Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Soutenir les femmes à Gaza, c’est soutenir tout un peuple !

8 avril 2025
Atelier de soutien psychologique pour les femmes

Abu Amir envoie le 8 Avril le récit d’une histoire du temps de la guerre, superbement terrible : “Deux femmes dans un seul corps”

Elle n’avait pas encore vingt-cinq ans. Une jeune femme de Gaza, au début de sa vie, mariée à l’homme que son cœur avait choisi, avec qui elle avait eu un petit garçon qui n’avait pas encore fêté sa première année. Dans cette petite maison, au côté de son mari, elle voyait toute la vie possible. Le premier matin de la guerre, son mari sortit pour acheter du pain et quelques provisions. Il embrassa son front, caressa tendrement leur bébé, puis dit d’une voix douce : “Je ne serai pas long.” Et depuis ce moment… elle ne le revit plus jamais.

Il disparut. Comme si la terre l’avait avalé. Ni martyr, ni disparu, ni prisonnier. Ils le cherchèrent partout : dans les hôpitaux, sous les décombres, dans les listes de noms et les photos. Avec le temps, les voix commencèrent à s’élever : “Il a peut-être été tué”, “Peut-être enseveli sous les ruines”, “Il est mort, sans qu’on le sache.”

Sa famille refusa qu’elle reste seule dans la maison de ses beaux-parents, et insista pour qu’elle revienne chez eux. Mais la famille de son mari s’accrocha à elle et à leur petit-fils, jusqu’à ce qu’on leur propose : “Qu’elle épouse son beau-frère cadet, ainsi elle restera parmi nous, et nous pourrons élever le fils de notre défunt comme il se doit.” Elle était entre deux feux. Personne ne lui demanda ce qu’elle voulait. Tout ce qu’elle vit dans les regards, c’est qu’elle était un fardeau qu’il fallait réorganiser.

Elle accepta sous une forte pression. Le mariage fut contracté, et elle entra dans une nouvelle vie… sans amour, seulement des obligations, de l’endurance et du silence. Les mois passèrent, puis elle donna naissance à un second enfant de son nouveau mari. Elle essaya de se convaincre que la vie pouvait offrir une seconde chance, que le chagrin pouvait s’apaiser, et que Dieu la récompenserait.

Puis vint le jour où tout s’effondra. Elle était chez elle, assise près de son petit, lorsque son nouveau mari entra précipitamment, chuchotant avec peur : “Il est revenu… mon frère est revenu… il n’est pas mort !” Elle le regarda, stupéfaite, puis sortit comme une folle, courant vers la cour où les gens s’étaient rassemblés. Là, il se tenait. Son premier mari. Vivant. Devant ses yeux.

Elle se figea. Sa gorge se dessécha, ses membres tremblèrent, et elle s’évanouit. À son réveil, tout avait explosé. Son premier mari criait comme un fou, secouant son frère : “Comment ?! Comment as-tu osé ?! Tu m’as volé ma femme !” Le frère tentait de se justifier, d’expliquer, répétant qu’ils le croyaient mort. Et elle, debout entre eux, les yeux en feu, les mains tremblantes, le cœur brisé. Elle supplia, pleura, tomba à genoux… mais personne ne l’écouta.

Quand la tempête s’apaisa, elle retourna chez ses parents. Avec deux enfants de deux hommes, et aucun homme ne la voulait. Son premier mari déclara que sa dignité avait été piétinée, et qu’il ne pouvait plus la regarder. Le second dit que continuer était impossible, qu’il ne pouvait faire face à son frère ni aux regards de la société.

Elle vit désormais dans sa vieille chambre chez ses parents. Elle passe de longues heures devant la fenêtre, un enfant dans les bras, l’autre endormi à côté. Chaque soir, elle se demande : “Qu’ai-je fait ? Pour quelle faute ma vie a-t-elle été détruite deux fois ? Avais-je seulement le choix ? Ou ne suis-je qu’une victime d’un pays en feu, d’une guerre impitoyable ?”

Elle ne sait plus qui elle est. Mère de deux enfants de deux hommes, veuve d’un homme encore vivant, épouse d’un homme qui ne la veut plus. Victime d’une époque sans cœur, d’une société sans pitié, d’une réalité qui écrase les femmes en silence.

Voici son histoire. Et combien d’autres histoires semblables ne sont jamais racontées, dans cette Gaza qui ne meurt jamais, mais qui ne goûte plus à la vie. Dans chaque guerre, les corps sont tués, mais après la guerre… ce sont les âmes qui meurent. Les femmes sont laissées seules à affronter les conséquences, à être jugées pour des décisions qu’elles n’ont pas prises, à payer le prix d’une absence qu’elles n’ont pas choisie.

Ce que cette jeune femme a vécu n’est pas un cas isolé, mais un portrait récurrent de la souffrance des femmes dans la bande de Gaza, où la femme porte le poids le plus lourd à chaque étape de la guerre : dans la perte, le déplacement, l’effondrement et la reconstruction. Les femmes à Gaza ne sont pas seulement des victimes des bombardements, elles sont aussi victimes du vide juridique, de la pression sociale et de l’absence de protection psychologique et juridique.

La guerre a laissé des blessures profondes dans les âmes des femmes, invisibles à l’œil nu, mais qui saignent chaque jour en silence. Nombreuses sont celles qui sont contraintes à prendre des décisions forcées, à porter des fardeaux qui dépassent leurs forces, sans que personne n’écoute leur voix ou ne rende justice à leur douleur.

C’est pourquoi les femmes ont aujourd’hui un besoin urgent de programmes de soutien psychologique spécialisés, adaptés aux traumatismes et aux pertes qu’elles ont subis, ainsi que d’une protection juridique qui garantisse la justice dans les affaires de mariage, de garde, de propriété et de dignité. Car elles ne sont pas de simples victimes passagères des guerres, mais bien les piliers des foyers, les fondations des familles, et les garantes de l’avenir de toute une société.

Soutenir les femmes aujourd’hui… c’est soutenir la résilience de tout un peuple.

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