-d’œuvre, même si les nouveaux arrivants n’ont pas de lien historique ou religieux réel avec le judaïsme.
Qui sont les « Bnei Menashe » selon le récit israélien ?
Les Bnei Menashe sont issus des États de Manipur et Mizoram, dans le nord-est de l’Inde, une région montagneuse où vivent des populations locales christianisées depuis plus d’un siècle. Mais depuis les années 1950, certains ont commencé à diffuser des récits affirmant que leurs origines remontent à la tribu biblique de Manassé, l’une des « dix tribus perdues » supposées avoir disparu après la déportation assyrienne il y a environ 2700 ans. Cette idée ne faisait pas partie de leur tradition religieuse ancienne, mais elle s’est renforcée grâce à l’activité d’organisations juives missionnaires, notamment :
L’organisation Shavei Israel
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Elle cherche à convaincre des groupes à travers le monde qu’ils possèdent des racines juives.
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Elle organise des programmes de conversion pour ceux qui souhaitent émigrer en Israël.
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Elle offre un soutien logistique et financier pour transférer les Bnei Menashe vers les territoires occupés.
Selon des déclarations officielles publiées dans des médias comme le Jerusalem Post, les arrivants ne sont pas considérés comme « juifs » dès leur entrée dans le pays :
ils doivent suivre un processus complet de conversion religieuse, puis sont installés dans des zones spécifiques, notamment :
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la Galilée
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des colonies en Cisjordanie
Ces zones sont sensibles dans l’équilibre de la colonisation et Israël les utilise pour renforcer la présence juive.
Des mouvements sur plusieurs décennies… d’un phénomène limité à un projet d’envergure
Depuis plusieurs décennies, des groupes de cette communauté ont commencé à se rendre en Israël par petites vagues. Mais ces dernières années, notamment avec l’expansion continue des colonies et la baisse de l’immigration juive traditionnelle, un nouveau plan a émergé visant, selon des analystes, à transférer la majorité des membres restants d’ici 2030.
Le nombre total des Bnei Menashe en Inde est estimé entre 10 000 et 13 000 personnes : un nombre limité, mais démographiquement significatif dans des régions sensibles d’Israël et de la Cisjordanie.
Les dix tribus perdues : d’un mythe ancien à un outil politique
Après la déportation assyrienne, dix tribus d’Israël ont disparu des archives historiques et leur histoire est devenue un symbole religieux annonçant un retour à la fin des temps. Avec la naissance du mouvement sioniste, ce symbole a été transformé en un projet politique–démographique :
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Toute communauté pouvant être rattachée symboliquement aux tribus devient une source potentielle d’immigration juive.
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Le récit n’a pas besoin de preuves scientifiques solides ; une simple tradition locale suffit pour être adoptée.
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L’immigration est utilisée pour renforcer la majorité juive dans certaines zones.
Cela s’est déjà produit dans d’autres cas :
1. Les Juifs d’Éthiopie (Beta Israël)
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Des dizaines de milliers ont été transférés dans les années 1980 et 1990.
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Ils ont subi du racisme et ont été logés dans des banlieues pauvres ou dans des colonies dangereuses.
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Ils sont devenus par la suite une main-d’œuvre bon marché dans certains secteurs.
2. Les récits concernant les tribus pachtounes en Afghanistan
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Certains ont affirmé qu’elles descendraient des tribus d’Israël.
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Aucune preuve décisive n’a été trouvée, mais la simple circulation de cette idée a suscité l’intérêt de certains milieux sionistes.
3. La recherche permanente de « tribus perdues »
De l’Inde à la Chine, en passant par l’Amérique du Sud et l’Afrique, des organisations juives continuent de chercher des groupes pouvant être intégrés au récit, même via des liens symboliques ou mythiques.
Les enjeux démographiques… pourquoi Israël cherche-t-elle des migrants de cette manière ?
Selon de nombreux chercheurs, les politiques israéliennes font face à trois défis démographiques majeurs :
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Le déclin de l’immigration juive traditionnelle en provenance de l’Occident
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La croissance élevée de la population palestinienne
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Les besoins en main-d’œuvre et en habitants pour les colonies en Cisjordanie
Ainsi, certains analystes estiment que l’apport de communautés géographiquement et culturellement éloignées vise à :
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renforcer l’équilibre démographique juif,
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remplir les colonies de nouveaux résidents,
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fournir une main-d’œuvre à faible coût,
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construire un récit politico-religieux donnant une légitimité spirituelle à l’expansion coloniale.
L’expérience des Juifs d’Éthiopie montre que beaucoup d’entre eux sont placés dans des zones où Israël souhaite renforcer sa présence coloniale.
Le récit officiel israélien… que dit-il ?
Sur le plan officiel, Israël affirme :
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rétablir l’unité de son peuple historique,
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offrir aux « Juifs perdus » l’occasion de revenir dans leur ancienne patrie,
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garantir un parcours religieux qui confirme leur judéité.
Ces arguments sont largement critiqués en raison du manque de preuves historiques solides reliant ces groupes aux tribus anciennes, et du fait que leur implantation coïncide souvent avec des projets d’expansion coloniale clairement définis.
La migration comme outil pour créer une nouvelle réalité
Des analystes considèrent que l’arrivée des Bnei Menashe n’est pas seulement un événement religieux ou humanitaire, mais une forme d’ingénierie sociale visant à créer une nouvelle réalité par :
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la redistribution des populations dans des zones ciblées,
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la création d’une majorité numérique dans les espaces contestés,
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la reconfiguration du discours religieux pour servir des politiques contemporaines,
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l’exploitation de la situation économique fragile de certains peuples pour les intégrer à un projet colonial.
Ces politiques sont discrètes, mais leurs effets sont durables et correspondent à ce que des experts appellent « le colonialisme démographique », exercé non seulement par les armes, mais aussi par les populations, les croyances et l’identité.
Pourquoi ce dossier mérite-t-il une attention particulière ?
Parce qu’il ne s’agit pas simplement d’une « jolie histoire » sur une tribu retrouvant ses origines. C’est , selon les critiques, une partie d’un processus visant à remodeler la carte démographique de la région :
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transformer des récits religieux en politiques coloniales concrètes,
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utiliser des communautés pauvres comme outil pour consolider le contrôle territorial,
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établir une présence juive dans des zones cruciales pour l’avenir du conflit.
À l’approche de 2030, le transfert des derniers membres des Bnei Menashe pourrait devenir un dossier aux répercussions politiques, sociales et démographiques considérables. L’histoire de la « tribu perdue » n’est pas seulement un récit spirituel réanimé ; elle est, comme l’affirment de nombreux chercheurs, un outil politique contemporain utilisé pour façonner une nouvelle réalité démographique en Israël et dans son environnement.
Alors que le discours officiel parle de « retour aux racines »,les critiques estiment qu’il s’agit d’une fabrication identitaire destinée à servir des projets expansionnistes.
Ainsi, chaque nouvelle annonce concernant une « tribu perdue » arrivant en Israël doit être lue dans un contexte beaucoup plus large que le titre, et comprise comme partie d’un jeu géopolitique–démographique qui avance en silence, mais dont les effets pourraient transformer l’avenir de toute la région.
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