Malgré la grève des avocats le procureur du Tribunal de Grande instance de Montpellier refuse le renvoi de procès
Encore un lundi de plus au tribunal. A force d’arpenter l’intérieur de cette sordide institution pour couvrir des procès, on ne s’étonne même plus de pisser dans le noir depuis plus de six mois car l’interrupteur des toilettes des hommes a été arraché de son emplacement, ni des trous à l’extérieur du mur de l’une des salles d’audience. Cela passe encore, mais quelle fut notre réaction, ce lundi 6 janvier 2020, devant la pénurie de sucre dans la machine à café… Au Poing, ce n’est pas le genre de la maison de demander plus de moyens pour une justice bourgeoise qui détruit des vies, mais là quand même, on veut bien comprendre que les avocats en aient gros au point de tous refuser de plaider pour cause de grève.
La grève des avocats, contre la réforme des retraites et la réforme de la justice, c’est justement ce qui va causer le trouble dans les audiences de comparutions immédiates de ce lundi 6 janvier. Au début de l’après-midi, plusieurs avocats ont pris la parole pour expliquer qu’ils ne plaideraient pas. Le bâtonnier lui-même a refusé de désigner des commis d’office pour les comparutions immédiates. Ce qui n’a pas eu l’air de déranger le procureur, pour qui la grève des avocats ne constitue pas un motif légitime pour solliciter des renvois. Malgré quelques dossiers renvoyés à des dates ultérieures -dont ceux de deux gilets jaunes -, plusieurs prévenus se feront donc juger sans défense.
Un juge suggère à un prévenu de fumer chez lui plutôt que dans la rue
Après l’affaire quasi hebdomadaire de schizophrène précaire que le tribunal envoie ou maintient en détention alors qu’il exprime de lui même la volonté d’être placé en institution spécialisée, la première dinguerie de l’après midi arrive.
C’est un Algérien d’environ 25 ans en situation irrégulière, qui ne parle pas bien le français. Il n’a pas eu d’interprète en garde à vue, n’en a pas ici non plus, pas plus que d’avocat. Il est accusé de s’être fait arrêter dans la rue avec « un gros joint à la bouche » -selon les mots du juge-, en possession de 10 grammes de shit. L’inculpé explique qu’il a eu un accident de travail en juin dernier, lequel lui a sévèrement endommagé un pied, et qu’il restait en France le temps de se soigner avant de repartir en Algérie.
« Vous dites ne pas pouvoir marcher et on vous arrête dans la rue ! Vous trouvez ça normal vous de se balader dans la rue avec un gros joint à la bouche ? » Tonne le juge en mimant le geste de fumer.
Le détenu répond qu’il fume pour soulager sa douleur. Le juge lui fournit alors un drôle de conseil : « Alors fumez chez vous, au moins vous ne marcherez pas ! »
A la table réservée à la presse (à laquelle Le Poing ne s’assied jamais) siègent deux gamines de dix et douze ans tout au plus, probablement les filles de la journaliste présente. Se droguer c’est illégal, mais si vous le faîtes, faites le chez vous ! Un bel exemple pour la jeunesse !
Son procès a finalement été renvoyé, le prévenu a été placé sous contrôle judiciaire, et est reparti à cloche pieds.
« Vous faites passer beaucoup d’affaires en comparution immédiate pour dégraisser les tribunaux ! »
Vient le tour d’une affaire de règlements de comptes violents. Le seul avocat présent dans la salle fait une demande de huis clos, puis une demande d’acte au procureur, expliquant que l’affaire, en plus d’être sensible, mérite d’être creusée plus que 48 heures. Après avoir essuyé un refus du tribunal pour ses demandes, il monte dans les tours : « Vous-même vous le savez, la justice manque de moyens, vous faites passer beaucoup d’affaires en comparutions immédiates pour dégraisser les tribunaux ! ». Dans la salle, la tension est palpable, le prévenu demande un délai, et part en détention provisoire après une rapide présentation de sa « personnalité ». Affaire suivante.
« Vous prenez la parole quand je vous le dis ou je vous juge en votre absence ! »
Il est déjà pas loin de 17 heures, quand le huitième dossier sur onze commence à être traité. C’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, déjà en préventive, dont le procès a déjà été reporté une fois. Son avocate étant en grève, il est seul face au tribunal. « on est à la limite du délai, on ne peut plus renvoyer », déclare le procureur. S’ensuit un long moment de flottement, où le tribunal, tel Lénine, se demande « que faire », les perspectives révolutionnaires en moins. Finalement, le procureur refuse le renvoi.
« Je suis jugé sans avocat là ? » demande le prévenu, abasourdi. Voilà que la descriptions des faits reprochés commence : dégradations, harcèlement sur concubin ou concubine, outrage et menaces sur personne dépositaire de l’autorité publique. L’accusé tente de nier et de s’expliquer mais le juge le coupe «Vous prenez la parole quand je vous le dis sinon je vous fais sortir et je vous juge en votre absence !».
Mais quand l’inculpé est autorisé à parler et qu’il tente de balbutier le début d’une défense (à défaut d’avoir un avocat), le juge discute à voix basse avec ses assesseurs et ne semble pas l’écouter. Le soir même, il dormira à la prison de Villeneuve-Lès-Maguelone.
Deux procès de gilets jaunes reportés au 26 février
Enfin, vers 18 heures, deux gilets jaunes sont appelés à la barre, l’un après l’autre, eux aussi sans avocats. Ils comparaissent pour des accusations d’outrage, de violences et de participation à un groupement en vue de commettre des violences et des dégradations lors de la manifestation du 16 novembre. Au début de l’audience du premier, le juge avoue ne pas avoir pris connaissance des vidéos. Le contrôle judiciaire du prévenu est levé, son procès est renvoyé au 26 février à 14 heures. Même chose pour le second. Rendez-vous le 26 février à 14 heures.
Éreinté par cet après midi de plus qui témoigne une nouvelle fois de la brutalité d’une institution judiciaire à bout de souffle, l’auteur de ces lignes a suivi les conseils du juge en rentrant chez lui, et a terminé cet article avec « un gros joint à la bouche », manière de décompresser sans troubler l’ordre public d’une quelconque façon.
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :