Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s ” |  Nos cœurs restent entre les tentes 

27 juillet 2025
Nos coeurs restent entre les tentes

Dans la continuité des compte rendus hebdomadaires d’actions menées par les équipes soutenues par l’ UJFP le 26/07 Abu Amir décrit leur difficulté psychique quotidienne qui s’aggrave et les ronge ; quand l’action humanitaire devient une douleur permanente.

Dans les terrains de l’action humanitaire, on nous perçoit souvent comme des porteurs d’espoir, des sauveurs temporaires, une main qui vient se poser sur l’épaule de la vie au moment où l’on est prêt de s’écrouler. Mais ce que personne ne voit, c’est cette brisure qui s’insinue en nous aussi, nous qui entrons et sortons des tentes, qui portons la douleur et la dissimulons derrière de petits sourires que nous distribuons aux enfants affamés et aux mères endeuillées. Nos corps quittent les lieux, mais nos cœurs restent là-bas, entre les tentes, sur les sols mouillés de larmes, sous les couvertures qui ne protègent ni du froid ni de la honte.
Nous ne voyons plus des « déplacés », mais des âmes brisées par la faim, des regards épuisés par l’attente, et des enfants usés par cette question lancinante : « Quand rentrerons-nous ? » La famine n’est plus un mot lu dans les rapports ou entendu dans les journaux télévisés, c’est désormais une scène quotidienne qui fouette nos consciences. Des enfants si maigres que cela fait mal à voir, se nourrissant des restes de pain sec, et des mères gardant les miettes pour leurs enfants, leur disant : « Je suis rassasiée », alors qu’elles n’ont rien mangé depuis deux jours.
La tragédie à Gaza aujourd’hui ne réside pas seulement dans les bombardements et la destruction, mais aussi dans cette faim silencieuse, cette souffrance continue qui ronge le corps et la dignité à la fois. Il y a des mères qui tremblent de peur pour leurs enfants face aux bombes et à la faim, et des pères qui s’effondrent en silence parce qu’ils ne peuvent plus protéger leur famille. Et nous, les équipes de l’UJPF, nous tentons d’être un barrage face à cet effondrement, en sachant bien que ce que nous offrons n’est pas à la hauteur de la catastrophe, mais que, dans l’absence quasi totale d’un soutien international efficace, cela reste une ligne de vie indispensable.
Nous travaillons jour et nuit pour fournir des repas chauds aux déplacés. Nous savons parfaitement que ce repas n’est pas seulement de la nourriture, mais un instant de chaleur, un moment de dignité, une goutte d’humanité. Lorsque nous remettons un plat à une mère qui nous dit :  Enfin, mes enfants vont manger quelque chose de cuisiné aujourd’hui , nous sentons que ce plat contient de l’amour, de la résistance et une lutte acharnée pour survivre.


Les vêtements que nous distribuons aux enfants ne sont pas de simples habits qui réjouissent de petites âmes, mais des tentatives répétées de préserver une enfance qu’on leur arrache chaque jour. Nous avons vu des enfants porter des vêtements neufs pour la première fois depuis des mois, et leurs yeux brillaient comme s’ils recevaient un cadeau de fête, même si les fêtes ont disparu de leur vie depuis longtemps.
Dans ce chaos, nous insistons pour semer des graines d’espoir à travers des centres éducatifs temporaires, où nous offrons aux enfants un espace pour apprendre, jouer, dessiner, et parfois même rire. Il n’est pas facile d’enseigner à un enfant qui n’a ni chaise, ni livre, ni même petit-déjeuner. Mais nous savons que le savoir est une lumière, et que cette lumière est ce dont ces enfants ont besoin plus que jamais dans l’obscurité des jours qu’ils traversent.
« Quand je rentre chez moi, je ne peux pas vivre ma journée normalement. Il y a toujours quelque chose qui m’étouffe… un sentiment que nous avons laissé nos âmes là-bas, dans les camps, où personne ne possède rien si ce n’est sa patience. » Ce sentiment est partagé par nous tous. La distance entre le devoir humanitaire et la souffrance psychologique est devenue presque inexistante. Nous sommes épuisés non seulement par le travail, mais par ce profond sentiment d’impuissance quand nous voyons quelqu’un dans le besoin, sans pouvoir lui offrir tout ce qu’il mérite.
Et malgré la douleur, nous ne nous arrêtons pas. Nous savons que notre mission dépasse les frontières de la fatigue, et que chaque main que nous tenons, chaque repas que nous distribuons, chaque sourire que nous faisons renaître fait une différence. Nous n’éteignons pas l’incendie, mais nous empêchons qu’il se propage. Nous ne mettons pas fin à la tragédie, mais nous essayons d’en atténuer la cruauté.
À Gaza, il ne suffit pas d’être humain. Il faut être patient, solide, et profondément impliqué dans l’amour et la douleur à la fois. Nous, en tant qu’acteurs humanitaires, ne portons pas seulement l’espoir : nous le portons en saignant, nous l’arrosons avec nos âmes alourdies par des scènes insoutenables, jour après jour. Et chaque matin, nous recollons les morceaux de nous-mêmes, et nous repartons… parce que quelqu’un nous attend, et parce que nous savons qu’au fond de chaque tente, il y a un cœur qui continue de battre, envers et contre tout.
Lien vers les photos et vidéos
Travail humanitaire
https://drive.google.com/drive/folders/1Ex66UTxL4fg-ykR9NP4jJYU5PTzVjjL0

Programmes éducatifs
https://drive.google.com/drive/folders/1YTJgt3TQZTfxH3c_98-whuGGWzZBIbTc

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