Témoignages de Gazaouis : la survie s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 49 / 27-28 mars
2 avril 2024Brigitte Challande, journaliste montpelliéraine, recueille régulièrement depuis le début de l’attaque de l’armée israélienne des témoignages de civil.es palestinien.nes, également publiés sur les sites de l’International Solidarity Mouvement (ISM) et d’Altermidi.
Des précisions pour une meilleure compréhension de ces chroniques journalières, notamment pour celles et ceux qui rejoignent leur lecture récemment ou de façon discontinue : le compte rendu précis et factuel des violences et violations du droit, commises par Israël, que compile Marsel quotidiennement dans un récit prennent leur source dans une observation documentée à la fois sur le terrain et à partir de différentes déclarations officielles ou médiatiques. Cet ensemble en constitue un document essentiel.
L’emploi très fréquent dans ces chroniques du mot « martyr » fait référence au fait « d’être assassiné par la guerre », c’est à dire mort. En ce moment, journellement il y a entre 150 et 200 morts par jour dans toute la bande de Gaza.
Brigitte Challande, 30 mars 2024. Hier 28 mars et avant-hier 27 mars, Marsel nous a envoyé deux vidéos sous titrées en anglais et maintenant en français : le travail effectué par l’équipe d’ Ibn Sina et « le seul survivant » !
Distribution par Ibn Sina de colis d’urgence contenant des légumes dans les tentes à Rafah :
« La mort et la faim. Il y a une différence entre un tueur qui tue sa victime et un tueur qui pratique le meurtre comme s’il s’agissait d’un art ou d’un passe-temps. Tuer de plusieurs manières, stimuler sa passion pour découvrir de nouvelles façons de tuer – pour voir que toutes les victimes méritent d’être tuées, et que tous ceux qui ont survécu doivent être tués. Faire de l’eau un outil meurtrier en la polluant. D’un camion de secours transportant des sacs de farine à un camion transportant un cimetière couvert du sang des affamés qui ont été tués en s’inquiétant pour leurs enfants, dont les cris résonnent encore aux oreilles de leurs pères martyrs.
Face à cette grande tragédie, nous avons dû intervenir et apporter du secours à certaines familles alors que la situation s’aggrave Nous avons fourni 50 colis de secours. C’est une action humanitaire qui a apporté du soulagement à ces familles. Les secours leur ont fourni de la nourriture qui renforcera leur résilience pendant quelques jours.
Espérons que cette tragédie prenne fin et que les personnes déplacées obtiennent leurs droits humains garantis par les conventions et normes internationales, comme la protection en temps de guerre.
La Convention de Genève oblige les parties belligérantes à fournir protection et soins aux personnes déplacées pendant les guerres, notamment en leur fournissant la nourriture nécessaire. Dans ce contexte, l’article 54 du Premier Protocole additionnel à la Convention de Genève de 1949 stipule que « les populations civiles et les personnes déplacées par l’agression bénéficieront des mêmes soins et de la même protection que ceux qui leur sont accordés en vertu des lois et pratiques humanitaires internationales, et leur droit la nourriture et les médicaments ne doivent pas être violés, et aucune sanction visant la « faim ».
L’article 69 du Deuxième Protocole additionnel à la Convention de Genève affirme que « la faim ne doit pas être utilisé comme arme de guerre, et les personnes déplacées et les civils doivent être protégés et soignés contre la famine et la privation de denrées alimentaires de base. Il est également important de fournir de l’eau propre et potable aux personnes déplacées et aux civils pendant les périodes de guerre et de conflit. L’eau est un droit humain fondamental et sa garantie est une priorité de la protection humanitaire. L’article 69 du Deuxième Protocole à la Convention de Genève établit un principe explicite exigeant que les parties belligérantes veillent à ce que les personnes déplacées et les civils aient accès à l’eau potable et protègent les infrastructures hydrauliques civiles de la destruction et des perturbations… »
Par ici, une vidéo qui raconte l’histoire de Rakan, seul survivant de la famille Hojo.
Le 29 mars, Marsel envoie cette photo avec un commentaire dont le réel saute à la figure !
Abu Amir, le 29 mars au soir, par WhatsApp.
Après l’envoi d’un message à Abu Amir pour avoir des nouvelles, il répond :
« Ma chère, la situation est très difficile ici. L’occupation est en train de démolir une ville entière à un kilomètre de chez moi. Cette ville s’appelle la Ville des Prisonniers et se trouve au nord du camp de Nuseirat. Nous craignons que l’occupation veuille dégager la route pour entrer dans la région de Nuseirat. Nous ne savons pas ce que l’occupation a l’intention de faire… »
Écrire à Abu Amir que nous sommes avec lui , que nous l’écrivons et que nous hurlons au monde entier qu’il faut que cette horreur cesse immédiatement ! Il répond :
« Les gouvernements du monde et la plupart de leurs institutions font la sourde oreille face à l’injustice qui se produit dans la bande de Gaza. »
Au matin du 30 mars, Marsel nous envoie cette terrible nouvelle :
« Je me suis réveillé ce matin avec une nouvelle choquante, comme si la population de Gaza avait besoin de plus de souffrance, de catastrophes et de faim. Nous lisons : “La Banque de Palestine à Gaza fermera ses distributeurs automatiques d’ici quelques jours en raison du manque de liquidités dans le coffre-fort de la banque. Ce qui reste, ce sont des papiers sans valeur.” Fermer la porte des banques créera des situations encore plus graves pour ceux qui meurent de faim compte tenu de la rareté des programmes de secours, de l’arrêt des salaires et de l’aide. L’arrêt des banques le vide des produits sur les marchés et l’incapacité des commerçants à payer le prix des marchandises. La Banque de Palestine est la plus grande banque opérant en Palestine. La fermeture des guichets automatiques des banques et l’arrêt du versement des fonds aux bénéficiaires, qu’il s’agisse de salaires, d’aides ou de dépôts pour les clients, aggraveront considérablement la situation désastreuse et exacerberont la crise humanitaire et économique en raison de l’arrêt des flux de trésorerie et des paiements aux bénéficiaires. Les souffrances des réfugiés et des pauvres se sont en conséquence intensifiées, ce qui conduira effectivement à une famine sans précédent, contrairement à tout ce que l’on peut voir, même dans les pires cauchemars. Ouvrir les portes des banques et fournir des liquidités est une nécessité urgente pour atténuer les effets catastrophiques de la guerre à Gaza. Les effets observés de cette catastrophe sont sans aucun doute de la responsabilité de l’occupation, principalement en raison du ciblage des banques et des distributeurs automatiques, qui a affaibli la capacité de fonctionnement des banques et les a vidées de liquidités indispensables. En outre, l’Autorité monétaire palestinienne porte la responsabilité de ne pas avoir pris de mesures sérieuses pour résoudre ce problème, évident depuis un certain temps en raison du manque de liquidités et de l’émergence de profiteurs de guerre qui imposent aux citoyens des commissions atteignant 20 % de leurs salaires, ou des transferts financiers. L’Autorité palestinienne et le gouvernement de Gaza portent également une responsabilité car ils ont la responsabilité de protéger les citoyens et de leur garantir le strict minimum de leurs droits, comme les salaires des citoyens. Et bien sûr, nous ne devons pas oublier la responsabilité de la communauté internationale, car tout ce qui se passe est le résultat inévitable du silence de la communauté internationale face à la guerre et au génocide perpétrés par l’occupation contre toute la population de Gaza, en particulier civils, entraînant des massacres, la famine et le déplacement forcé d’individus, ainsi que l’empêchement de l’entrée des marchandises, conduisant à l’arrêt de l’économie.
En résumé, les effets catastrophiques des fermetures de banques comprennent :
1. Fermeture de tous les bureaux de transfert de fonds, qui servaient de débouché aux citoyens en recevant l’aide de leurs proches, et cessation du travail de certaines institutions qui dépendaient des transferts financiers des agences d’aide aux réfugiés.
2. Effondrement de la vie financière et économique, avec l’arrêt des salaires des employés, ainsi que l’arrêt de l’aide financière à un grand nombre de réfugiés qui la recevaient mensuellement de l’UNICEF et d’autres organisations locales et internationales.
3. Apparition d’une véritable famine qui affectera tout le monde et n’épargnera personne en raison de la guerre et du siège et de l’arrêt des flux de trésorerie.
4. Augmentation de l’influence des profiteurs de guerre qui pratiquent l’extorsion et la fraude, exploitant le besoin d’argent des gens pour réaliser des gains personnels. Un exemple en est l’achat de bijoux en or pour femmes à des prix très bas, profitant de la rareté des liquidités sur les marchés. La fermeture des banques augmentera leur influence et leur cupidité à exploiter les plus vulnérables.
5. Détérioration de la sécurité et de la stabilité intérieure et augmentation des actes de violence et des tensions dans la société en raison du conflit pour l’alimentation et les moyens de subsistance, entraînant un manque de confiance entre les populations et la disparition de la sécurité et de la stabilité sociales, ce qui est extrêmement grave.
La fermeture des banques et l’arrêt des décaissements de fonds dans un contexte de guerre et de siège à Gaza ont créé une situation humanitaire et économique tragique qui nécessite une intervention urgente de la communauté internationale et des autorités compétentes pour alléger les souffrances de la population en fournissant des liquidités aux banques, trouver des solutions radicales à la crise humanitaire et économique étouffante et œuvrer pour freiner les profiteurs de la guerre par tous les moyens nécessaires. »
Mais aujourd’hui 30 mars, c’est la Journée de la Terre, symbole de la résistance palestinienne à l’occupation israélienne depuis 75 ans et nous la fêterons partout en France et dans le monde.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel sur les sites d’Altermidi et de l’ISM.
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se concacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :