Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Malgré la guerre, je suis revenu semer la vie

25 mars 2025
Témoignage d'un agriculteur

Abu Amir envoie le matin du 25 Mars le compte rendu de cette magnifique initiative!

“Je suis paysan… et cette terre est mon sang” – Le récit complet d’Abou Mohammed, de la localité d’Abou Taïma.  “Je m’appelle Abou Mohammed, un paysan de la terre d’Abou Taïma, à l’est de Khan Younès. Je n’ai jamais connu d’autre métier que celui de cultivateur, et je ne me suis jamais vu ailleurs que sur cette terre. Je dis toujours à mes enfants : “Cette terre ne nous appartient pas. C’est à nous d’avoir l’honneur d’en être les serviteurs.” 

Mon père l’a héritée de mon grand-père, et moi je l’ai héritée de mon père, avec tout ce qu’elle porte : la fatigue, le soleil, la rosée, et l’inquiétude enracinée dans chaque grain de sol. 

Je me levais avant l’aube, je marchais dans les champs, la main sur le cœur. Ma peur ne venait ni de la pluie, ni des récoltes perdues… mais des bulldozers israéliens, qui entraient au milieu de la nuit, ou soudainement en plein jour, détruisant tout sur leur passage, arrachant les arbres comme s’ils nous déracinaient nous-mêmes. 

Combien de fois ai-je vu ma terre retournée sous mes yeux ? Combien de fois suis-je rentré à la maison les mains vides, le cœur lourd, tandis que mes enfants m’attendaient avec l’espoir d’une récolte qui n’arriverait jamais ? 

Une année, j’ai cultivé des oignons à la sueur de mon front. J’en ai pris soin comme on veille sur un enfant malade. La veille de la récolte, les bulldozers sont venus… et ont tout écrasé. 

Une autre fois, mon fils Karim remplissait un seau d’eau pour m’aider à arroser les plantes. Nous avons entendu une balle. Il n’a pas été blessé, mais il a crié d’une manière qui m’est restée plantée dans le cœur. Depuis ce jour, Karim ne s’est plus jamais approché de la terre. Elle lui fait peur. 

Puis, la dernière guerre a éclaté…
Le ciel est tombé sur nous, en flammes.
Les ordres d’évacuation sont arrivés.
J’ai pris ma femme et mes enfants, et nous avons fui vers l’hôpital européen.
Nous vivons aujourd’hui sous une tente, sans terre, sans cultures, sans eau, sans air… Seulement de la boue, du froid, et de la peur. 

Mais mon cœur… est resté là-bas.
Trois jours seulement dans le camp, et je suffoquais déjà. Je ne supportais plus de voir ma terre abandonnée, assoiffée, m’attendant. Je la voyais dans mes rêves, chaque nuit, nue, desséchée. Alors j’ai décidé de retourner. 

On m’a dit : “Abou Mohammed, ce n’est pas le moment de planter. C’est la guerre, la zone est dangereuse.”
Mais ma décision était prise.
Avec mes fils, nous sommes retournés à notre terre. Nous l’avons labourée, sous le bruit des avions. Parfois nous courions quand les balles sifflaient. Mais nous ne nous sommes jamais arrêtés. 

En trois jours, nous avons planté comme si nous plantions pour la vie entière, pas seulement pour une saison. 

Même l’eau a été un défi. Mais l’équipe de l’UJFP, présente dans la région, m’a aidé à connecter un tuyau à un bassin nouvellement construit.
L’eau a coulé dans le sol… et c’était comme une naissance. Une renaissance pour la terre, pour moi. 

Je ne comprends rien à la politique, je ne regarde pas les informations.
Mais cette terre, je la comprends.
Je comprends ce que c’est que de voir ton travail réduit à néant, tes récoltes brûlées, tes enfants expulsés, ta dignité devenir un rêve lointain. 

Quel est notre crime, à nous, les paysans ? Est-ce parce que nous aimons cette terre qu’elle est détruite au-dessus de nos têtes ? Est-ce parce que nous la cultivons que nous méritons la mort ? 

Chaque matin, moi et mes enfants marchons pendant plus d’une heure vers notre terre.
Pas pour la cultiver.
Seulement pour nous assurer qu’elle est encore là… même brûlée.”

Lien photos et vidéos 

https://drive.google.com/drive/folders/1dw6QcITEXO7OWY1UmBtDlXodrGMSONzl

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