Nos mouvements ne sont pas un marché

Le Poing Publié le 11 mars 2021 à 10:41
Œuvre de Banksy, photographiée par Eric Ward (image d'illustration)

Dans notre société, tout s’achète et tout se vend. Cette règle du capitalisme conditionne notre vision du monde. Nous avons l’habitude de profiter de services et de biens que l’on paye avec de l’argent – généralement issue de notre travail. Alors, forcément, de telles habitudes déteignent sur nos relations… Avec des effets pervers dont nous n’avons pas toujours conscience.

Produire et consommer l’information ?

Prenez Le Poing, par exemple. L’équipe est intégralement bénévole. Le contenu est gratuit. Personne ne paye, personne n’est payé. Et pourtant… Des personnes produisent – en écrivant, en filmant, en photographiant, en animant le média, en maintenant le site, etc… Et d’autres personnes consomment l’information produite. Dans l’idéal, chaque personne le souhaitant pourrait participer au projet, et il ne faut d’ailleurs pas hésiter à nous proposer du contenu.

Mais on ne sort pas si facilement de la société marchande. Ça ne se décrète pas d’un claquement de doigt. Il est donc commun que des personnes nous lisant prennent Le Poing comme un service, gratuit certes, mais tout de même. « Vous n’avez pas parlé de ça. » « Vous auriez dû formuler ça ainsi. » « Il fallait traiter ça. » L’immense majorité de ces critiques sont constructives et nous aident à progresser, cela fait partie du jeu, c’est même très sain. Cependant, parfois, nous aimerions répondre : « eh oh, on n’est pas payé, au Poing. On a notre travail, nos études, notre vie personnelle. On peut s’améliorer, mais la porte est ouverte, aidez-nous en proposant, en relisant, en complétant ! »

Vive la camaraderie !

Bien sûr les réseaux sociaux sont un outil à double tranchant. Ils permettent de diffuser très largement nos messages et de donner (parfois) la parole aux sans-voix. Cependant, pas de naïveté : ce sont avant tout des entreprises commerciales au service d’intérêts privés. Et leur fonctionnement contribue à rendre les relations humaines plus conflictuelles. Qu’il est facile d’envoyer une pique désagréable, de poster un commentaire bien senti, de lyncher virtuellement une personne pour des désaccords parfois mineurs ! Si la violence est virtuelle, les conséquences sont bien réelles, poussant à une surenchère vicieuse pour accumuler les likes, tout en blessant et démoralisant des personnes sincères.

Notre monde est profondément malade. La pandémie qui a transformé nos vies n’est que le dernier symptôme en date. Prendre conscience de l’ampleur du problème n’est pas un plaisir. Des guerres de pillage à la destruction de l’environnement en passant par les inégalités abyssales, nous sommes abreuvés de nouvelles anxiogènes – et si beaucoup font l’autruche, nous faisons le choix de contempler en face la catastrophe. Cette prise de conscience affecte les personnes participant aux mouvements sociaux. Cela peut conduire au cynisme ou à des réactions agressives – deux impasses poussant à l’isolement et finalement à l’impuissance politique.

Oh, bien sûr, nous en avons parfois marre de faire de la pédagogie. Il y a beaucoup de raisons légitimes de ne pas participer à tel débat puant, de ne plus répondre à tel argument fallacieux. Nous avons le droit d’être fatigués et en colère. Mais sachons valoriser la camaraderie, incluant la critique bienveillante. Ne bâtissons pas des contre-sociétés plus toxiques encore que celle que nous combattons. Soyons lucides pour ne pas agir avec des personnes égarées, peu formées ou simplement en désaccord, comme nous agissons face à des ennemis directs. Beaucoup de débats sont légitimes et ne peuvent pas être simplement soldés par quelques réponses dogmatiques qui rassurent les croyances sans convaincre largement.

Rompre avec le libéralisme implique souvent de nous remettre en cause et de nous dépasser pour apprendre des autres, de leurs vécus et de leurs luttes. Cela ne signifie pas un reniement de nos objectifs révolutionnaires. Au contraire, créer du commun, faire vivre la solidarité et l’entraide, regarder dans la même direction au-delà des situations individuelles, sont autant de conditions pour progresser.

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


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