À l’Assemblée des assemblées de Montpellier, les gilets jaunes plongent dans le chaudron mondial

Le Poing Publié le 3 novembre 2019 à 19:42
Succès d’affluence, intensité des échanges : cinq cents gilets jaunes de tout le pays cherchent les issues après une année d’actions. Rendez-vous vérité les 17 novembre et 5 décembre, entre commémoration et grève générale.

C’est un moment très classique des assemblées militantes : celui où à force de fatigue, d’interminable écoute de rapports de commissions, la machine se grippe sur sa névrose procédurière. On en était là ce dimanche 3 novembre, vers la fin de la grande session plénière de la quatrième Assemblée des assemblées des gilets jaunes de tout le pays à Montpellier (compte-rendu de la première journée disponible ici). Entre coups de gueule, pressions et brouhaha, on ne peut plus dire que ce soit la raison qui domine à cet instant. Alors, nous nous lâcherons aussi, en décidant de faire confiance à l’émotion pour capter un brin du sens des choses.

L’émotion ? Soit, dans ce cas : se brancher sur le bon vieil applaudimètre, qui en dit beaucoup sur les passions de foule. Voici que la grande salle de l’Agropolis Museum réquisitionné se soulève dans une acclamation mémorable. À tout rompre. Qu’est-elle en train de saluer : la lecture d’un appel – en fait d’une dédicace, annoncée « pleine de modestie et d’humilité » – adressée par les gilets jaunes de France, aux soulèvements en cours actuellement sur la planète. Devenue un chaudron, leur assemblée s’enflamme pour dédier la fête du premier anniversaire de l’Acte 1 des gilets jaunes, à « tous les peuples qui se battent pour des causes similaires aux nôtres », qui cherchent à « devenir maîtres de leur destin », et veulent « la chute du système ».

Une grande banderole se lève, tout juste peinte, où on lit : « Revolution everywhere – Que se vayan todos – [enfin en arabe : Le peuple veut la fin du régime». Voilà qui ressemble fort à une issue, genre de nouvel internationalisme, élargissement d’horizons peuplés, comme jamais, de foules multitudinaires qui refusent de lâcher, parfois arrachent un bout du morceau, du Chili à Hong Kong, d’Algérie au Soudan, d’Haïti au Liban, de Guinée en Catalogne, etc. Devant pareil phénomène, il serait peut-être temps de se demander combien de temps, à Montpellier par exemple, la cause chilienne connaîtra son petit rassemblement le lundi, la kurde le mardi, la libanaise le mercredi, la catalane le jeudi, etc.

Chercher des issues ? Là est peut-être le sens des cogitations montpelliéraines, qui se sont étalées sur trois jours. L’événement aura connu un beau succès. De s’être imposé, pour commencer. On écoute ce salut de Yacine, de la Maison du Peuple de Saint-Nazaire : « En réquisitionnant ce bâtiment, vous avez montré notre capacité à ouvrir une Maison du Peuple quand on en a besoin, où on en a besoin, à la faire fonctionner. Ça génère une formidable énergie. C’est un acte extrêmement politique ».

Succès d’affluence et de représentativité aussi, avec deux cents mandatés (le plus souvent des ronds-points) venus de tout le pays, pour un total de cinq cents mandataires inscrits. À côté de leurs « porte-paroles » autoproclamés désignés par les médias, au-delà des plateformes d’échange d’infos dans l’immédiateté – parfois suspecte – des réseaux sociaux, une autre circulation de la parole se cherche. Elle remonte du terrain. L’Assemblée des assemblées se propose comme le lieu privilégié de ces échanges. Mais refuse de s’en proclamer représentante. Ce chemin escarpé, les organisateurs montpelliérains ont pensé le dépierrer en éclatant la discussion en dizaines et dizaines de petits groupes de dix participants au maximum. La richesse qui en découle est inimaginable – et c’est elle qui devient parfois si fastidieuse à restituer en assemblées plénières. On ne peut que renoncer aussi à la mettre en ordre dans ces quelques lignes. On citera John, de l’assemblée de Commercy – avec son appel et sa première AdA fin janvier – qui s’enthousiasme : « L’AdA est un outil de fonctionnement pour les gilets jaunes. Mais c’est aussi une expérience progressive de pratique démocratique, qui servira, dans le temps, à penser un autre système au fur et à mesure du dépérissement de la politique représentative ». Stéphanie de Saint-Nazaire opine : « La mise en relai de ville en ville permet de montrer concrètement une alternative possible. Ça ne se rendormira plus, ça n’est pas possible ».

Le fonctionnement de l’AdA même a donc paru un des thèmes d’atelier parmi les mieux nourris et cadrés. Le recours à protonmail permettra un échange rapide, horizontal autant que vertical, aussi bottom up qu’up down à l’échelle de tout le pays. Mais on pouvait aussi écouter Janine, de Castries, se décaler d’une fixation sur la seule verticalité, pour vanter « le maillage d’actions qui se communiquent de village en village ». Notion de proximité, de passerelle, voire de rhizome.

Beaucoup de propositions de ce côté-là, pour qu’un groupe organisateur de la logistique d’une AdA ne se confonde pas avec le groupe qui en définit le contenu, pour que ce contenu devienne fruit d’une large consultation de la base, pour qu’une mémoire se dépose, de relai en relai, d’une AdA vers l’autre, et qu’une charte de fonctionnement s’élabore, là encore dans la consultation. Pardon : plutôt « un cadre, ou une trame » qu’une charte. Les mots comptent : « Je refuse les chartes, qui créent des séparations supplémentaires, entre les gens très bien qui y adhèrent, et ceux qui ont le malheur d’être moins parfaits que nous » médite un participant. C’est à réfléchir…

Les Languedocien·nes pourraient aussi plancher sur l’exemple d’Aurillac, qui a connu voici trois semaines une première AdA régionale. « Il y avait seize groupes venus de cinq départements ; quatre-vingt-quinze personnes toute une journée durant. Soit le format idéal pour pouvoir enfin donner de vrais contenus aux déclarations générales en faveur de la justice sociale, écologique, la solidarité, etc ». Tout cela tend à ce que les AdA cessent de chacune tout reprendre à zéro, et qu’un horizon perspectif se dégage. C’est un genre d’issue.

L’AdA réunie à Montpellier – du moins ses organisateurs – avait annoncé son refus de bander toutes ses forces vers la production d’un « appel ». Soit un exercice aussi propice aux psychodrames procéduriers, qu’aux illusions proclamatoires velléitaires. Il n’empêche : on aura procédé à des « consultations » en séance plénière, « non-décisionnaires » ; mais tout de même fort représentatives de la tendance.

De quoi solder au passage les querelles entre AG du Peyrou, centre autogéré du Casa del Sol d’un côté, Convergence 34 et Prés d’Arènes de l’autre, traitant de l’autonomie d’action. Le fait est que les mains se lèvent par centaines pour estimer que « l’heure est à la convergence avec le monde du travail et son maillage de milliers de syndicats qui, comme nous, n’acceptent pas […] Nous avons cette occasion à saisir, à partir du 5 décembre, date à laquelle des centaines de milliers de travailleurs seront en grève et en assemblées générales pour la reconduire jusqu’à la satisfaction de nos revendications ».

Sans plus de précisions sur les conditions – âprement discutées – des relations possibles, ou pas, avec les instances syndicales, les gilets jaunes sont appelés « à être au cœur de ce mouvement » […] « tous ensemble, tous unis, et cette fois, en même temps ». Soit l’espoir – rêve ou réalité – de la grande issue sociale pour en découdre avec le pouvoir. D’ici là, une projection dans l’étape intermédiaire du week-end « commémoratif » des 16 et 17 novembre. Les idées d’actions abondent pour ces deux jours. La prudence tactique inspire de ne guère les éventer. Il s’agirait « de prendre le pari que si nous multiplions, ces mêmes jours, les interventions dans tout le pays, nous pourrons faire enfin entendre à nos oppresseurs, que le peuple s’est réveillé et que leur règne touche à sa fin ».

L’appel est vibrant : « Soutenir est nécessaire. Participer est vital ». On quitte l’Assemblée, sa foule au travail, avec cette sensation qu’une année d’actions a remobilisé d’antiques volontés militantes assoupies, en a conforté à bloc d’autres plus actuelles, et galvanisé en nombre de nouvelles déterminations qui s’inventent. C’est tout un bouillonnement, sur lequel le pouvoir est parvenu à refermer un couvercle pesant. Cherchez l’issue. L’AdA4 se déroulait dans un bâtiment que le phrasé populaire du cru désigne comme « la Soucoupe ». À priori destinée à s’envoler. Côté soleil ? Ou côté nuées ?

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