« Libérer, investir et travailler » ou comment la loi Macron ne pouvait être autre chose qu’une loi Macron
Il y aurait beaucoup à dire sur l’intitulé de la loi dite « Macron », projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques(1). Mais l’on s’arrêtera sur les principaux dogmes que cette loi entend satisfaire : la libéralisation, l’investissement et le travail(2).
Un socialiste est, par définition, antilibéral
Notons d’emblée une antinomie qui ne surprend plus personne : un socialiste est, par définition, antilibéral. Or, chacun sait que le Parti socialiste n’a jamais eu en lui une once de socialisme, ni hier, ni aujourd’hui(3). Il n’y a alors rien d’étonnant à contempler l’un de ses ministres proposer une loi exaltant un vocable antisocialiste comme « la libéralisation », « l’investissement » et le « travail », de quelque nature qu’il soit, comme valeur(4).
« La libéralisation » consiste essentiellement à faire sauter les normes encadrant l’exercice d’une activité économique, ce qui va systématiquement de pair avec une privatisation généralisée des secteurs d’activité historiquement assurés par l’État. Aujourd’hui, alors que le service public est en déliquescence, la solution à la supposée crise serait de privatiser et d’ouvrir à la concurrence encore davantage de secteurs de l’économie : on ne change pas une équipe qui perd.
« L’investissement », selon le gouvernement, consiste à « rénover le cadre d’intervention de l’État actionnaire, mieux gérer les délégations de service public et les partenariats publics-privés […] »(5). Grosso modo, cela consiste à gérer de façon économiquement viable les parts d’entreprises anciennement publiques, que l’État n’a pas encore cédées au secteur privé. « Le peu que nous gardons, gérons le bien » nous dit la clique Macron. Et encore, gérons le comme un actionnaire « comme les autres », comme une entreprise, comme un État-entreprise. Là encore, le socialisme et son souci du Bien collectif est loin, très loin.
Enfin, l’exaltation de la valeur travail passera essentiellement par un retour sans précédent sur le droit du travail et une « simplification du travail dominical ». Macron espère probablement qu’ajouter un jour de travail par semaine permettra de relancer la consommation afin de satisfaire le dieu Croissance. Si cela ne fonctionne pas, la prochaine étape sera certainement l’invention d’un huitième jour par semaine, puis d’un neuvième etc. afin de pouvoir suivre le caractère intrinsèquement infini des besoins de la divinité.
Le projet prend le soin de préciser que ce travail le dimanche sera un « travail volontaire ». On retrouve là l’utopie libérale du consentement. Dans les schèmes libéraux, tout n’est que contractualisation ; des théories du contrat social du XVIIIe siècle au « travail volontaire » du ministre de l’économie. Tant que le choix est libre, tout va bien. Comment s’en prendre à un état de fait librement consenti ? Les contraintes sociales et économiques subies par le salarié le poussant à faire ce « choix » ne sont, dans l’esprit libéral, rien d’autre que des élucubrations proto-déterministes ignorant les avancées de la belle philosophie individualiste de la « liberté de choix ». Cette contractualisation des rapports sociaux – celui qui choisit a exercé sa liberté individuelle, il ne peut donc plus rien revendiquer – conduit purement et simplement à l’abolition de l’altruisme et à l’annihilation de la nature sociable de l’homme.
Projets de loi et propositions de loi : un déséquilibre témoin de l’illusion représentative
Le site de l’Assemblée Nationale affirme que 38 % des lois promulguées sont d’origine parlementaire(6). En langage juridique, 38% seulement des textes votés sont issus de propositions de loi (initiative parlementaire) quand 62% sont issus de projets de loi (initiative gouvernementale). Toujours en langage juridique, mais plus analytique cette fois-ci, cela veut dire que dans 62% des cas, le Parlement est une chambre d’enregistrement, un vulgaire greffe, servant à valider les projets de l’exécutif. On est, là encore, loin de la théorie de la séparation des pouvoir et du supposé « équilibre » institutionnel devant en découler cher aux démocrates libéraux.
Il serait possible d’arguer la subsistance, tout de même non négligeable de 38% des cas où tout n’est pas l’œuvre de l’exécutif et où cette séparation des pouvoir niée dans 62% des cas, survit parfois. Il n’en est rien.
Et quand bien même…
Aurait-il pu en être autrement si le projet de loi avait été une proposition de loi ? La réponse est évidement négative. Premièrement, depuis que les cohabitations ont été rendue impossibles(7), la majorité parlementaire et le gouvernement sont idéologiquement homogènes. Aucune loi contraire aux volontés gouvernementales n’a donc de chance d’être votée. Mais admettons qu’une proposition de loi sortant des dogmes libéraux parvienne à se faufiler. Là encore, aucune chance.
La proposition de loi émanera nécessairement de nos « représentants » qui, quels qu’ils soient, ne nous représentent pas. La sophistique de la démocratie libérale tourne autour d’un élément central : faire croire que le représentant porte la voix du représenté. Il s’agit d’une sécularisation du concept du Roi vicaire de Dieu sur terre, donc d’une fiction juridique. Votre représentant, ce n’est pas vous, ce n’est pas nous(8). Pourquoi des ploutocrates, dont la seule compétence est de se faire élire, et dont seulement 3% sont ouvriers et employés(9), prendraient-ils autre chose que des mesures libérales et pro-capitalistes ? Ces 38% de propositions de loi finalement, eux non plus, n’ont aucune chance d’avoir le Bien commun en visu.
Examiner le fond des propositions de la loi Macron est finalement presque inutile
Examiner le fond des propositions de la loi Macron est finalement presque inutile et se résume simplement à prendre connaissance de la sauce à laquelle nous allons être mangés(10). Cette absence totale de possibilité de voir éclore une alternative conduit à un dégoût profond s’exprimant dans une présomption : si c’est Macron, si c’est le P.S., ce sera mauvais. C’est parce que cette présomption est effectivement irréfragable que plus personne n’y croit.
Pour résumer, la loi Macron, comme 62% des lois, est une loi prise à l’initiative du gouvernement dans le but de donner carte blanche à ce même gouvernement, validée par une Assemblée de représentants n’ayant même pas la possibilité de faire semblant de nous représenter. Si ce processus de décision paraît encore trop démocratique au gouvernement, celui-ci a toujours la possibilité d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution afin de faire échec à tout dissensus au sein de l’Assemblée(11). Dans ces conditions, la loi Macron ne pouvait être autre chose qu’une loi Macron, c’est-à-dire une loi conforme à l’idéologie libérale.
Jusqu’au jour où…
Ce projet de loi passera. Comme tous les autres. Jusqu’au jour où l’idéologie libérale ne pourra plus soutenir sa négation systématique de toutes les valeurs habitant le cœur de l’homme. Jusqu’au jour où l’entraide, le refus des besoins inutiles, la prise en considération de l’Autre et des paramètres écologiques redeviendront normatifs. Jusqu’au jour où nous nous rendrons définitivement compte que le libéralisme, qu’il soit politique ou économique, est la négation de la vie. Bientôt, alors qu’il brandira encore et toujours sa vieille pancarte « je suis le moins pire des systèmes »(12), nous passerons à côté, sans même daigner lui jeter un regard.
R.
(1) Deux termes phares du libéralisme (« croissance » et « activité ») accolés à un terme à connotation socialiste – il faut bien faire un peu le gauchiste quand on est au P.S – mais raté ! L’égalité des chances est, lui aussi, un concept libéral, consacré juridiquement la première fois par… Philippe Pétain. Cf. « Savez-vous d’où vient l’expression égalité des chances ? », Les Enragés, 12 juin 2014, en accès libre ici.
(2) « Les grands axes du projet de loi pour l’activité » 15 octobre 2014, en accès libre ici.
(3) Voir à ce sujet Jean-Pierre Garnier, « La deuxième droite », entretien en libre accès ici.
(4) Bien évidement, il ne s’agit pas de nier le caractère indispensable du travail. Il s’agit d’expliquer que le travail, en soi, n’est pas une valeur. Dans la mesure où il y a du travail utile au corps social (éduquer la jeunesse par exemple) et du travail inutile (la production mortifère d’un Mc Donald par exemple), le travail n’est pas une valeur. Il devient bon ou mauvais selon l’objectif qu’il poursuit.
(5) « Les grands axes du projet de loi pour l’activité » 15 octobre 2014, op. cit.
(6) « Fiche de synthèse n°34 : L’initiative parlementaire », 29 avril 2014, en accès libre ici.
(7) La Loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du Président de la République, en alignant mandat présidentiel et mandat parlementaire rend, de facto, impossible la cohabitation. Cohabitations qui, il faut le signaler, ne pouvaient prendre place qu’entre libéraux et libéraux.
(8) Voir à ce sujet, « L’État ne fera rien », Le Poing, n°12, décembre 2014, disponible ici.
(9) « Alors que les employés et les ouvriers représentent la moitié de la population active, seuls 3 % des députés proviennent de leurs rangs, selon les données du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). A l’inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 82 % de l’ensemble. » Statistiques consultables en intégralité ici.
(10) Pour goûter cette sauce, voir les articles du dossier « Macron », Le Poing, n°13, Février 2015.
(11) L’article 49, alinéa 3, de la Constitution française dispose : « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. » Il permet au gouvernement d’engager sa responsabilité devant l’Assemblée. Si aucune motion de censure (revient à renverser le gouvernement) n’est votée, le texte est adopté sans vote.
(12) Il n’y a pas là de confusion avec le concept de démocratie puisque les libéraux se considèrent comme les seuls démocrates crédibles. Bien évidement, la démocratie libérale n’est en rien une démocratie. Cf. « L’État ne fera rien », op. cit.
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :