Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Le travail des équipes à l’intérieur de Gaza
21 décembre 2025Compte rendu hebdomadaire du 20 Décembre : un récit humain de la guerre, du déplacement et des liens qui ne se sont pas brisés
Nous rédigeons ce rapport non pas en tant que correspondants de passage ayant traversé la scène avant de la quitter, mais en tant que témoins qui vivent ses détails les plus infimes depuis des années, qui la portent dans leurs corps, leur mémoire et leurs journées semblables les unes aux autres par leur lourdeur et leur dureté. Nous l’écrivons parce que le lecteur extérieur à la bande de Gaza ne perçoit qu’une infime partie de l’image, la vérité entière demeure ici, suspendue entre les décombres, dans les ruelles détruites et sur les visages de personnes épuisées par l’attente.
Dans la bande de Gaza, la vie ne suit plus un rythme naturel, mais celui de la guerre, du déplacement et des pertes répétées. Des villes se sont transformées en espaces gris, des maisons autrefois pleines de vie sont devenues des marques silencieuses de ce qui existait jadis, et des centaines de milliers de personnes se déplacent chaque jour à la recherche d’un abri provisoire, d’un repas pour apaiser la faim ou d’une gorgée d’eau pour protéger leurs enfants de la soif.
Le déplacement à Gaza n’est pas un événement ponctuel imposé uniquement par la dernière guerre, mais une mémoire ancienne qui habite ce lieu, héritée de nos pères et grands-pères qui nous ont raconté les premières histoires de l’exil, avant que nous ne nous retrouvions à vivre la même histoire, avec de nouveaux visages, de nouveaux noms et dans des lieux encore plus dévastés.
Au fil des décennies, les habitants du secteur se sont habitués aux guerres comme ils se sont habitués à l’injustice. Mais cette fois-ci, la guerre est différente par son ampleur et ses conséquences : elle n’a rien laissé à sa place, ne s’est pas contentée de détruire la pierre, mais a atteint l’être humain, sa sérénité et sa mémoire, contraignant chacun à redéfinir la vie uniquement sur la base de la survie.
Durant les jours de bombardements, la vie se résumait à des heures d’angoisse et d’attente. La seule question qui accompagnait les familles était : comment survivrons-nous cette nuit ? Comment protéger nos enfants des explosions et de la peur qui précède le sommeil ? Et le matin venu, commençait le comptage silencieux des membres de la famille, pour s’assurer que tous étaient encore là.
Lorsque ce qui a été appelé un cessez-le-feu est entré en vigueur, la souffrance ne s’est pas arrêtée, elle a simplement changé de forme. Une nouvelle phase de lutte quotidienne contre la faim et la soif a commencé. De longues files d’attente se forment dès les premières heures de l’aube devant les centres de distribution alimentaire. Des femmes et des enfants patientent pendant des heures, portant des récipients en plastique ou en métal, ou même des sacs usés, tout ce qui peut contenir de l’eau ou un repas.
Dans ces scènes, les différences entre les personnes s’estompent. Les familles répartissent leurs membres entre plusieurs centres dans l’espoir d’obtenir des rations suffisantes pour une seule journée, dans un tableau humain d’une dureté indigne de l’humanité, mais devenu partie intégrante du quotidien dans la bande de Gaza.
Ces conditions extrêmes ont poussé les gens à se concentrer uniquement sur l’obtention des besoins essentiels à la survie. Il n’est plus question de politique, de gouvernance ou de voies vers la liberté, non par abandon des droits, mais parce que lorsque l’être humain est encerclé par la faim et la peur, il ne lui reste que la protection de ses enfants et l’assurance d’un jour de vie supplémentaire. Dans les rues, on peut voir des hommes et des femmes marcher en se parlant à eux-mêmes, comme s’ils menaient un long dialogue intérieur avec ce qu’ils ont perdu et ce qu’ils craignent encore de perdre. Un combat silencieux que les caméras ne captent pas, mais qui est présent à chaque coin de rue.
Au cœur de ce paysage complexe, on ne peut blâmer les habitants de la bande de Gaza pour aucun comportement ou position. Les pressions psychologiques et sociales qu’ils subissent dépassent les capacités humaines d’endurance, faisant de la simple résilience quotidienne un accomplissement humain en soi.
Dès lors, la responsabilité du monde devient évidente : lever l’injustice qui pèse sur la bande de Gaza n’est plus un choix moral, mais une nécessité humanitaire. Le soutien à sa population doit dépasser les déclarations pour se traduire par des actions concrètes qui rendent à l’être humain sa dignité et lui offrent la possibilité de retrouver une vie normale qui lui a été arrachée de force. Dans ce contexte, le rôle des institutions humanitaires apparaît essentiel. Elles tentent de combler un immense vide laissé par la guerre, en fournissant nourriture, eau et produits de première nécessité, dans un effort visant à alléger le fardeau de familles ayant presque tout perdu.
C’est dans ce cadre que nous affirmons que les équipes de UJFP travaillent sur le terrain avec un esprit qui dépasse le simple concept d’intervention humanitaire temporaire. À Al-Mawasi de Khan Younès, où se concentrent les camps de familles d’agriculteurs, notre présence auprès de ces familles n’est ni récente ni uniquement liée aux circonstances de la guerre, mais s’inscrit dans la continuité d’une relation humaine et sociale construite au fil de longues années de travail commun avec les agriculteurs de la bande de Gaza. À Al-Mawasi de Khan Younès, la journée des équipes ne commence pas seulement par l’allumage des feux et la préparation des marmites, mais par la rencontre des mêmes visages connus depuis des années : ceux des agriculteurs avec lesquels nous avons partagé la terre, le rêve et le travail avant que la guerre ne les arrache à leurs champs et à leurs villages.
Ces agriculteurs, qui se tenaient autrefois sur leurs terres pour prendre soin de leurs cultures, se tiennent aujourd’hui dans des files d’attente. Pourtant, la relation n’est pas devenue celle d’un bénéficiaire et d’un prestataire de services, mais est restée un partenariat humain fondé sur la confiance et le respect mutuel. Nous avons travaillé avec eux auparavant sur des projets agricoles qui leur fournissaient eau, plants et équipements, contribuant à renforcer leur résilience sur leurs terres. Ces projets témoignaient de leur lien profond avec la terre et de notre conviction commune que l’agriculture n’est pas seulement une source de revenus, mais une identité et un sentiment d’appartenance.
La guerre a entièrement détruit ces projets, ravagé les infrastructures et incendié les champs, mais elle n’a pas réussi à détruire les liens sociaux construits entre nous et les agriculteurs au fil des années de travail de terrain sincère. Aujourd’hui, lorsque nous nous tenons à leurs côtés dans les camps de déplacés, ce n’est pas uniquement par devoir humanitaire, mais par fidélité à une relation humaine ininterrompue, une relation qui rend notre responsabilité envers eux plus grande qu’un simple repas ou une aide temporaire. Dans chaque repas préparé dans les camps d’agriculteurs à Al-Mawasi de Khan Younès, les histoires du passé, les souvenirs des champs et les conversations sur le retour sont présents. La nourriture devient alors un espace de rencontre qui rend aux gens une part de leur dignité et de leur sentiment d’appartenance.
Les femmes qui attendent aujourd’hui dans les files étaient autrefois des partenaires actives de la vie agricole, et leurs enfants, qui portent les récipients, sont les enfants d’une terre dont ils ont été privés, sans pour autant perdre l’espoir d’y retourner.
Notre travail à Deir al-Balah n’est pas moins important que notre présence à Al-Mawasi de Khan Younès, car les camps y connaissent des conditions humanitaires tout aussi difficiles, et des familles déplacées dépendent presque entièrement des repas quotidiens pour assurer un minimum de subsistance. À Deir al-Balah, les équipes commencent leur travail dès les premières heures du matin. La préparation des repas n’est pas considérée comme une tâche routinière, mais comme une mission humaine directement liée à la vie de centaines d’enfants qui attendent ce repas pour pouvoir traverser leur journée. Les repas distribués ne sont pas de la simple nourriture, mais un facteur de stabilité psychologique relative dans une vie privée de toute stabilité, et un moyen de protéger les enfants de la malnutrition et de la faim qui menacent leur avenir sanitaire. Très souvent, ce repas est la seule nourriture que reçoit la famille durant la journée, ce qui fait de l’action humanitaire une nécessité urgente qui ne tolère ni retard ni minimisation de son importance. Les équipes sur le terrain sont conscientes que chaque marmite préparée et chaque repas distribué portent un message de solidarité et redonnent aux gens le sentiment qu’ils ne sont pas seuls dans cette épreuve.
Dans ce contexte, l’action humanitaire ne se limite pas à apaiser la faim, mais constitue la première ligne de défense pour préserver le tissu social d’une société meurtrie. Dans un contexte de déplacement et d’errance, ces efforts deviennent des espaces de rencontre, d’échange, de partage de la douleur et de construction de réseaux de soutien communautaire empêchant l’effondrement total. Les liens sociaux que nous avons préservés avec les agriculteurs et les familles déplacées sont aujourd’hui un pilier essentiel de la continuité du travail, facilitant l’accès aux plus démunis, garantissant l’équité de la distribution et renforçant la confiance mutuelle.
Dans chaque lieu où nous intervenons, nous tentons de restaurer un fragment de vie normale, même si cela se limite à un repas chaud, une parole bienveillante ou un geste humain sincère. Et chaque jour qui passe confirme l’urgence de poursuivre et d’élargir ces efforts, face à une réalité humanitaire de plus en plus complexe sous l’effet du blocus et des conséquences persistantes de la guerre. Les repas distribués aujourd’hui ne sont pas une fin en soi, mais une étape indispensable pour protéger l’être humain, jusqu’au jour où ces agriculteurs retourneront à leurs terres, où les familles rentreront dans leurs foyers, et où le secteur retrouvera une part de la vie qui lui a été arrachée de force. L’action humanitaire demeure un témoignage de la capacité de l’être humain à faire preuve de solidarité, dans les circonstances les plus extrêmes; la force des liens humains est plus puissante que la destruction et plus durable que la guerre.
Lien vers les photos et vidéos
Fournir des repas aux familles du camp de Hilal
https://drive.google.com/drive/folders/19V11PR0McRot6s5vLxkaLnS_ZcckqGRc
Fournir des repas aux familles du camp des agriculteurs
https://drive.google.com/drive/folders/1nwAURjHW6rwdKq6ctV2PysVjym77JJb5
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