Liberté Précarité Fraternité
Au sortir de la douce euphorie estivale des festivals, penchons nous sur la situation de ceux qui rendent tout ceci possible : les intermittents du spectacle. Les enjeux étant mal compris et sciemment mal présentés par nos médias essayons de comprendre en quoi la modification des annexes 8 et 10 du régime d’assurance chômage est à la fois un enjeu sectoriel dans le sens ou il impact directement la culture, et un enjeu beaucoup plus global puisque conduisant à une précarisation généralisée de tous les travailleurs.
Une fois de plus, les grands patrons sont à la barre…
Nous le savons maintenant, une destruction d’acquis sociaux se prépare avec des mois d’avance et un bon plan com. L’Institut de l’entreprise, muse du Medef pour avancer ses propositions sur la réforme de l’assurance chômage, dénonce en s’appuyant sur un rapport de janvier 2014 [1], le manque d’équité entre les travailleurs du fait des annexes 8 et 10 de l’assurance chômage et préconise donc leur suppression. Quel surprise de voir ce think tank présidé par Xavier Huillard, PDG de Vinci, ce soucier de l’équité entre les travailleurs !
La suite est digne d’un mauvais polar, Pierre Gattaz, le méchant flic, soutient la proposition de suppression des annexes 8 et 10 alors que Laurence Parisot, le gentil flic, publie une tribune intitulée « Pourquoi il faut cesser de tirer sur les intermittents » [2]. Le juste milieu doit donc se situer entre la position tenue par le patron du Medef et celle tenue par l’ex-patronne du Medef. Partenaires sociaux remballés vos propositions ils ont les solutions ! Et le soutient de la Cour des comptes. Les détraqueurs du régime avancent un déficit d’un milliard d’euros du fait des annexes [3] pour justifier la nécessité de « réformer », comprendre en langage populaire « détruire les acquis sociaux ». Ces « négociations » aboutiront donc à l’accord Unédic du 22 mars 2014 dont les acteurs se targueront d’avoir sauvé le régime des intermittents (du grand méchant loup Pierre Gattaz ?).
Le poids économique de l’intermittence
Jusque la nous avons affaire à un tour de passe-passe libéral classique. Le régime des intermittents étant une cible privilégié puisqu’en effet responsable d’abus.
Mais de quels abus parle-t-on ? Ceux des employeurs de la publicité ou de la télévision par exemple qui, abreuvés de travail par les patrons du CAC 40, continuent de se servir du régime d’intermittence, quand bien même ils pourraient embaucher des travailleurs permanents. Le travailleur précaire contraint d’accepter pour ne pas être remplacé, y trouve son compte en gonflant ses indemnités. Le producteur, lui, substitue une partie du salaire qu’il aurait dû verser par des indemnités chômage. Que dit la Cour des comptes sur ces situations inadmissibles ? Motus et bouche cousue, ce sont les intermittents qui coutent chers pas les abus du patronat…
Admettons, en bon commissaire de la Cour des miracles, que ce régime coute cher. Se pose alors la question: que rapporte t-il ?
Un rapport de décembre 2013 mené conjointement par des membres de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires culturelles nous apprend que la valeur ajouté des activités culturelles dans l’économie française en 2011 représentait 57,8 milliards d’euros [4]! Soit le deuxième rang derrière l’agriculture et les industries alimentaires (60,4 milliards) et loin devant le secteur automobile par exemple (8,6 milliards ; d’ailleurs combien a couté la prime à la casse ?). Or les intermittents représentent environ 25% des effectifs de l’industrie de la culture et du spectacle qui sans eux ne pourrait pas fonctionner. Un festival, une tournée ou le tournage d’un film sont par nature des activités intermittentes.
Pourquoi alors risquer de mettre en péril l’un des secteurs les plus rentables de notre économie ?3
Vers une précarisation généralisée
Le régime de l’intermittence est une contrepartie à la précarité induite par la nécessaire flexibilité des travailleurs de ce secteur.
Or, cette exigence de flexibilité se répand dans les autres secteurs de l’économie soumis à la toute puissance des actionnaires. Dans le « paradis » néolibéral, à la fluctuation boursière devrait pouvoir répondre une fluctuation des effectifs au sein des entreprises ! Le tout sans aucune contrepartie auprès des travailleurs. Sonnant la fin du salariat tel qu’on le connait (loin d’être un idéal en soi) et le retour du travailleur disponible 24h/24 et 7jours/7, payé à la tache ; soit un fabuleux bond de 150 ans en arrière ! L’explosion des emplois précaires en est la preuve. Au premier trimestre 2013 les CDD représentaient plus de 83% des contrats signés dans les entreprises de plus de 10 salariés. Autres chiffres : entre 1996 et 2013 les chômeurs des catégories B et C (travailleurs réguliers) sont passés de 500000 à 1,7 million [5]. Qui n’a pas dans son entourage une connaissance enchainant stages et CDD sans jamais parvenir au « Saint Graal » CDI ?
Ce que défendent les intermittents c’est un droit à obtenir des compensations à leur précarité. Leur slogan « Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous » apparait alors d’une grande justesse dans un monde qui aspire à faire de nous tous des « intermittents » du travail.
Mario Bilella
[1] Bruno Coquet, Assurance chômage : Six enjeux pour une négociation ; publication de l’Institut de l’entreprise, janvier 2014
[2] « Pourquoi il faut cesser de tirer sur les intermittents », Les Echos, 24 février 2014
[3] Cour des comptes, Le régime des intermittents du spectacle : la persistance d’une dérive massive, rapport public annuel 2012
[4] IGF/IGAC, L’apport de la culture à l’économie en France, décembre 2013
[5] Voir chiffres du Ministère du travail publiés le 21 novembre 2013 (DARES) ou ceux de l’URSAFF
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