Manifestation des étudiants fantômes et calendrier universitaire : quand le grotesque le dispute au tragique
Quand trois journalistes du Poing se rendent à une manifestation aux revendications majeures mais qui prend une tournure pour le moins folklorique, l’objectivité (relative) journalistique habituellement poursuivie dans ce genre de cas ne peut que céder la place à une forme de circonspection amusée. Plutôt en rire que pleurer. Lecteur, lectrice, le Poing t’emmène aujourd’hui au-milieu d’une tragi-comédie sur fond de détresse sociale et psychologique des étudiants et de bureaucratie syndicale.
Etudiants fantômes
Mardi 16 mars 2021, les étudiants fantômes et diverses organisations appelaient à se rassembler partout en France et sur la place de la Comédie à Montpellier pour alerter sur le désastre humain et social qui se joue actuellement dans le monde universitaire. De surcroît, à Montpellier, comme le Poing l’avait raconté, une autre problématique est venue se greffer à la liste déjà chargée des griefs et des déceptions : le nouveau calendrier universitaire de la fac Paul Valéry.
Aux alentours de 14h30, nous voilà place de la Comédie. Des groupes épars. Quelques drapeaux. Tiens, même Solidaires est là – d’aucuns pensaient que leurs récentes vicissitudes les auraient poussés à faire profil bas. Le vent qui souffle sans discontinuer dans nos oreilles nous rappelle les meilleurs discours de Jean Castex.
La mobilisation débute avec une prise de parole du SCUM – syndicat plutôt loufoque, jumeau maléfique de Solidaires, qui cache sous des dehors totoïsants des pratiques clientélistes dignes des pires corpo étudiantes–, puis du collectif de lutte contre la loi sécurité globale. Etonnamment, ce collectif aime à mettre en avant la sempiternelle Sophie Mazas, qui ne renâcle jamais devant un micro tendu. L’intervention s’étire tandis que le vent souffle, indifférent comme beaucoup d’entre nous – pas à la cause défendue, mais à un blabla entendu maintes fois qui prend les accents de la radicalité, de la lutte, mais ne traduit finalement que la profonde impuissance stratégique dans laquelle un grand secteur du mouvement social traditionnel semble avoir pris le goût de rester enfermé.
Embrouillamini
Pendant que Mazas promet, à-rebours du réel, que « la lutte continue, on lâche rien, etc. », la gêne commence : le chef du SCUM se trouvant à côté du micro, quelques militants de Solidaires se postent à côté de lui pour l’impressionner et verrouiller les débats, rapidement rejoints par le reste de leurs troupes. Les étudiants, majoritairement opposés au nouveau calendrier défendu par Solidaires, sont nombreux à ne pas vouloir entendre leurs justifications. Quant au discours exalté habituellement déroulé dans ce genre de rassemblements, passage obligé de la culture de l’impuissance qui se pare des atours de la radicalité – « la lutte continue, on lâche rien, etc. » – on l’a dit, Sophie Mazas s’en est déjà chargée.
Le ton commençant à monter, un de nos rédacteurs (par ailleurs étudiant-prolétaire directement impacté par l’affaire du calendrier) se rapproche et leur signale que personne ne veut les entendre. Le SCUM fait savoir qu’un mail a été envoyé à toutes les organisations syndicales pour organiser la prise de parole, sans réponse de leur part – on peut choisir de les croire ou non. Tout à coup, une bousculade : la dizaine de militants de Solidaires tente de s’emparer du micro. Notre reporter craque et s’en saisit pour les empêcher de le prendre de force.
Vue à distance, la séquence est à la fois brouillonne, cocasse et un peu triste. Les Solidaires se donnent l’air solide, et pour inverser la charge de la preuve et se positionner en victimes, filment toute la scène en braquant leurs téléphones sur les visages des autres étudiants rassemblés autour d’eux, qui s’échangent des noms d’oiseaux. Au même moment, sur le côté, un groupe de quinquagénaires munis de tracts de « RéinfoCovid », un site complotiste en vogue, s’égosille dans le vent : « Le masque est un signe de soumission ». A proximité d’eux, un de nos rédacteurs se demande si, dans les donjons sado-masochistes, le masque chirurgical ne devrait pas de facto être l’accessoire le plus répandu, en tant que signe universel de soumission ?
Une première partie de manif calme
Miracle, le pugilat se calme cependant que la manif s’ébranle. Solidaires, -cela en surprendra-t-il certains ?-, en prend aussitôt la tête. Des Gilets jaunes, notamment ceux de Près d’Arènes, parsèment le cortège. Des membres du collectif contre la loi sécurité globale également. L’ambiance est plus calme. Les slogans un peu poussifs. Tout cela chemine jusqu’au rectorat où, après avoir croisé une voiture de la bac garée devant la fac de droit, le groupe s’arrête un moment devant le bâtiment officiel pour se faire entendre.
C’est ici qu’un de nos rédacteurs nous lâche, avant que ce surplus d’émotions et de sensations fortes ne le fassent de nouveau basculer dans l’alcoolisme dont il peine tant à se défaire. Les autres poursuivent leur route, direction Albert 1er.
Là, la foule commence à chanter des slogans contre le fameux calendrier, au grand dépit de Solidaires. La tension monte – comme si, finalement, signer avec la présidence contre le reste des organisations syndicales et des étudiants n’avait pas été pas le plus habile des calculs. Alors qu’un gars du SCUM chante un slogan anti-calendrier, les militants de Solidaires arrivent à plusieurs sur lui, ça se bouscule pour lui arracher le mégaphone, les gestes sont brutaux, on n’est pas loin des coups. Dans leur voiture, au loin, les bacqueux enragent. Voilà que les étudiants autogèrent leur répression, maintenant ! On nous vole notre travail !
Mais rien n’y fait : la foule continue de chanter contre le calendrier. Notre troisième reporter a l’outrecuidance de se joindre aux slogans en même temps qu’elle photographie les manifestants : c’en est trop pour une des bureaucrates de Solidaires, qui vient lui ordonner, texto, de « fermer sa gueule ». En une saisissante inversion des rôles, on retrouve quasiment le « Travaille, consomme et ferme ta gueule » ironique des manif – le syndicat gauchiste endossant ici la fonction de l’Etat. La nature ayant horreur du vide, peut-être n’est-on voués qu’à reproduire perpétuellement les structures qui nous oppressent.
« On se désolidarise de Solidaires ! »
La manifestation doit continuer jusqu’à la présidence de la faculté pour protester contre ce nouveau calendrier et, partant, contre les agissements récents de Solidaires. Leurs militants, qui s’étaient imposés à la tête de cortège, décident soudainement de ne plus avancer. Notre reporter, qui ne fermera pas sa gueule, donc, prend le mégaphone et invite le reste de la manif à se désolidariser de Solidaires. Tout le monde finit par courir sur la route pour les contourner et poursuivre la manifestation en slalomant entre les voitures. A partir de ce moment, les militants de Solidaires poussent la sirène de leur mégaphone au maximum pour couvrir les chants anti-calendrier. Décidément, la répression leur colle comme un gant. Dans leur voiture, les bacqueux s’imaginent déjà au chômage – et avec le nouveau mode de calcul des indemnités bientôt en vigueur, ils commencent légitimement à s’inquiéter. Peut-être iront-ils manifester à leur tour, et, ce jour-là, Solidaires Etudiants Montpellier se chargera du maintien de l’ordre ?
Conspués par le reste du cortège pour leur attitude, les révolutionnaires de salon finissent par se mettre sur le côté et, apparemment déconfits, cessent leur cirque. Arrivés au CROUS, point final de la partie déclarée de la manif, Solidaires remballe les drapeaux et se dissout, probablement pour aller rendre compte de cette grande victoire populaire au Parti, conscients que le reste de la manif, engagée en direction de Paul Va, ne sera pas récupérable.
On entre finalement en scred dans les bâtiments de la présidence après diversion auprès d’un agent de sécurité. On crie à la présidente qu’on va venir la chercher, et puis on danse sur « All you need is love » des Beatles dans les couloirs du bâtiment administratif.
En conclusion, on ne peut que se dire qu’on a vécu une énième défaite de fait, quand bien même elle a eu parfois des allures de fête. L’un des principaux enseignements qu’on peut tirer de la journée est celui de la décomposition-recomposition à l’œuvre dans le mouvement étudiant, et dans le front social. Pour paraphraser l’autre : les vieilles figures se meurent, les nouveaux venus tardent à s’imposer, et dans ce clair-obscur rôdent les bureaucrates. En tout cas, le grand soir ne sera d’évidence pas pour tout de suite. On se rassure en se disant que c’est probablement à cause du couvre-feu.
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