Nantes, ville révoltée – Une invitation à cultiver son allégresse révolutionnaire

Le Poing Publié le 31 mai 2024 à 17:18

L’imaginaire de la génération militante issue des luttes contre la loi travail en 2016 a largement été forgé par les récits de Nantes Révoltée. Devenu Contre-attaque, le média que Darmanin voulait dissoudre a récemment publié, aux éditions Divergences, le livre Nantes, ville révoltée qui nous propose Une contre visite de la cité des Ducs à travers le récit fictif de Claude, un jour d’émeute. L’ouvrage se défend d’être un livre d’histoire, mais c’est bien l’un des documents les plus complets sur l’histoire des luttes sociales à Nantes. L’effervescence insurrectionnelle des milles anecdotes que l’on se délecte à lire se heurte au développement sans fin d’une Métropole monstrueuse aux allures de prison. Un livre à se procurer de toute urgence pour se convaincre qu’ « il n’est pas de révolution qui ne soit pas le produit d’un territoire et des gens qui l’habitent. »

Qu’on se le dise : Le Poing, comme tant d’autres médias engagés, a été influencé par le succès de Nantes révoltée. Ses récits d’émeutes vécus de l’intérieur ont affirmé le cœur de notre ligne éditoriale : parler des luttes sociales du point de vue de celles et ceux qui les font. Ce souffle nantais impulsé sur toutes les manifs ne vient pas de nulle part. C’est le frisson des émeutiers de 1830, des résistants fusillés sur la Cour des 50-Otages, des grèves insurrectionnelles de 1955 (« Un jeune maçon, Jean Rigollet, est tué par balles […] C’est à partir de cette date que les syndicats locaux s’accordent pour ne plus jamais déclarer de manifestation en préfecture »), des assauts contre la préfecture en 1968 (« Le préfet de Nantes, acculé avec quelques policiers dans le bâtiment, appelle le ministre de l’Intérieur pour demander l’autorisation de tirer à balles réelles »), des luttes antinucléaires de la fin des années 1970 qui empêchent l’installation d’une centrale au Pellerin (« un article paru dans Libération le 12 mars 1979 évoque les […] “centaines de manifestants, très jeunes pour la plupart”, qui “allaient avec beaucoup de grâce et dans le plus profond désordre” pour “défoncer les boîtes d’intérim” »), etc. C’est bien à la lumière de cette histoire que nous pouvons comprendre pourquoi tant d’images d’émeutes nous sont parvenues de Nantes ces dernières années.

Le livre n’élude rien du passé colonial et collaborationniste de Nantes, et de son présent marqué par le développement de la métropole barbare. Ces mémoires de lutte s’enracinent dans des lieux aujourd’hui en proie à l’urbanisme répressif, aux caméras, aux quartiers aseptisés d’où l’on a expulsé les pauvres, etc. Tout ce qui peut servir comme d’un terrain de jeu profitable à l’émergence d’une action collective est méthodiquement aseptisé, quadrillé, marchandisé. Et à Nantes comme à Montpellier, c’est « la gauche » qui fait ce sale boulot. A Montpellier, qui se targue d’être la ville de la fête, on n’y danse plus le baleti à l’Esplanade sans se faire zieuter par les municipaux. Les grandes étendues d’herbe du parc du Peyrou ont sournoisement été jonchées de fleurs, si bien que l’on ne s’y pose qu’en bordure, pour éviter toute formation indésirable d’une masse consciente. Les plaintes du voisinage ont eu raison des fêtes imprévisibles place Saint-Roch, les terrasses des bars ont grignoté toute la place Candole, le populaire stade de la Mosson va déménager à l’autre bout de la ville, etc. Et à Montpellier aussi, on a une histoire géniale à raconter : 800 000 manifestants sur la place de la Comédie le 9 juin 1907 lors de la révolte vigneronne, ça ne s’invente pas.

 « Quand on retire toute interconnaissance et attachement à l’espace et aux êtres, il ne reste qu’une somme d’individualités. Une solitude peuplée ». Cette contre visite de Nantes qui se lit avec gourmandise est une invitation à cultiver nos repères, nos mémoires et nos récits pour y puiser l’allégresse révolutionnaire qui nous permet de se dresser face au monde.

Nantes ville révoltée – Une contre-visite de la Cité des Ducs, par Contre Attaque, éditions Divergences, Paris, 2024, 192 p., 13 €.

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