Après 5 jours de grève de la faim devant le rectorat de Montpellier, Medhi a été admis en master

Le Poing Publié le 23 septembre 2020 à 09:05
Photo du Syndicat du Combat Universitaire de Montpellier, qui s'est battu pour faire connaître le sort de cet étudiant

Titulaire d’une licence en droit, Jewed-Medhi Ben Youssef est un jeune étudiant montpelliérain de 25 ans, actuellement sans affectation pour sa poursuite d’étude en master. Conséquences de récentes réformes, son admission se trouve remise en cause dès la première année (le processus de sélection intervenait auparavant à partir de la deuxième année de master). Malgré une douzaine de candidatures et des contacts réguliers avec le rectorat, sa situation est restée bloquée. Après cinq jours de grève de la faim devant le rectorat de Montpellier (et même un jour de grève de la soif !), il a ét admis en master. Le Poing s’est entretenu avec lui peu avant cet heureux dénouement.

Le Poing : Peux-tu nous décrire ton parcours ?
Mehdi : Mon parcours est simple : je suis rentré en licence de droit il y a trois ans, les deux premières années se sont très bien passées. Durant la troisième année, j’ai rencontré quelques soucis, cela n’a pas été évident, mais je suis parvenu à m’en sortir tout en justifiant les problèmes auxquels j’ai pu être confronté. Un parcours classique en somme, je pensais pouvoir être compris par les personnes en charge de la sélection en première année de master. De plus, j’ai rempli les « prérequis » pour être admis en M1, à savoir la validation de mon diplôme, ainsi que des notes comprises entre 12 et 14 dans les matières essentielles au cursus visé… J’ai effectué douze candidatures. Certains refus ne sont même pas accompagnés d’explicatifs, simplement de la mention « niveau insuffisant » : dans tous les cas, j’ai validé ma licence, il me paraît incompréhensible de ne pas pouvoir poursuivre mes études alors même que j’ai obtenu le diplôme nécessaire.

Que penses-tu du processus de sélection à l’université ?
Je pense qu’il faudrait une remise à plat complète de cette réforme de la sélection, beaucoup de choses ne fonctionnent pas à l’échelle des étudiants : actuellement ce mécanisme reproduit les inégalités sociales, les étudiants ayant passé l’entrée du cursus se font éjecter en sortie, malgré leur réussite scolaire. Beaucoup de zones de flou demeurent : nous ne connaissons pas les critères réels du refus, ce qui rend difficilement compréhensible une interruption d’étude indépendante de notre volonté.

Pourquoi une grève de la faim ?
Je serais mis à la porte de mon logement universitaire le 30 septembre si je n’ai pas trouvé d’affectation, faute de statut étudiant. Je n’ai plus de bourses, ni les moyens d’activer le paiement en urgence de celle-ci. Ensuite, j’ai saisi la fameuse plateforme d’affectation en master du ministère de l’enseignement supérieur, ayant candidaté à plus de deux masters je suis concerné par le « droit à la poursuite d’études » : le rectorat est dans l’obligation de me fournir trois propositions dans des universités où il existe des places vacantes, sauf que les facultés en question refusent systématiquement ma candidature. En ce qui me concerne j’ai déjà postulé auprès de trois académies : Bordeaux, Toulouse et Montpellier.

As-tu reçu des soutiens ?
J’ai reçu du soutien de la part du Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier (le SCUM), de personnes que je rencontre durant mes journées devant le rectorat – le soutien humain est pour moi la chose la plus importante – mais aussi sur les réseaux sociaux, à travers de nombreux messages et partages de ma situation. Mes anciens chargés de travaux dirigés m’ont également témoigné leur soutien : lorsque vos anciens professeurs réagissent de cette manière, ce n’est pas une chose anodine quant au travail que j’ai pu fournir durant ma licence.

Qu’attends-tu de la part du rectorat et du ministère de l’enseignement supérieur ?
Tant que je n’ai pas eu de proposition, je continuerais ma grève de la faim. Je précise bien une proposition, et non des réponses vagues de la part du rectorat du type « nous sommes en train d’y travailler ». Cela fait trois mois que j’entends ce discours, et ma situation n’a pas évolué. J’ai besoin d’éléments concrets pour pouvoir me projeter. Ces événements m’ont beaucoup affecté, il est inconcevable dans ma situation d’arrêter ce combat. Actuellement, le rectorat à soumis une proposition à la Rochelle : quel que soit le lieu de l’affectation, je suis prêt à déménager et à entreprendre toutes les démarches nécessaires pour poursuivre mes études. Certains étudiants n’auront même pas cette possibilité… Au-delà de ma situation personnelle, la problématique se situe sur la pertinence des propositions formulées par le rectorat, qui peuvent souvent être inadaptées à la situation de l’étudiant. Je trouve regrettable d’en arriver à ce cas de figure où les étudiants ne peuvent pas se préparer correctement au cursus qui leur est proposé : qu’importe, ma motivation reste intacte.


Dans un communiqué, le SCUM précise que « Mehdi va bien » et appelle « tous les Mehdis à se mobiliser » :
Lors de la généralisation de la sélection à l’entrée en master en 2017, nous avions pointé le caractère non-applicable de ce droit. En effet, les rectorats sont dans l’obligation de proposer des masters aux étudiants qui font un recours sur « trouvermonmaster.gouv.fr ». Sauf que rien n’oblige les universités à répondre favorablement aux sollicitations des rectorats. Kafka lui-même n’aurait pas imaginé pire absurdité ! […] Nous ne disons pas merci à Sophie Béjean [rectrice de l’académie de Montpellier]. À aucun moment […] cette représentante locale du ministère a daigné descendre de sa tour d’ivoire. Aucun contact n’a été pris de sa part, même pour s’enquérir de sa santé. Nous ne disons pas merci aux gouvernements successifs qui ont légalisé en 2017 une sélection auparavant illégale, et mise en place de façon opaque et élitiste par les directions d’universités. […] Cette victoire démontre que c’est par le rapport de force, qu’il soit individuel ou collectif, que nous pouvons faire valoir notre droit à un avenir. Mehdi n’est pas un cas isolé. Pour preuve, nous avons déjà été contactés par plusieurs étudiants dans une situation similaire. Nous appelons donc tous les Mehdis à se mobiliser contre cette sélection sociale.

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