A Montpellier, le réflexe pacifiste face à l’invasion de l’Ukraine
Collectifs militants, partis de gauche, organisations syndicales et de défense des droits humains, ressortissants ukrainiens et russes : près de 200 personnes ont manifesté ce jeudi 24 février devant la préfecture de Montpellier, contre l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Le mouvement pacifiste, discret en France ces vingt dernières années, est-il en passe de renaître ?
Dans la nuit du mercredi 23 au jeudi 24 février les armées russes ont lancé une offensive d’ampleur sur l’Ukraine. L’appel à se rassembler devant la préfecture de l’Hérault jeudi soir a donc été lancé au tout dernier moment, par tout un panel d’organisations politiques et syndicales de gauche, d’associations de défense des droits humains, rejoints par des montpelliérains d’origine russe ou ukrainienne.
Ont répondus présents l’Union syndicale Solidaires, avec des drapeaux tout spécialement siglés “antifascistes” (une bonne part de l’extrême-droite européenne est pro-Poutine, ou l’était jusqu’aux récents évènements), la CGT, la FSU, le PS, Europe Ecologie Les Verts, LRDG, l’Union Populaire et la France Insoumise, le Parti Communiste, le NPA, sa récente scission Révolution Permanente, l’Union Communiste Libertaire, des collectifs militant sur le thème du changement climatique, la Ligue des Droits de l’Homme.
C’est que le conflit concerne très directement tous les européens. Sans même parler du risque d’escalade militaire selon les décisions des différents états majors, les conséquences économiques de cette poussée des armées russes sur le territoire ukrainien sont et seront importantes. L’Union Europénne importe 40% de son gaz depuis la Russie. Si la France ne fait pas partie des pays les plus dépendants aux décisions du Kremlin à ce niveau, l’impact pourrait malgré tout être énorme. En Angleterre le prix du gaz a déjà fait un bond de 30%. Chez nous le bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement sur l’énergie jusqu’au 30 juin 2022 vise à différer les effets de la hausse des prix à après les élections présidentielles. Le secteur agricole, et tout particulièrement l’élevage qui consomme énormément de gaz, se prépare au choc, avec également la montée des prix du blé dont l’Ukraine est un des principaux producteurs mondiaux. Côté russe, la Bourse de Moscou était en chute de près de 14% jeudi 24.
Les différents intervenants se sont aussi insurgés devant la préfecture de Montpellier de l’entorse à l’auto-détermination du peuple ukrainien que représente l’invasion russe. Les russes ont l’ingérence facile ces dernières années dans les pays frontaliers de l’ancien bloc soviétique, comme en témoignent les interventions pour sauver la peau des oligarques Loukachenko en Biélorussie et TokaÏev et Nazarbaïev au Kazakhstan, confrontés à de puissants mouvements de contestation populaire.
Des ressortissants ukrainiens et russes se sont exprimés, pour signifier un fort sentiment d’appartenance commune entre les deux peuples, condamner les visées de Poutine. “Il ne s’arrêtera pas à l’Ukraine, demain ce sera la Pologne ou les pays Baltes.”, s’inquiète l’un d’eux au micro. Si le déclencheur de l’invasion est l’inquiétude russe face à l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’alliance militaire de l’OTAN, la propagande du régime justifie à l’interieur de ses frontières l’invasion par la nécessité de défendre les républiques de Lougansk et de Donetsk dans l’Est ukrainien, tout juste reconnues par le gouvernement Poutine. Et par celle de défendre l’importante minorité russe de persécutions fantasmées. Les pays baltes ont aussi d’importantes minorités russes, envoyées à l’époque soviétique pour soutenir le développement industriel, qui vivent à l’écart du “miracle” néo-libéral, bien souvent dans des conditions de précarité économique très marquées. Une attaque de la Pologne ou des pays Baltes, tous membres de l’OTAN, signifierait automatiquement par le jeu des alliances l’entrée en guerre de l’ensemble de pays européens et des Etats-Unis. Un sommet exceptionnel de l’OTAN à lieu ce vendredi 25 février, pour décider des mesures à mettre en oeuvre pour la protection des frontières orientales du territoire de l’alliance, alors que les états-unis ont déjà annoncé l’envoi de 7 000 militaires, et qu’Emmanuel Macron annonce accélérer l’envoi de troupes en Roumanie. L’Europe est sous tension.
La majorité des personnes présentes semblent se revendiquer d’un réflexe pacifiste, être hostiles à une intervention directe des pays occidentaux en Ukraine par crainte d’une escalade guerrière, et privilégier des sanctions économiques pour stopper Poutine. Reste qu’en discutant, on se rend vite compte que l’unanimité n’est pas là : certains se rangent résolument du côté de l’impérialisme européen et états-unien, avec les représentants du PS ou de EELV.
Les récents conflits n’ont pas provoqués de grands sursauts pacifistes en France comme le monde a pu en connaître en 2003, au début de l’invasion de l’Irak. Un mouvement d’ampleur pourra-t-il émerger malgré les divergences évoquées ? Si oui, saura-t-il ne pas se laisser instrumentaliser par les intérêts de l’impérialisme et de l’OTAN, en restant sur le terrain d’un refus populaire de s’impliquer dans des guerres qui concernent principalement les conflits d’intérêts entre les bourgeoisies du Vieux Continent ? Quoiqu’il en soit, le cartel d’organisations à l’origine du rassemblement de ce jeudi soir ne compte pas en rester là, et d’autres initiatives sont à venir dans les prochains jours.
“La guerre est un massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui toujours se connaissent, mais ne se massacrent pas.” Paul Valéry
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