L’interdiction des armes policières mutilantes plus que jamais nécessaire

11 septembre 2020

En novembre 2019, nous lancions la campagne pour l’interdiction des armes policières mutilantes notamment par le biais d’une tribune signée par de nombreux collectifs, associations, organisations politiques et citoyennes [1]. En cette rentrée 2020, nous ne pouvons que constater l’ampleur des violences policières en France et dans le monde ; leur impact dans la société française en a fait un des thèmes majeurs du premier semestre 2020. Les armes mutilantes (lanceurs de balles de défense, grenades de désencerclement et grenades assourdissantes lacrymogènes) participent de cette escalade et, plus que jamais, doivent être interdites.

Des violences policières renouvelées

Les différents mouvements sociaux de 2020 (gilets jaunes, manifestations pour la défense des retraites, mouvement des personnels de santé, des pompiers, etc.) ont tous été confrontés aux comportements violents des forces policières. Des scènes insupportables et emblématiques de ces violences ont de nouveau été filmées et resteront gravées dans les mémoires : manifestant victime d’un tir de LBD à bout portant [2], pompier visé à la tête [3] ou encore infirmière tirée par les cheveux [4].
                                                                                             Dans d’autres circonstances, l’interpellation meurtrière de Cédric Chouviat a rendu visible l’insupportable. La technique de plaquage ventral appliquée pour un simple contrôle routier a provoqué la mort par asphyxie de l’interpelé qui exprimait clairement son étouffement [5]. L’idée même de mourir de la sorte fait froid dans le dos à tout le monde, pourtant c’est loin d’être un cas isolé.

Pendant et juste après le confinement, alors qu’il est question de santé et de sauvegarde de vies humaines, les populations les plus démunies ont subi diverses formes de violences policières : des migrant-e-s délogé-e-s brutalement [6] à une fillette de 5 ans tombée dans le coma suite à des tirs de LBD à Chanteloup-les-Vignes [7]. Le bilan des morts est effrayant, avec plus de 10 décès suite à des actions policières [8], dont Mohamed Gabsi à Béziers, mort, lui aussi, asphyxié [9]. Dans les banlieues et les quartiers populaires  sous restrictions sanitaires, la violence policière n’a jamais cessé. La sortie du film “Les misérables” avant le confinement est venue témoigner à point nommé de l’enracinement dans les corps policiers (dont la BAC) de ces rapports brutaux où les armes mutilantes jouent un rôle déterminant.

Des réactions asymétriques

Une part grandissante de la population française est scandalisée et s’est mobilisée contre ces violences. Aux Etats-Unis, le meurtre de George Floyd par asphyxie, et plus récemment les 7 balles dans le dos reçues par Jacob Blake, sont des preuves de plus de la violence et de la brutalité de la police vis-à-vis de la communauté afro-américaine. Cela a relancé les mouvements réclamant justice pour les victimes de violences policières et ceux contre le racisme. En France, de grandes manifestations ont eu lieu en région parisienne et dans de nombreuses villes, faisant le lien avec les victimes de la police française. Ces mouvements attirent une jeunesse qui rejette de plus en plus une société injuste et répressive.

En parallèle, les plaintes et les recours entamés par les victimes de violences policières ou leurs proches s’accumulent mais n’aboutissent que très rarement à des décisions jugées acceptables par les plaignant-e-s [10].

A rebours des réactions scandalisées de la population, de trop nombreux responsables politiques continuent de justifier les actions policières soit ouvertement, soit implicitement, sans aucun regret, aucune considération pour les victimes. Le soutien inébranlable aux forces policières, dont les dérives politiques et racistes ont pourtant été révélées au grand public [11], semble passer avant toute autre considération. Une stratégie qui en dit long sur la façon de gouverner. Nous avons ainsi été témoins : d’un président qui arbore cyniquement un t-shirt dénonçant les éborgnements au festival de BD d’Angoulème [12], d’un ex-ministre de l’intérieur qui communique sur le remplacement d’une grenade par une autre [13], et d’un nouveau ministre de l’intérieur qui se met à parler d’”ensauvagement” des populations [14] et qui ose dire qu’il “s’étouffe en entendant parler de violences policières” après les meurtres par étouffement de Cédric Chouviat et George Floyd [15]. A ce stade, même l’indigne est dépassé.

Les armes mutilantes toujours en question

Les armes mutilantes dites “non-létales”, dont les balles de “défense” et les différentes grenades, sont présentées par les gouvernements comme des armes qui permettent d’éviter l’emploi d’armes plus meurtrières. Cependant, elles contribuent de plus en plus au renforcement des violences policières et en augmentent le niveau [16]. Leur emploi massif depuis une dizaine d’années est devenu un élément central du contrôle des populations.

L’état français est devenu de fait un champion européen (et au-delà) dans l’utilisation de ces armes. Fortes de leur carnet de commandes  publiques, les entreprises françaises se positionnent également à l’international. Les manifestations libanaises suite aux explosions à Beyrouth, ont ainsi été réprimées grâce aux armes produites par la société Alsetex [17]. D’autres entreprises françaises ont aussi livré des armes policières : en Tunisie, en République Démocratique Du Congo, au Kenya, au Bahreïn, … livraisons parfois assorties de formations à leur usage assurées par des gendarmes ou des CRS [18]!

Ces armes massivement utilisées en France sont mortifères. La documentation en la matière devient pléthorique [19]. Leur emploi massif est de plus en plus dénoncé parmi les organisations syndicales, politiques, les associations, les institutions, les médias, les documentaires [20] mais aussi les fictions (“Dernière sommation” roman de David Dufresnes, “Les misérables” film de Ladj Ly). Après deux années de recrudescence des mutilations, notamment dans le cadre du mouvement des Gilets Jaunes, leur emploi blesse encore à vie, des victimes parfois très jeunes. Qui peut réparer cela ? Qui peut le justifier ?

Les dégâts des armes policières mutilantes interviennent à plusieurs niveaux. Aux mutilations et aux morts, il faut rajouter les nombreux dommages psychologiques qu’elles engendrent. Elles sont un moyen d’intimidation des populations et par là de restriction des droits (à manifester, à circuler) alors que le gouvernement poursuit sa politique de casse sociale. L’usage de ces armes favorise intrinsèquement la violence accrue des forces policières à laquelle nous assistons ces dernières années. Le sentiment de toute puissance que confèrent le fait de tirer sur des personnes et l’impunité assurée a priori aux policiers, favorise un usage accru de la force par ces derniers et la multiplication de scènes de violences policières [21]. Enfin, ces armes, associées à l’ensemble de la panoplie policière actuelle, contribuent à la militarisation de la société et à une escalade dans les logiques d’affrontement lors des conflits sociaux.

Alors oui, plus que jamais, il faut combattre l’utilisation de ces armes en obtenant leur interdiction, pour défendre nos droits, pour éviter de nouvelles mutilations et de nouvelles morts.

Montpellier, le 11 septembre 2020

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