Drone : une arme absolue au service d’une domination totale
Grégoire Chamayou. Retenez son nom, c’est grâce à ce philosophe chercheur au CNRS que nous disposons enfin des outils de réflexion nous permettant de saisir tous les problèmes éthiques et moraux posés par l’utilisation des drones, ces avions sans pilotes téléguidés à distance permettant de frapper son ennemi sans aucun risque.
Difficile de comprendre pourquoi les intellectuels ont pendant longtemps délaissé cette question, peut-être ont-ils été pris au dépourvu face au développement fulgurant de ces aéronefs : durant ces dix dernières années, la CIA s’est dotée de plus de 6 000 de ces appareils tandis que le Sénat américain vient d’augmenter le budget des drones de plus de 30%. Les restrictions budgétaires n’existent pas quand il s’agit de dépense militaire ! Ce silence appartient désormais au passé, l’omerta a été brisée par le livre Théorie du drone de ce philosophe, et il s’agit de le diffuser massivement autour de nous puisque la quasi-totalité des grands médias n’en parlera pas.
Une arme de lâche contraire au droit international
Le débat autour du droit de tuer taraude l’humanité depuis la nuit des temps. Toutes les sociétés et toutes les religions condamnent l’homicide, sauf si deux entités souveraines se donnent réciproquement le droit de se tuer mutuellement. C’est ce qu’on appelle la guerre. Aussi cynique que cela puisse paraître, les humains s’entretuent dans le cadre de réglementations précises : pour qu’un homicide soit licite, il faut que la guerre respecte certaines formes. Pour que la guerre soit juridiquement conforme au droit international chaque belligérant doit être en capacité de tuer son ennemi. C’est précisément ce principe fondamental du droit international qui est remis en cause par l’utilisation du drone.
Certes, cela fait déjà bien longtemps que les militaires cherchent à accroître la portée balistique de leurs armes pour minimiser les risques, mais jamais un tel niveau d’asymétrie n’avait été atteint puisqu’avec le drone, l’action de tuer n’a même plus d’unité de lieu. Le soldat est tranquillement installé dans son fauteuil, joystick en main et yeux rivés sur l’écran : on ne parle donc plus d’une guerre mais d’une authentique chasse à l’homme. Le gibier n’a aucune chance de riposter, il est privé d’ennemi à tuer, le rapport de réciprocité s’annule donc.
C’est un changement radical dans la manière de concevoir la guerre qui s’oppose à tous les traités internationaux existants. Il n’est pas sûr que l’on ait déjà atteint un tel degré de lâcheté humaine. D’ailleurs, Grégoire Chamayou nous rappelle que les premiers à avoir contesté les drones ne sont pas les pacifistes mais les pilotes de l’air, se considérant comme les garants d’une certaine noblesse au combat. Il paraît en effet difficile d’élever un pilote de drone au statut de héros de guerre… On est même en droit de se demander si c’est un soldat, car qu’est-ce qu’un combattant sans combat, sinon un assassin ?
Des yeux au service d’un paternalisme dominateur
Si les Américains ont opté pour le développement des drones, c’est parce qu’ils permettent d’instaurer un climat de terreur et de tension psychologique. Où que l’on aille, on ne peut pas leur échapper, donnant ainsi l’impression d’être traqué et harcelé en permanence. Votre assassin se trouve au-dessus des nuages, il ne vous reste donc plus qu’à contempler le ciel en attendant la punition divine. Voilà pourquoi c’est une arme totalitaire par essence : le drone voit tout et contrôle tout. Vous voulez vous réfugier dans votre cave ? Le drone vous retrouve grâce à ses capteurs thermiques. Vous voulez arrêter les hostilités et vous convertir à une vie civile ? Le drone a été programmé pour vous tuer et aucune échappatoire n’est possible. Le contrôle total permis par cette arme la transforme alors en un véritable outil de gouvernance en soi. Une force céleste et paternelle sait où vous êtes, ce que vous faites, et veille sur vous. Comme Dieu, on ne la voit pas et on ne saisit pas ses intentions, et si des missiles pleuvent du ciel, c’est bel et bien qu’ils devaient tomber…Pour Grégoire Chamayou, c’est une régression vers une forme de gouvernance telle qu’on la concevait aux premiers temps de l’Humanité, et il cite Abraham pour illustrer son propos : « Le pouvoir du souverain est celui d’un pasteur sur ses troupeaux, c’est un pouvoir bienveillant, individualisant, mobile ». Amen.
Les témoignages d’Afghans, Pakistanais ou bien encore Somaliens insistent tous sur le harcèlement psychologique provoqué par les drones : se sachant épiés, ils conforment leurs comportements aux attentes de l’ennemi, ne sachant jamais si cela sera suffisant pour ne pas être abattu.
Des crimes contre l’Humanité dont Obama est le premier responsable
La majorité des cibles visées par les drones ne sont pas des individus connus de l’état-major américain, mais des individus dont on suppose qu’ils constituent une menace. Évidemment, toute personne luttant contre l’hégémonie américaine, avec ou sans armes, est susceptible d’être considéré comme une menace. Chaque habitant d’un pays soumis aux drones devient une menace présumée. C’est d’ailleurs comme cela que les victimes des drones sont présentées : on nous parle de « militants présumés d’Al-Qaida ». Mais depuis quand le droit permet-il à des militaires de tuer sur la base d’une supposition ? Comment jugent-ils les personnes menaçantes ? Quelles sont les techniques de ces marabouts ? Le gouvernement américain doit cesser d’assassiner des civils en toute impunité en les faisant ensuite passer pour des terroristes en puissance.
Ironie de l’histoire, la massification des drones a été orchestrée par notre cher prix Nobel de la paix : Barack Obama. Si certains d’entre vous considèrent encore le personnage comme sympathique, sachez que c’est lui qui supervise personnellement ces crimes de guerre. Et que l’on ne crie pas au complot, ces informations sont tirées du New York Times – journal que l’on ne peut accuser de bolchevisme. On y apprend effectivement que chaque mardi, se tient à Washington la réunion de l’appareil de sécurité américain pendant laquelle est établie la liste des personnalités à abattre. La « kill list », pour les intimes. Elle est ensuite remise à Barack Obama qui doit l’approuver de manière orale. Sa responsabilité dans ces crimes de guerre est donc totale, et on est en droit de se demander quelles sont les opérations à mettre en œuvre pour qu’il se retrouve devant la Cour Pénale Internationale. Pour Grégoire Chamayou, cela ne fait aucun doute que « le drone est la forme la plus contemporaine de la chasse à l’homme d’autrefois ».
Jules Panetier
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