Une histoire du confinement à la petite semaine | Billet d’humeur

10 mai 2020
Dessin d'Azco. Retrouvez plus de dessins d'Azco sur l'Agora du Poing, ou sur son site actualiteabsurde.wordpress.com

Petit billet d’humeur sur le confinement.

 

Finalement tu l’as accepté ce confinement.

Tu ne pariais pourtant pas beaucoup sur ta capacité à y parvenir, ni sur celle de certaines copaines. Tu ne t’imaginais pas te cloîtrer, toi qui avais toujours des colliers de serrage plein les poches et montais à la sauvette des barricades infranchissables. Et ta copine qui n’était jamais loin et sortait son petit flacon d’essence pour barbecue et enflammait les cœurs. Ça fait trois jours qu’elle n’est pas sortie, elle t’a dit.

C’est étrange de s’adapter aussi bien à une telle privation. Ça l’est d’autant plus de la part de ceux qui vouent une partie de leurs existences à combattre les forces qui voudraient t’emmurer pour te faire taire.

C’est étrange de t’autoriser toi-même à sortir en signant un bout de papier. C’est habituellement ceux qui enferment qui autorisent à sortir. Comme si tu t’étais toi-même enfermée.

C’est un peu comme si ce n’était pas si nouveau en somme, comme si tu y étais déjà habituée. C’est un peu comme si tu étais déjà confinée avant le confinement, comme si le confinement ne changeait pas grand chose si ce n’est acter concrètement un truc que tu connais intimement et qui ne date pas de la semaine dernière.

Lundi

On t’a dit qu’il valait mieux les parquer. La sédentarisation et le cheptel bien clôturé, c’est quand même plus efficace que la vie nomade et une alimentation à l’opportunité. Exit la chasseuse et le cueilleur, bienvenue la stabulation parce que quand même, si on va par là, c’est encore plus efficace quand t’en confines dix au mètre carré, surtout quand tu peux les empiler.

Mardi

On t’a dit qu’il valait mieux donner le pouvoir à quelques-uns. Ça marche comme ça la démocratie, tu ne peux pas tout comprendre mais tu peux nous faire confiance. On a même accepté que les femmes de couleur puissent voter, c’est ça la démocratie, ce n’était pas la peine d’embraser les rues pour si peu. Maintenant il faut rentrer à la maison, on t’appellera, tu sais la démocratie c’est confiné dans le temps et à une petite boîte dans laquelle tu pourras glisser un petit papier. Quoi ? T’as quelque chose à ajouter ? Non ? Bien. Très bien.

Mercredi

On t’a dit qu’il valait mieux avoir des propriétaires. Tu comprends, il vaut mieux découper de petites portions que de tout donner à tout le monde. Et plus t’arrives à réduire la taille de ces portions, plus elles ont de la valeur, c’est magique. T’inquiètes, on va te fournir un tas de trucs pour que tu ne t’ennuies pas dans ces petits espaces que nous allons, par la force des choses, devoir confiner à la seule cellule familiale. Tu ne parviens pas à devenir propriétaire ? Ne t’inquiète pas, on trouvera des arrangements avec ceux qui ont beaucoup de petites portions. Pareil pour les machines, si tu confines leur appartenance à peu de personnes, elles ont un meilleur rendement. Mais ça tu le comprendras mieux demain.

Jeudi

On t’a dit qu’il valait mieux se spécialiser. Si tu te concentres sur un seul boulon, tu deviens rapidement l’as de ce boulon, c’est super. Et là tu te demandes qui va savoir à quoi sert le boulon si chaque personne est confinée à un infime maillon. T’inquiète, on a d’autres spécialistes pour ça mais c’est toi la boss du boulon, serre. Et tu montais des murs dont tu n’avais pas choisi la hauteur et dont tu ne choisirais jamais la couleur de papier-peint. Et tu livrais des burgers sans même savoir s’ils étaient bons.

Vendredi

On t’a dit, c’était une dure semaine, t’as bien bossé, mais ça fait un peu peur quand même parce

qu’on pourrait tout perdre, non ? Si si on t’assure, ça fait peur. Encore une fois, t’inquiètes, on a tout prévu. On va confiner la parole médiatique à ceux qui pensent comme nous, on va confiner les villes sous surveillance pour te protéger, on va confiner ceux qui dévient de notre pensée ou ceux qui viennent de trop loin pour la comprendre, on va confiner les échanges sociaux à des applis infiltrés, on va confiner ton salaire à ta subsistance et aux quelques gadgets dont tu auras besoin pour espérer te laver de cette peur. On va te la rendre supportable cette peur mais, crois-nous, c’est en te confinant à cette peur qu’on pourra préserver tout ce que tu as accompli en une si fragile semaine.

Samedi

Là tu t’es dit qu’il valait mieux sortir pour ne pas étouffer.

Tu y as cru non ? Ne dis pas le contraire, tu revenais à chaque fois avec de nouvelles idées, c’est vrai qu’il y a plus efficace qu’un briquet pour embraser.

Ouais tu y as cru.

Mais bon, fallait pas se leurrer, quand t’as passé ta semaine à te confiner, c’est normal d’accepter que ta colère soit à son tour confinée, confinée aux seuls samedis, qui eux-mêmes deviennent de plus en plus confinés avec des médias rapidement muselés, des parcours imposés et finalement encadrés, cernés par des cordons alignés. Fallait le voir pour le croire : on venait d’inventer la manifestation confinée.

Dimanche

On t’a dit qu’un virus allait te confiner chez toi. C’est ce que t’as fait, ce n’était pas très compliqué. Et depuis, tous les jours c’est dimanche.

On t’a dit que ça va cesser. Tu vas bientôt sortir de ce confinement.

Et ce jour-là tous les dimanches pourraient devenir des samedis.

Pas des samedis comme ceux que tu as connus, non. Des samedis de personnes déconfinées. Déconfinées de cette histoire à la petite semaine.

 

Lëa Gary

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE AGORA SUIVANT :

Comment France 2, TF1 et Le Canard Enchaîné ont caché des tortures commises par la police | Vidéo