Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” L’émigration de Gaza: une saignée collective

5 septembre 2025
Rentrée des classes à Gaza crédit photo site ISM

Le 4 Septembre Abu Amir évoque une question peu abordée mais de plus en plus présente, Gaza s’épuise en silence et une migration lente qui arrache un peuple à sa terre éteint les derniers éclats de ses rêves.

Quand Gaza se réveille chaque matin, ce n’est ni sous la lumière du soleil ni au chant des oiseaux, comme dans les autres villes, mais au bruit des valises traînées vers les points de passage, et aux larmes des mères qui font leurs adieux à leurs enfants qu’elles ne reverront peut-être jamais. Dans les ruelles étroites se cache une douleur indicible : des visages pâles contemplant la mer comme une ultime fenêtre ouverte sur le monde, des enfants fixant de leurs petits yeux un horizon lointain qu’ils ne connaissent que sous un seul nom : « hors de Gaza ».

L’émigration de la bande de Gaza n’est plus une nouvelle ponctuelle ou une exception passagère ; elle est devenue une hémorragie quotidienne, une vague silencieuse de départs lents qui arrachent les gens à leurs racines et les projettent vers des exils incertains, sous le couvert humanitaire de soins médicaux et de réhabilitation. En réalité, elle fait partie d’un plan plus vaste qui répartit les Palestiniens à travers le monde comme on se partage un butin : chaque pays prend sa part de ce peuple déchiré, jusqu’à ce qu’il ne reste à Gaza que des ruines, du vide , une mémoire brisée.

L’émigration de Gaza n’est plus un simple choix individuel de quelques-uns cherchant une vie meilleure ; elle s’est transformée en phénomène croissant, jusqu’à devenir une saignée collective vidant le territoire de sa jeunesse, de ses enfants et de ses familles. Derrière les prétextes officiels – soins médicaux, réhabilitation des blessés et de leurs proches – se cache une raison plus profonde et plus dangereuse : une volonté internationale de répartir, lentement et discrètement, les réfugiés de Gaza entre divers pays, européens ou non, afin que le processus paraisse naturel, comme une succession d’initiatives humanitaires éparses, alors qu’il s’agit d’un plan soigneusement orchestré pour vider Gaza de ses habitants et dissoudre leur identité dans une nouvelle diaspora.

Les derniers chapitres de cette migration mènent jusqu’à des pays lointains comme l’Indonésie, preuve de l’extension géographique des lignes d’exil palestiniennes. Loin d’être limitée à l’Égypte, à la Jordanie, à la Turquie ou à certaines capitales européennes, elle s’étend désormais jusqu’en Asie, soulignant que la question n’est plus seulement une affaire de secours d’urgence, mais bien une redistribution démographique dans laquelle plusieurs gouvernements s’impliquent, chacun selon sa politique et ses capacités, avec un objectif final unique : transformer Gaza en une terre sans habitants ou en un espace invivable, et disperser ses gens dans des exils et des camps, loin de leur terre, de leur mémoire et de leurs droits historiques.

Cette émigration n’est pas nouvelle, mais ces dernières années elle a pris une ampleur sans précédent. Avec l’aggravation de l’agression israélienne et la politique de famine imposée au territoire, avec les maisons détruites sur leurs habitants et des centaines de milliers de déplacés, rester sur place est devenu un combat quotidien. Pas d’électricité, pas d’eau, pas de nourriture suffisante, pas d’avenir ni pour le travail ni pour les études, un air saturé d’odeur de poudre, un ciel bruyant de chasseurs bombardiers, une mer cadenassée par les navires de guerre et des frontières bouclées par des murs et des barbelés : qui peut résister dans de telles conditions ? La stratégie de l’occupation est claire : rendre la vie impossible, pousser les gens eux-mêmes à chercher une échappatoire. Ainsi, sans qu’Israël n’ait besoin d’agir directement, la destruction, la faim et le désespoir deviennent les armes les plus efficaces pour provoquer ce départ massif et silencieux.

Plus grave encore, ces politiques ne sont un secret pour personne. Tout est devenu permis à l’armée israélienne à Gaza : plus de lignes rouges, plus de respect du droit international. Les hôpitaux sont bombardés, les écoles détruites, les camps de déplacés ciblés, les mosquées rasées, et même les cimetières n’échappent pas aux missiles. Une brutalité dont le but ultime est d’imposer aux Gazaouis une seule décision : partir. Comment survivre sans toit, sans nourriture, sans eau ni médicaments ? Comment voir ses enfants mourir de faim ou de maladie sans tenter de fuir, fût-ce au prix d’un voyage périlleux vers l’Europe, l’Asie ou n’importe quel lieu offrant une chance de vie ?

Les réseaux sociaux regorgent d’images poignantes : des jeunes portant de petites valises, des femmes en pleurs aux portes des passages, des enfants agitant la main à des amis qu’ils ne reverront sans doute jamais. Des récits de familles vendant tout pour payer un trajet vers l’exil via l’Égypte, la Turquie ou la mer ; histoires de noyades tragiques en Méditerranée ; histoires de réussites douloureuses, où le corps survit mais l’âme reste brisée, laissant derrière elle une patrie déchirée et des souvenirs ensevelis sous les ruines.

Les chiffres augmentent de façon alarmante : des milliers partent, d’autres attendent, et la migration avance à un rythme calculé, masquant la catastrophe sous une apparence de normalité. Mais il s’agit en vérité d’un déracinement collectif progressif, rappelant la Nakba de 1948, quand les Palestiniens furent chassés de leurs villes et villages pour devenir réfugiés dispersés aux quatre coins du monde. Aujourd’hui, le scénario se rejoue : Gaza est lentement vidée de ses habitants, tandis que les réfugiés sont absorbés par différents pays, chacun prenant sa part de ce peuple démembré. Israël atteint ainsi son objectif majeur : une terre sans peuple, ou un peuple enfermé sans espoir.

Ce qui rend cette émigration encore plus amère, c’est qu’elle ne se limite pas à une quête de soins pour les enfants blessés ni à une échappatoire temporaire à la guerre : elle constitue le début d’une dilution du peuple palestinien. Celui qui part finira, après quelques années, par s’intégrer à une société étrangère ; ses enfants grandiront loin de la Palestine ; la mémoire se dissipera lentement, jusqu’à ce que Gaza ne soit plus qu’un souvenir pour la première génération de réfugiés, pendant que les suivantes construiront leur vie ailleurs, loin du fardeau d’une patrie perdue.

Tout cela n’est pas le fruit du hasard : c’est le résultat de politiques israéliennes planifiées depuis longtemps. Rendre Gaza invivable par un blocus de plus de 17 ans, par des guerres répétées détruisant sans cesse ses infrastructures, par l’interdiction d’entrer matériaux, médicaments et même parfois des livres ; tout concourt à un seul but : pousser la population au désespoir et à la fuite. La dernière guerre n’est qu’une étape supplémentaire dans ce processus sanglant. Plus aucun frein ne retient l’armée israélienne : tout est cible, chaque maison peut être détruite, chaque être humain tué ou déplacé. Gaza devient un laboratoire de politiques de déplacement forcé dissimulées.

Et le monde observe en silence, comme s’il existait un accord tacite autorisant Israël à vider Gaza à son rythme, tandis que les grandes puissances organisent la répartition des réfugiés : certains obtiennent des visas pour l’Europe, d’autres sont envoyés en Indonésie, en Malaisie ou au Canada. Finalement, l’équation s’accomplit : chaque État participe à cette redistribution du peuple palestinien, Gaza reste derrière eux, réduite à des ruines à une terre vide, peuplée seulement de souvenirs de guerre et de destruction.

Cette émigration quotidienne et continue de Gaza n’est pas une simple statistique dans les bulletins d’information. Elle est une plaie ouverte dans le corps palestinien, une hémorragie lente qui anéantit les rêves d’une génération entière de rester sur sa terre, et qui prépare un avenir sans Gaza, ou Gaza sans ses habitants. C’est là le danger suprême que chacun doit comprendre : la question n’est pas un simple départ pour des soins médicaux ni un exil temporaire, mais une question existentielle : rester ou disparaître, l’existence d’un peuple sur sa terre ou son déracinement définitif.

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