Archives - Politique 30 mai 2015

Quand les préfets se débarrassaient des nomades

Frankreich, Paris, festgenommene Juden im Lager
Alexandre Doulut est historien, il travaille sur la Shoah et les déportations du Lot-et-Garonne et participe aux travaux de recherche du mémorial de Rivesaltes. Sa dernière publication « Les Tsiganes au camp de Rivesaltes : 1941-1942 » vient enrichir le travail de recherche et de mémoire autour de ce site à l’histoire noire et douloureuse : tour à tour camp d’internement puis « Drancy de le zone libre » déportant plus de 1 700 personnes, camp de transit et de reclassement des Harkis et coloniaux, et enfin centre de rétention administrative jusqu’en 2007.

A partir de quel matériel avez-vous travaillé pour mettre en lumière l’histoire de la dérive de l’assignement à résidence des Tsiganes français, jugés indésirables, à leur internement ?

A partir quasiment exclusivement des archives de l’administration, car il y en a une énorme production dans les préfectures, les gendarmeries, etc, et de peu de témoignages de Tsiganes puisqu’il n’en existe qu’une poignée. Je n’y relate pas l’histoire des souffrances des Tsiganes. Je ne suis pas spécialiste de l’histoire de ce peuple. Il s’agit plutôt de l’histoire d’une persécution que l’histoire des persécutés. Les Tsiganes internés dans le camp de Rivesaltes étaient des Français, et sont le plus souvent originaires d’Alsace Moselle. Ils ont été expulsés d’une manière quasi systématique au cours du deuxième semestre 1940 par les Allemands qui ont annexés la région. Ils expulsent également des forains n’appartenant pas au peuple Tsigane, mais qui ont un mode vie nomade. Les Tsiganes du camp de Rivesaltes sont pris dans la vague d’exil, d’exode, d’autres populations à partir de l’occupation allemande fin 1939.

Lettre prefet

Courrier du maire de Martizay au préfet de l’Indre, le 25 novembre 1940 (Archives départementales de l’Indre)

 

Quel a été le processus civil et administratif, par lequel ces réfugiés en zone libre ont été internés au camp de Rivesaltes ?

C’est la question centrale de ce livre. L’histoire d’une dérive. Ce sont des réfugiés, sans revenus, qui ont tout perdu dans leur expulsion, considérés comme des indigents. Ils tombent déjà sous le coup d’un décret loi du 6 avril 1940, avant l’armistice quand la France est encore un pays libre, qui impose l’assignation à résidence des Tsiganes. De fait ils sont recensés par les maires et les gendarmes. Leurs mouvements sont interdits, ce qui va les priver de revenus, puisqu’ils sont itinérants, et conduire à leur appauvrissement et donc tôt ou tard ces réfugiés démunis par l’exil finissent par soulever l’hostilité des populations et par poser problème à l’administration locale, notamment pour de menus larcins liés aux conditions de leur survie. Les populations alertent donc les maires qui en réfèrent aux sous préfets ou préfets. A la fin septembre 1940 une nouvelle circulaire donne la possibilité aux sous préfets de faire interner les nomades français. Certains préfets vont dès lors se débarrasser massivement des nomades sous leur juridiction. On éloigne les gens qui posent problème dans les camps d’Argelès, Agde, Rivesaltes.

Quelles étaient les conditions d’existence des internés, au camp de Rivesaltes ?

Rivesaltes était un camp familial, dans le sens ou des familles entières étaient internées. Un camp dont les aménagements sont inachevés et dont l’intendance est inadaptée. Le ravitaillement surtout est nettement insuffisant. Un camp dont l’encadrement humain n’a pas choisi d’y travailler et qui se désintéresse le plus souvent du sort des populations qui y sont internés. Il y existera une malnutrition chronique et des maladies à répétition. La mortalité y est anormale par rapport à l’ensemble de la population. Surtout chez les personnes fragiles telles que les enfants et les vieillards. Il y a dans les baraquements des problèmes d’isolation, les toitures parfois ne sont pas finies, les fenêtres sont manquantes. Et la région humide, venteuse ou caniculaire est d’une hostilité redoutable. Des conditions qui conduisent à l’évasion. J’ai compté que les deux tiers des Tsiganes s’étaient évadés au moins une fois. Car pendant longtemps le camp n’a pas comporté de véritable enceinte. La seule enceinte était sociale. Sur la route ils allaient être signalés par un riverain hostile ou repérés par une patrouille de gendarmerie. Et les réinternements furent nombreux.

Cyril Métreau

Entretien avec Alexandre Doulut

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