Projet Dublin IV : vers une automatisation des procédures d’expulsion de migrants
Le principe du règlement Dublin III, appliqué dans l’Union européenne depuis le 1er janvier 2014, est en théorie plutôt simple : le premier pays où la demande d’asile est formulée est celui qui est chargé de suivre le dossier du migrant et de rendre la décision finale sur son éventuelle régularisation. Dans la pratique, cette législation pose de nombreux problèmes car les pays aux portes de l’Europe, comme l’Italie et la Grèce, sont saturés de dossiers et font signer aux migrants des demandes d’asiles dans une langue qu’ils ne comprennent pas, et donc bien souvent à leur insu. Les réfugiés continuent leur route vers les pays du Nord, dans l’espoir de meilleures perspectives économiques et sociales, et lorsqu’ils se font arrêter par la police, ils apprennent alors qu’ils ont déjà formulé une demande d’asile dans un autre pays et qu’ils vont y être expulsés au nom de ce fameux règlement Dublin III. Les réfugiés qui font l’objet de cette procédure de renvoi sont appelés les « dublinés ». Derrière cette novlangue, des situations dramatiques.
La préfecture applique les règlements comme bon lui semble
Pour les associations de soutien aux réfugiés, l’enjeu se situe dans les possibilités de « dédublinage ». À Montpellier, les militant·e·s du collectif Migrant Bienvenue 34 ont organisé plusieurs rassemblements devant la préfecture pour tenter de faire sortir des migrants du règlement Dublin III et de les faire rentrer dans la procédure « normale ». Le principal moyen de « dédublinage », c’est lorsque les autorités dépassent les délais d’expulsion. Si, par exemple, la France cherche à éjecter un réfugié vers l’Italie car c’est là qu’il a fait sa demande d’asile, les autorités italiennes doivent d’abord valider ce renvoi. Mais dans les faits, les administrations ne répondent jamais à ces demandes et l’expulsion est automatiquement validée. À partir de ce moment-là, la France a six mois pour renvoyer le migrant vers l’Italie(1). Passé ce délai, il n’y a plus d’expulsion possible et le demandeur d’asile rentre dans la procédure « normale ».
Ce qui se profile, avec le projet Dublin IV, c’est la suppression de ce délai. Pire encore : « Le gouvernement veut mettre directement les arrivants dans des logements spécifiques où ils sont automatiques assignés à résidence et où ils seront expulsés très rapidement, avant même qu’ils n’aient le temps de voir quelqu’un ou de se faire aider » alerte Cécile, membre de Migrants Bienvenue 34. Six Soudanais ont déjà subi les prémices de cette politique l’été dernier à Montpellier(2), pendant les élections : « La préfecture attendait les consignes, puis Macron et Collomb [ministre de l’intérieur] sont arrivés et là on a vu les résultats : ils ont été assignés à résidence et expulsés ».
Assignation, prison, expulsion
L’assignation à résidence, présenté par l’État comme moins pénible que la mise en centre de rétention, oblige en réalité le demandeur à se présenter chaque jour au commissariat avec l’ensemble de ses affaires au cas où il serait expulsé, sans aucune information sur son avenir immédiat. Une méthode inhumaine dénoncée par Cécile : « On rentre dans un système complètement opaque où ils essayent de plus en plus de diminuer les garanties des gens et de les assigner automatiquement à résidence pour provoquer du ‘‘délit de fuite’’. […] Le ‘‘délit de fuite’’, c’est quand tu te soustrais à cette assignation à résidence et à partir de ce moment-là, le délai pendant lequel ils peuvent t’expulser passe de 6 à 18 mois et en plus tu es directement menacé de prison. Du coup, on a des gars qui ont besoin de protection, qui se retrouvent en taule et qui à peine sortie, sont mis dans un avion avec interdiction de séjourner sur le territoire français. Macron a dit ne plus vouloir voir personne dans la rue, mais dans les faits, il les met en prison, en centre de rétention ou dans les pré-centre de rétention comme le CAO(3) ou les Prahda(4). C’est totalement hypocrite, la partie répressive on la voit bien, mais la partie dignité on l’a pas vu. »
Dessin de Tati Richie, photos de Lili prises lors du rassemblement du 24 juin 2017 à Montpellier pour l’accueil des réfugiés
Sources :
(1) « La procédure Dublin III (passage par un autre État de l’Union européenne) », Groupe d’information et de soutien des immigrés, 2 novembre 2017, lien.
(2) « Montpellier : les six Soudanais “dublinés” ont été expulsés », Marseillaise, 5 août 2017, lien.
(3) Centre d’Accueil et d’Orientation
(4) Programme d’Accueil et d’Hébergement des Demandeurs d’Asile
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