Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Le soutien psychosocial: un baume pour les blessures de guerre
31 décembre 2025Comme chaque semaine deux ateliers de soutien psychosocial pour les femmes des camps de Déplacé.e.s: De Deir al-Balah à Gaza au camp d’ Al-Saraya
De Deir al-Balah à la ville de Gaza, le paysage ne diffère guère, si ce n’est par une dureté accrue. Ici, la douleur ne se déplace pas : elle se multiplie. Les récits ne s’achèvent pas, ils se reproduisent d’une tente à l’autre. Dans ces camps, la souffrance ne se mesure pas à la taille de la tente, mais à ce que portent les cœurs à l’intérieur : perte, peur et anxiété permanente. La femme ici ne dort pas, ne pleure pas comme elle le voudrait, ne s’effondre pas même si elle en ressent le besoin, car on attend d’elle à chaque instant qu’elle soit le seul soutien d’une famille rongée par la guerre.
Chaque matin, les femmes entament une nouvelle bataille : chercher de l’eau, de la nourriture, un morceau de pain pour les enfants, un médicament pour un malade, ou un instant de calme que ne viendraient pas briser le bruit des avions ou les cris de la faim. Dans ce tourbillon quotidien, la tristesse devient une compagne constante, et la perte une plaie ouverte qui ne trouve jamais le temps de cicatriser.
Dans ce contexte humain éprouvant, les équipes de l’UJFP poursuivent leur travail dans la bande de Gaza, se déplaçant entre les zones, tentant de créer de petits espaces de vie au milieu de ces décombres psychologiques. De Deir al-Balah à l’ouest de la ville de Gaza, un nouvel atelier de séances de soutien psychosocial pour les femmes a été mis en œuvre au camp d’Al-Saraya, au centre de la ville de Gaza, sous le titre Un cœur stable malgré la douleur . Trente femmes déplacées du camp Al-Hurriya, à l’ouest de Gaza, y ont participé : des femmes réunies par la tente, séparées par les histoires, mais unies par la souffrance.
Une tente modeste, au sol irrégulier, à l’air lourd d’humidité, mais qui, ce jour-là, s’est transformée en un rare espace de sécurité. Les femmes y sont entrées à pas hésitants : certaines portant des enfants, d’autres portant un silence plus lourd que les mots. Les animatrices et les participantes se sont assises en un seul cercle, sans estrade ni séparation, dans une tentative de briser les barrières. Les femmes ont fait connaissance avec les animatrices, ont échangé leurs prénoms, et derrière chaque prénom se cachait une histoire non dite, une douleur attendant son tour.
Dès le départ, il a été affirmé que chaque participante avait le droit de parler, mais aussi le droit de se taire, et que les émotions exprimées ici n’étaient pas jugées, mais respectées.
La première activité a consisté en un exercice pour briser la glace : il a été demandé aux femmes de se présenter à travers un seul mot exprimant leur ressenti. Les mots sont sortis: « fatigue », « peur », « tristesse », « égarement », « nostalgie ». À chaque mot, les animatrices le répétaient à voix haute, comme pour dire à celle qui l’avait prononcé : nous te voyons, nous t’entendons. Cet exercice a ouvert grand la porte aux émotions, les larmes ont commencé à briller dans les yeux.
La séance est ensuite passée à une activité de relaxation, où il a été demandé aux femmes de s’asseoir aussi confortablement que possible, de fermer les yeux et de se concentrer sur leur respiration. L’une des participantes a murmuré après l’exercice :
« J’avais oublié comment respirer calmement, j’ai senti comme si ma poitrine était verrouillée et qu’elle commençait à s’ouvrir. »
L’activité la plus importante : la décharge émotionnelle par l’écoute. L’espace a été ouvert aux participantes pour qu’elles parlent librement, sans ordre ni obligation. La première à s’exprimer était une femme d’une quarantaine d’années. Elle a raconté que depuis le moment du déplacement, elle avait l’impression que son cœur s’était brisé, et qu’elle ne s’était pas permis de pleurer par peur de s’effondrer devant ses enfants. Elle s’est arrêtée plusieurs fois, submergée par les larmes, sans que personne ne l’interrompe. Elle a conclu en disant : « Aujourd’hui seulement, j’ai senti que mon cœur avait le droit de souffrir. »
Une autre participante a parlé de la perte de sa voisine lors d’un bombardement proche, et de la manière dont elle avait évité pendant des mois de prononcer son nom pour ne pas s’effondrer. D’une voix étouffée: « Je pensais que la force signifiait le silence, aujourd’hui j’ai compris que pleurer n’annule pas ma force. » Une troisième a évoqué son sentiment de culpabilité chaque fois qu’elle criait sur ses enfants dans la tente, et son combat quotidien entre la peur pour eux et sa colère contre la réalité. « Je suis en colère contre tout : contre la guerre, contre la tente, contre moi-même et aujourd’hui seulement j’ai osé l’admettre. »
Les animatrices ont expliqué l’idée de « fixer le cœur » dans les moments d’effondrement, à travers des exercices de respiration, le fait de poser la main sur la poitrine et de se concentrer sur l’instant présent. Ces exercices ont été pratiqués concrètement pendant la séance, et certaines femmes ont exprimé un sentiment immédiat d’apaisement, même temporaire.
La discussion s’est ensuite orientée vers une activité de relecture de l’histoire personnelle, où il a été demandé aux femmes de se penser non seulement comme des victimes de la guerre, mais aussi comme des témoins, et comme des survivantes malgré tout. L’une d’elles a partagé ces mots : « Je n’ai pas choisi cette douleur, mais j’ai choisi de rester debout pour mes enfants. » Cette phrase a touché les cœurs et a résonné dans la tente comme un écho collectif.
À la fin de la séance, chaque participante a été invitée à exprimer son ressenti par un nouveau mot. Les mots ont changé : « plus légère », « comprise », « plus forte », « soulagée ». Ces mots ne signaient pas la fin de la douleur, mais le début d’un petit changement intérieur, modeste mais réel.
Cet atelier a confirmé que les sessions de soutien psychosocial pour les femmes ne sont pas une activité secondaire, mais une nécessité humaine urgente dans une réalité où la patience s’érode jour après jour. Dans des camps impropres à la vie, ces séances deviennent une forme de vie temporaire, une fenêtre d’espoir et un message clair adressé aux femmes : vous n’êtes pas seules, et vos cœurs, malgré la douleur, sont encore capables de tenir bon.
Lien vers les photos et vidéos
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