Lutter contre la précarité alimentaire : réflexion et proposition pour une Sécurité Sociale alimentaire équitable à Montpellier
Le Poing relaie cette tribune de Samuel, agriculteur dans la région de Montpellier, en vue de l’assemblée générale de l’assemblée citoyenne de l’alimentation, qui aura lieu le 30 septembre au parc Sophie-Desmarets de Montpellier
“La Solidarité est un devoir de justice, pas une faveur.”
Mishna Baba Kamma, quelques siècles avant J.C.
La mise en place de discours et expérimentations sur la “sécurité sociale alimentaire” à Montpellier, grâce à une subvention gouvernementale, visant à garantir un accès équitable à la nourriture, mérite de répondre à l’invitation de l'”assemblée citoyenne de l’alimentation”, de Montpellier, à engager une réflexion et à favoriser une mise en pratique collective. C’est avec respect que cette contribution est adressée à l’Assemblée. Il convient de féliciter et de remercier tous ceux qui œuvrent pour autrui. Les notions de bénévolat et d’altruisme sont mises à l’épreuve quand un système promeut la destruction des liens sociaux..
Panorama d’une crise alimentaire : la faim structurelle
La faim ne découle pas uniquement d’une simple pénurie ou d’un déséquilibre entre l’offre et la demande sur un marché. Elle est, en réalité, le résultat d’un système bien connu de tous. Elle ne se résume pas à une simple absence spectaculaire de nourriture disponible, mais plutôt à une faim programmée, élaborée, se manifestant de différentes manières à travers des plans économiques, des projets de développement, des centres de pouvoir, des incitations fiscales, et bien sûr, des investissements. Cette faim, pour certains, contribue à l’opulence d’autres. En 2008, seules “les émeutes de la faim” ont réussi à mettre fin à la famine causée par la spéculation sur les marchés des matières premières alimentaires. Il serait naïf de penser qu’à l’ère de la mondialisation, ces politiques n’affectent que les “pays en développement”. La gestion de la crise alimentaire pendant les périodes de confinement par le gouvernement actuel nous donne un aperçu de ce qui pourrait nous attendre si aucune mesure n’était prise.
Économie politique de la protection sociale et de la régulation des prix :
une perspective historique
En 1789, lors de la révolution française, paysans et sans-culottes réclamaient une législation contre les accapareurs, une exigence constante des mouvements populaires mondiaux. Aujourd’hui, réguler les prix des produits agricoles reste crucial. Le “plus grand mouvement social au monde” initié par la paysannerie indienne, proteste contre la dérégulation des prix, exposant la sécurité alimentaire de la population et les revenus des agriculteurs à la spéculation des monopoles financiers. La régulation des prix ne se limite pas au monde rural. Elle vise à limiter les marges des spéculateurs, pas à fixer des prix élevés pour les producteurs, au détriment des consommateurs. En France, le rapport de force social mis en place lors création de la sécurité sociale permit également cette régulation des prix, aujourd’hui tous deux démantelés.
L’Union Européenne, afin de favoriser le libre marché, a démantelé la régulation des prix.
La Politique Agricole Commune (PAC) dispositif de subventions européennes, finance depuis la spéculation au lieu de réguler les prix, favorise les gros agriculteurs et orchestre la disparition des petits. En soutenant l’exportation, elle désarticule les systèmes de production vivrière des pays pauvres, finançant la faim, grâce à nos impôts.
Peu de choses du programme du Conseil National de la Résistance de 1945 subsiste
aujourd’hui. Les “jours heureux” visaient un revenu décent, l’accès à la nourriture, la santé et la protection pour tous. Cela est aujourd’hui saccagé par des politiques antisociales. Le démantèlement de la protection sociale s’accompagne d’une semi-privatisation via des associations subventionnées, protégées dans des marchés publics, mais parfois critiquées pour leur gestion opaque,
L’initiative “sécurité sociale alimentaire,” associative et citoyenne, mérite d’être saluée. Pour autant, l’affiliation politique “à gauche” ne garantit rien, même si la plupart de ces associations offrent une contribution réelle, justifiant leurs subventions.
Pourquoi opposer “sécurité sociale alimentaire” et politique de régulation des prix agricoles, toutes deux liées aux différents moments et forces en jeu dans notre histoire sociale. La régulation des prix alimentaires a toujours joué un rôle crucial. Sécurité sociale alimentaire et régulation des prix ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Ignorer la régulation des prix pourrait réduire la “sécurité sociale alimentaire” à une mutualisation des coûts au service des bénéfices de l’agrobusiness, au détriment des consommateurs et des producteurs, tout en alimentant la spéculation sur un secteur essentiel du marché des matières premières : la nourriture.
Ne pas perdre pied
L’État a alloué des fonds pour une expérience sur la gestion des problèmes liés à la faim. En parallèle, des associations travaillent sur la “sécurité sociale alimentaire,”, malgré des objectifs similaires, leurs approches et intentions politiques différent. L’utilisation du terme “sécurité sociale” renvoie habituellement à une institution respectée, actuellement en cours de démantèlement. Utiliser ce même terme pour parler d’expérimentations subventionnées et de projets politiques hétéroclites peut prêter à confusion, même si la communication n’est pas l’élément central, il est possible d’entamer une réflexion dans ce sens.
Le montant de 240 000 euros alloué à Montpellier, bien que modeste, peut servir de base pour favoriser la participation communautaire, reflétant les valeurs de liberté et d’équité chères à la “sécurité sociale alimentaire.” Ce chèque prend racine dans un contexte dans lequel l’inflation augmente, les salaries stagnent, la protection sociale se dégrade, le RSA disparait et la privatisation de l’action sociale progresse. Il est crucial de ne pas perdre de vue la réalité et nos valeurs, dés s’agit de subventions. Il est ainsi fréquent que nos nobles valeurs entrent en conflit avec les intentions de ceux qui financent ces initiatives. Dans notre cas, il ne faut pas sous-estimer la capacité des politiciens libéraux à octroyer des financements modestes tout en conditionnant leur mise en œuvre à des expérimentations qui pourraient, par la suite, servir de justification à des politiques néfastes. Le projet libéral de gestion de la faim par la création de “chèque alimentaire” et autre “monnaie pour pauvre”, financé par les impôts (et non les cotisations sociales) bien que “mieux que rien”, pourrait accentuer les inégalités sociales et préparer une transition du contrôle au crédit social. Les rapports sénatoriaux sur la gestion de l’insécurité alimentaire dans les métropoles nous éclairent sur les rêves des libéraux occidentaux, similaire à ceux des technocrates communistes chinois. Ne nous laissons pas entraîner dans ce cauchemar digne de la science-fiction.
Proposition logistique : un enjeu clé pour l’expérience montpelliéraine
Il est essentiel de reconnaître la complexité de la mise en place de cette sécurité sociale alimentaire et d’exprimer notre gratitude pour le travail accompli jusqu’à présent.
- Le premier défi consiste à éviter que la logistique ne reste sous le monopole du commerce. Cette situation actuelle limite le soutien aux nombreux agriculteurs en difficulté financière, dont beaucoup dépendent du RSA. Il serrait alors le référencement des producteurs à ceux qui ne sont pas présents sur les marchés de ville traditionnels.
- Un deuxième défi majeur est l’élaboration d’un contrat équitable. Ce contrat doit garantir un prix juste pour les agriculteurs, en dehors des normes généralement pratiquées par la distribution. De plus, le contrat doit être à long terme pour permettre aux petites exploitations de planifier leur avenir grâce à ce partenariat.
- Enfin, la régularité de la production dans les petites exploitations peut être un défi en raison des aléas et des irrégularités, fragilisant l’approvisionnement. Une solution pourrait consister à travailler avec un listing producteur pour réduire les risques financiers pour les agriculteurs et assurer la stabilité de l’approvisionnement de produits locaux et de qualité destinés à lutter contre la précarité alimentaire.
Le collectif associatif et ses ressources logistiques jouent un rôle essentiel dans la mise en place de cette logistique de la “sécurité sociale alimentaire”. En collaboration avec les producteurs, il serait judicieux de mettre en place un contrat solide et équitable tout en développant une chaîne logistique efficace qui couvre l’ensemble du processus, du champ à la distribution finale aux consommateurs. Cela permettrait à la sécurité sociale alimentaire à Montpellier de soutenir les agriculteurs en difficulté tout en offrant aux consommateurs des produits bon marché de qualité. Cette structuration permettrait de s’émanciper du monopole logistique des réseaux commerciaux.
Enfin, il est essentiel de récupérer et de distribuer les denrées alimentaires jetées quotidiennement au Marché d’Intérêt National de Tournezy. Une partie du crédit devrait être allouée à la mise en place de cette politique. Il n’y a pas de “concurrence” entre “récupération” et achat aux petits producteurs lorsque l’enjeu est de lutter contre la faim.
Construire des assemblées est un gage d’éthique
Montpellier sert d’exemple en organisant un processus démocratique autour de cette expérimentation. Félicitons tous ceux qui y participent, car c’est en travaillant ensemble que nous pouvons espérer trouver des solutions équilibrées pour assurer la sécurité alimentaire pour tous.
Samuel, agriculteur dans la région de Montpellier
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