« Pour nous, à Gaza, résister est une question d’existence »

Le Poing Publié le 6 avril 2018 à 18:09 (mis à jour le 27 février 2019 à 13:12)

Depuis le 30 mars, au moins vingt Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne lors de manifestations dans la bande de Gaza.(1) Les médias parlent « d’affrontements », les diplomates français demandent au gouvernement israélien « d’agir avec la plus grande retenue » et l’ONU réclame une enquête indépendante. « Il n’y aura pas de commission d’enquête » a immédiatement prévenu Avigdor Lieberman, le ministre israélien de la défense.(2) Le diplomate palestinien Majed Bamya rappelle que l’État d’Israël « n’a jamais été punie pour ce genre de crimes » et que « la colonisation est un crime d’État ».(3) Pour mesurer la tension, Le Poing a passé un coup de fil à Nabila Kilani, résidente de Gaza dont la joie de vivre tranche avec la dureté de ses propos.

« Les soldats nous ont tiré dessus avec des snipers »

« Je vis sous le siège de Gaza depuis des tas d’années. La situation se dégrade au fur et à mesure que l’État israélien renforce son existence sur les terres palestiniennes en Cisjordanie. La marche du retour du 30 mars dernier était dédiée au droit au retour des Palestiniens, chassés en 1948 par l’État israélien. Cette marche coïncidait avec la journée de la terre, qui marque le souvenir des événements de la journée du 30 mars 1976 : ce jour-là, des Palestiniens se sont mis en grève pour s’opposer à la confiscation de leurs terres et six d’entre eux furent tués par l’armée israélienne. Les Palestiniens sont parfois divisés mais la marche du 30 mars dernier a rassemblé tout le monde. C’était surtout un acte symbolique pour montrer notre dignité et notre attachement aux terres palestiniennes. C’était une marche pacifique : les Palestiniens étaient à plus de 700 mètres de la frontière israélienne. On était plusieurs dizaines de milliers. Les soldats israéliens nous ont quand même tiré dessus avec des balles explosives et des fusils-snipers. Même ceux qui dansaient se sont fait tirer dessus. Moi je suis parti quand j’ai entendu les tirs. Sur la seule journée du 30 mars, dix-sept Palestiniens et il y a eu 1500 blessés, dont une majorité par des tirs à balles réelles. Plus de 100 personnes ont dû se faire amputer une ou deux jambes. À Gaza, tout le monde prend soin de tout le monde, mais le siège nous empêche d’avoir des hôpitaux de qualité, les médicaments ne passent pas, donc c’est difficile de soigner tout le monde.

La marche du droit au retour doit quand même continuer jusqu’au 15 mai, date du triste anniversaire de la Nakba, c’est-à-dire de l’exode de plusieurs centaines de milliers des Palestiniens en 1948 après la création de l’État d’Israël. Le 17 avril, il y aura aussi la journée du prisonnier palestinien, qui rend hommage à tous les prisonniers en souffrance derrière les barreaux israéliens.

Quand on est attaqué sans raison, ça créé à l’intérieur de soi une façon de résister qui va au-delà de la peur de la mort. On n’a pas d’arme, mais beaucoup de croyance. Pour nous, résister est une question d’existence. J’espère qu’il n’y aura pas plus de morts. J’espère qu’un jour on verra une réaction internationale plus ou moins officielle pour condamner les agissements de l’État israélien. Il faut arrêter de marcher en dormant derrière l’État d’Israël. On ne veut pas se faire confisquer nos terrains. On ne veut pas se faire tuer. On a besoin d’avoir une base populaire en Occident qui décrit la réalité de ce qu’il se passe en Palestine. »

Propos de Nabila Kilani

Sources :

(1) « Violences à Gaza. Au moins 20 morts dans le camp palestinien depuis le 30 mars », Ouest-France, 6 avril 2018
(2) « Israël refuse toute enquête indépendante sur la mort de manifestants dans la bande de Gaza », Le Monde, 1er avril 2018
(3) « Gaza : “Les Israéliens se moquent du droit international”, selon Majed Bamya, diplomate palestinien », France Tv Info, 31 mars 2018

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