L’écologie contre les classes populaires ?

Le Poing Publié le 9 juillet 2024 à 19:58 (mis à jour le 9 juillet 2024 à 20:00)
Dessin de Rémi Mayné

Article initialement publié dans le numéro 38 du Poing, sur le thème de l’alimentation, publié en novembre 2023.

L’ écologie ne s’oppose pas fondamentalement aux classes populaires, mais les pratiques concrètes de la “transition écologique” sont clairement excluantes. Au mieux, elles ne concernent pas les pauvres, car elles sont trop chères et au pire, elles contribuent directement à la dégradation de leurs conditions de vie.

Le mode de vie écologique vendu par les autorités n’est pas accessible aux revenus serrés, surtout avec l’inflation. Difficile de se payer des légumes bios quand beaucoup sautent déjà des repas. Impossible de privilégier le vélo à la voiture quand on habite à trente kilomètres de son lieu de travail, après avoir été chassé du centre-ville des métropoles par les prix de l’immobilier. Même en ville, il est difficile d’avoir un vélo si l’on n’a pas d’espace pour le stocker et qu’on doit le laisser dehors, au risque de se le faire voler. Quant aux vélos électriques, le laisser dehors en métropole relève du don.

La voiture électrique suit la même logique : pour l’instant, elle ne s’adresse qu’aux riches. Son coût est prohibitif et c’est une galère de la recharger si l’on ne dispose pas d’un garage ou d’une place de parking privative. Cette inégalité s’applique aussi aux mesures de rénovation énergétique. Les aides de l’État sont généreuses lorsqu’il s’agit d’installer des panneaux solaires, isoler sa maison ou mettre en place des pompes à chaleur, mais encore faut-il être propriétaire et pouvoir payer les milliers d’euros de reste à charge. Aux bourgeois la mobilité électrique, les produits bio et les maisons écologiques mais pour les autres, ce sera de la bouffe industrielle bourrée de conservateurs et de pesticides, des bagnoles polluantes et des logements mal chauffés l’hiver et trop chauds l’été…

Certaines mesures écologiques attaquent directement les classes populaires. Sous couvert de financer la transition écologique, la taxe carbone d’Édouard Philippe en 2018 pénalisait directement les utilisateurs du diesel, le carburant le plus économique. C’est cette mesure qui avait lancé les Gilets Jaunes, résumés par le ministre Benjamin Griveaux (qui s’illustrera par la suite par l’envoi de photos de son membre turgescent), comme « la France qui clope et qui roule au diesel ».

Les politiques de mobilités des grandes métropoles n’échappent pas à la règle. La piétonisation, la multiplication des pistes cyclables et la mise en place des ZFE (Zones à faibles émissions) bannissant les véhicules les plus polluants ne sont pas mauvaises en soi, mais elles se font au prix de l’exclusion des habitants les plus pauvres. L’augmentation des loyers a forcé les pauvres des centres-villes à vivre en périphérie, rallongeant bien souvent leur temps de trajet pour aller au travail, et les voici désormais carrément exclus du centre, par impossibilité de s’acheter une voiture “propre”. Cerise sur le gâteau, la nouvelle offre de moyens de transport décarbonés s’arrête aux portes des métropoles, ne laissant que le choix de la voiture individuelle dans la ruralité, où le réseau ferroviaire a été liquidé. L’injonction à utiliser les transports en commun se heurte là encore à la destruction des services publics.

Dès lors, il ne faut pas s’étonner qu’en Europe et aux États-Unis, les mouvements pour le climat mobilisent peu les prolétaires : les marches climat ne sont bien souvent que des défilés policés où des membres des classes moyennes supérieures se rendent grâce à leurs mobilités électriques pour défiler bien sagement, avant de finir totalement ignorés par les gouvernements qui continuent allègrement de saccager le monde. Les changements de modes de consommation à l’œuvre dans les classes moyennes supérieures n’a qu’un impact très limité sur les émissions de CO2, avec un record de 36,8 milliards de tonnes de CO2 injectés dans l’atmosphère en 2022… En plus d’être anti-sociales, ces mesures de transition ne servent à rien, si ce n’est à stimuler un nouveau secteur économique et à donner bonne conscience à ceux qui ont les moyens d’adopter ce mode de vie.

Défense du capital fossile sous couvert de défense des classes populaires

Faut-il en conclure que l’écologie se positionne structurellement contre les classes populaires ? Faut-il sortir les barbecues, faire griller des côtes de bœuf et faire rugir des pick-up pour relâcher les fumées les plus noires possible comme certains rednecks américains ? C’est ce que semble prétendre l’extrême droite (et Fabien Roussel) qui, sous couvert de critique sociale des politiques écologistes, défend en réalité le capital fossile. Les industries du pétrole, du charbon et du gaz ne sont pas les amies des classes populaires. N’oublions pas que l’extrême droite associe sa critique de l’écologie anti-sociale à la négation du changement climatique ou plutôt, maintenant qu’il est difficile de tenir cette position, à la négation de la responsabilité humaine sur le changement climatique. L’extrême droite roule pour le capital extractif de produits fossiles et non pour les classes populaires. Quelques exemples : jusqu’en 2022, l’extrême droite européenne défendait bec et ongles la Russie de Poutine (en échange de subsides), un des plus gros producteurs mondiaux de pétrole (jusqu’à ce que la guerre en Ukraine rende ce soutien un peu embarrassant). De même, au Brésil, Bolsonaro roulait pour les grands propriétaires terriens qui ont amplifié le saccage de l’Amazonie. Aux États-Unis, Trump a directement nommé le PDG d’ExxonMobil (Rex Tillerson) ministre des Affaires étrangères.

La défense du mode de vie actuel, sponsorisé par le capital fossile, et exaltée sous un mode conservateur par l’extrême droite est une impasse pour les classes populaires, qui subissent de plein fouet les effets du réchauffement climatique. Les logements invivables en été et en hiver sont l’apanage des pauvres et non des riches. De même, lors des sécheresses et des ruptures d’approvisionnement d’eau (comme à Mayotte) ou d’électricité (comme en Californie), les riches utilisent des citernes et des groupes électrogènes, et tant pis pour les autres. Ce sont bien les classes populaires qui payent et payeront de plus en plus le prix et les impacts du réchauffement climatique, pendant que les ultras-riches pourront se prémunir de ses effets tout en conservant leur mode de vie, repeint en vert pour l’occasion. Changer les modes de consommation ou changer le mode de production ? Si la transition libérale basée sur les modes de consommation est une escroquerie sans nom, de même que la défense du capital fossile proposée par l’extrême droite, quelle serait la solution ? Tout d’abord, et peut-être l’élément le plus essentiel : la question écologique ne peut être déconnectée de la question sociale. Lutter contre le ravage du monde par le capitalisme sans prendre en compte les personnes concernées par l’exploitation capitaliste est une absurdité fumeuse. Pour aller plus loin, il ne suffit pas seulement de prendre en compte les exploités, ce qui pourrait être le mot d’ordre d’une gauche social-démocrate un peu paternaliste, mais prendre acte que la lutte contre le ravage du monde et contre l’exploitation capitaliste sont fondamentalement et intrinsèquement liés. Faire cesser l’exploitation va de pair avec sauver notre planète. Ce ne sont pas des objectifs séparables ou accomplissables de manière différée. Tous les produits liés à la transition écologique créent de nouveaux débouchés pour l’économie capitaliste et ont de plus pour effet supplémentaire de calmer les opinions publiques en donnant l’illusion à ceux qui achètent « éthique » qu’ils agissent pour le climat, permettant par ce tour de bonneteau d’augmenter allègrement les émissions de CO2.

Les technologies permettant une chute drastique des émissions ne relèvent pas de l’utopie, elles existent ou ne sont plus très loin d’être fonctionnelles, que soit pour produire de l’électricité décarbonée, des moyens de transports électriques ou à l’hydrogène (jusqu’à l’aérien et au maritime décarboné) ou du ciment ne reposant plus sur du carburant fossile. La question de la décarbonation de la production mondiale n’est pas une question technique, mais politique. Les pouvoirs publics entretiennent l’illusion que le consommateur aurait un pouvoir d’action. Ainsi, celui qui s’achèterait une voiture électrique contribuerait à façonner le secteur du transport. En réalité, les industriels et les gouvernants définissent des productions, qui seront inévitablement consommées. Le fait est que ceux qui détiennent les moyens de production sont opposés à une décarbonation d’ampleur et se moquent des « consom’acteurs ». Toutes les initiatives de transitions sont pour le capital l’occasion d’offrir des hochets politiques à une écologie bourgeoise tout en se remplissant les poches avec un « mode de vie écologique ». Le bla-bla sur les accords de Paris, la transition écologique et les modes de consommation ne sont que des écrans de fumée du capital qui est prêt à tout pour faire circuler ses marchandises et garantir ses taux de profit, quitte à tout détruire.

Imposer un changement radical du mode de production pour que l’énergie, le logement et la nourriture soient produits collectivement et distribués gratuitement est la seule solution qui s’offre à nous pour échapper au cynisme et à la barbarie capitaliste. Une telle révolution ne se fera pas sans les classes populaires, qui elles seules ont la force de s’opposer à l’État de manière massive, comme l’ont montré les Gilets Jaunes ou les révoltes pour Nahel, bien loin des faibles capacités des défilés impuissants des marches climats ou des trop faibles effectifs de groupes radicaux.

G.J

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