Élections législatives anticipées : l’antifascisme électoral, du tragique à la farce
Depuis le neuf juin, la France est entrée dans une séquence politique historique. La dissolution surprise de l’Assemblée nationale suscite tant l’espoir d’une fin anticipée du macronisme, que l’angoisse à l’idée de temps obscurs
Le président a tenté un blitzkrieg démocratique. Dissoudre, mener une campagne express, rebâtir une majorité en pariant sur la demande d’ordre ett de stabilité de l’électorat, face à des oppositions décrédibilisées, fracturées. Ce pari de Macron repose sur deux hypothèses : que la gauche reste divisée suite à la campagne des Européennes, et que le RN incarne un repoussoir, synonyme de chaos et de violence.
Or le second fait majeur est bien sûr la recomposition fragile d’une gauche unie. Ce « Nouveau front populaire » proposé par François Ruffin dès la dissolution ratisse large, de François Hollande à Philippe Poutou en passant par le leader de la Jeune Garde antifasciste. Les socialistes y contestent la domination des insoumis, eux-mêmes affaiblis par la récente purge des députés dissidents. Cependant l’alliance est là. En un temps record, un programme a été proposé, mélange de mesures sociales consensuelles et de positions internationales tirées du programme de Raphael Glucksmann. La gauche radicale a accepté bien des compromis pour rejouer le front populaire.
Alors, est-ce que « tout repart comme en 36 » ? Voir. La dynamique d’unité est incontestable. Mais elle réhabilite au passage les figures haïes de la social-démocratie française d’où avait émergé Macron – François Hollande en tête. Si la manœuvre avait vocation à éteindre les critiques du centre renvoyant dos à dos « deux extrêmes », c’est raté : éditorialistes, ministres et responsables économiques continuent dans le même registre. Il est d’ailleurs frappant de constater que si des responsables du NFP annoncent déjà un vote barrage contre le RN en cas d’absence de la gauche au second tour, ce n’est absolument pas le cas de la macronie. Cocus historiques, les artisans du barrage (en 2017, en 2022…) n’auront pas gagné la moindre molécule de respect de la part d’un gouvernement qu’ils auront pourtant fait élire. L’antifascisme électoral touche à ses limites.
Car voici la troisième partie de l’équation : le RN n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Plus encore que ses scores sur tout le territoire, sa pénétration de secteurs de la société jusqu’alors plutôt hostiles à l’extrême droite est incontestable. Retraités, cadres, milieux patronaux, tous les groupes ayant porté au pouvoir le macronisme commencent à basculer. Le lissage du discours incarné par un Jordan Bardella présenté (avec la complaisance de ses adversaires) en gendre idéal finit par donner des résultats. Derrière les apparences, on trouve bien entendu des membres et des éléments programmatiques du courant nationaliste français historique. Mais les concessions du parti vont très loin, pour attirer à lui tous les milieu, de l’ouvrier au chômage jusqu’au patron de start-up. Présenter le RN comme un pur parti fasciste, plutôt que comme une version accélérationiste des politiques que l’on a subi jusqu’alors, avec leur état sécuritaire et leur violence sociale, c’est frapper à côté de la cible. Constat amer : il n’y a pas encore en France de mouvement révolutionnaire assez menaçant pour qu’un parti fasciste émerge en réaction. Seulement le RN, désormais hégémonique, prêt à réaliser l’union des droites.
Après son score historique aux Européennes, Jordan Bardella a manœuvré assez habilement pour se débarrasser de ses rivaux. Eric Zemmour est lâché en rase campagne par Marion Maréchal, qui sent le vent tourner ; l’implosion de Reconquête accompagne celle des Républicains, dont le président Eric Ciotti franchit le Rubicon pour s’allier avec le RN – ce qui pousse en retour les débris du parti vers le camp présidentiel. Voilà donc nos trois blocs en présence. Ceux-ci se dessinaient déjà en 2017. Renforcés depuis 2022, ils constituent une rupture nette avec le bipartisme qui dominait jusqu’alors la vie politique française.
Car comment réunir une majorité en pareilles circonstances ? Le RN commence à se couvrir ; il annonce déjà renoncer à certaines mesures sociales, en repousser d’autres, refuser de gouverner sans majorité… Car peut-être était-ce le pari du camp présidentiel : amener le RN au pouvoir plus tôt que prévu, et le laisser se décrédibiliser à vitesse accélérée. Pari risqué, cynique à l’extrême. On n’imagine pas non plus comment une cohabitation avec le NFP pourrait concrètement fonctionner, ne serait-ce que pour mettre en place son programme minimal, qui ne sera certainement pas facilité par une administration aux mains de la droite.
La France se dirige donc vers un scénario à l’espagnol. Chez nos voisins, dans ce régime parlementaire représentatif, le premier ministre doit bâtir une coalition pour gouverner. Ce sera sûrement le cas en juillet de ce côté des Pyrénées. Alors ? Alliance des socialistes « responsables » avec les macronistes et les restes de LR ? Basculement total de la droite, avec un gouvernement aux mains du RN ? Aucune option n’est très réjouissante. Quant à celles et ceux qui glisseront un bulletin d’extrême droite en espérant faire péter le système, ils en seront pour leurs frais. Les combines et petits arrangements ont déjà commencé.
Quel que soit le gouvernement qui émerge des urnes ce mois-ci, aucun faux espoir ne doit être entretenu. Le mieux que nous puissions espérer n’est pas le retour de la retraite à 60 ans, ni l’accélération de la transition écologique ou la fin des guerres, mais bel et bien un blocage parlementaire, qui nous préserverait un temps des pires projets à venir (telle l’énième odieuse réforme de l’assurance chômage). L’heure de la grande explication avec l’extrême droite, de ses milices à ses bureaucrates, approche certainement. Mais nous ne rejouons actuellement ni les émeutes fascistes de février 1934, ni le printemps de 1936 et son alliance ouvrière à la base. Si l’histoire se répète, c’est bien, cette fois, comme une triste farce.
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