Philippe Poutou à Montpellier tout feu tout film
Philippe Poutou est venu à Montpellier assurer la promotion du film Il nous reste la colère. Lequel relate, de manière passionnante, la lutte célèbre des ouvriers de Ford près de Bordeaux, dont il fut l’un des leaders. L’occasion d’examiner l’actualité du mouvement social. Sans complaisance.
Dans l’après-midi du vendredi 5 janvier, Philippe Poutou a d’abord tenu une conférence de presse dans les locaux du NPA à Montpellier. C’est du climat de guerre sociale menée par le gouvernement qu’il a beaucoup été question. Et, dans la bouche du porte-parole de cette organisation, de la nécessité de ne pas esquiver la confrontation avec le pouvoir, qui en découle pour les luttes actuelles et à venir. Sans complaisance, Poutou a relevé un climat de résignation. Et donc pointé l’obligation d’en passer par un bilan des défaites ou semi-défaites des grands mouvements sociaux des dernières années, pour en comprendre les faiblesses et les erreurs.
Les militants montpelliérains du NPA ont rapidement évoqué leur propre implication dans l’actualité sociale sur le terrain : la lutte de Sanofi, ou la mobilisation de la jeunesse dans la lutte antifasciste au sein du collectif du 22 mars avec la victoire que constituerait l’interdiction d’exercer pour Coronel à la faculté de droit.
Puis la mobilisation contre la casse des retraites a occupé l’essentiel du propos de Philippe Poutou : « C’est une bataille qui nous stimule, on perçoit une vraie envie de mobilisation ; on nous assure d’un front syndical uni comme jamais, mais pour l’instant très peu de perspectives données à la lutte ». Or cela fait des mois et des mois que le gouvernement a pris l’initiative et fourbit ses armes, tandis qu’en fait « les outils syndicaux sont d’une extrême faiblesse ». Comment « redonner confiance à la population » ?
Quelle que soit la faiblesse politique de la gauche, et des organisations, « l’histoire des mouvements sociaux ne cesse de nous montrer, toujours aujourd’hui, que les grandes luttes proviennent souvent d’étincelles, qu’on ne maîtrise pas ». Dernier exemple dans les luttes : les contrôleurs SNCF, qui ont débordé les syndicats, osé maintenir une grève à Noël, chose inédite, par quoi ils ont obtenu satisfaction.
Comment développer des outils au service de ces mouvements qui naissent un peu partout (car les luttes, même isolées, sont particulièrement nombreuses et combatives en ce moment ; cela tandis que les mouvements pour le climat, ou féministes, sont très actifs) ? Philippe Poutou pointe « la nécessité du débouché politique, dans une confrontation sociale pour balayer la domination, renverser l’actuelle répartition des richesses, imposer une nouvelle organisation de la société ».
Mais alors, comment s’y prendre pour gagner, ne pas répéter les scénarios voués à l’échec, les calendriers de journées d’action toujours les mêmes, qui émoussent la mobilisation, et gèrent le jeu des compromis du dialogue social, alors qu’on est en situation de guerre sociale ? « On peut ne pas être toujours perdants. On n’a pas besoin de trucs foireux. On a besoin d’une très forte implication des syndicats, des forces politiques, des associations ». Le NPA veut croire en la possibilité de se montrer « très unitaire, et à la fois très radical, très combatif ».
Tout cela pouvait laisser songeur, alors que cette formation aux effectifs modestes, vient de se couper en deux à l’issue de son dernier congrès. Soit la séparation, en veille depuis longtemps, entre une aile œuvrant à la création d’un parti révolutionnaire trotskiste, et une autre voulant un NPA plus large et ouvert, se rapprochant, par exemple, de camarades de la LFI ou de l’ UCL. A Montpellier et dans l’Hérault, c’est cette seconde option qui est très largement majoritaire, a-t-il été assuré, autour d’un Philippe Poutou porte-parole national.
En sortant de la conférence, on remarquait sur une affiche collector, dans le local, les propos de Daniel Bensaïd – théoricien et dirigeant historique de la Ligue Communiste Révolutionnaire et de la Quatrième internationale : « Bien sûr nous avons eu davantage de soirées défaites que de matins triomphants. Et à force de patience, nous avons gagné le droit précieux de recommencer…. » De quoi éclairer l’avenir au présent ?
En soirée, le tout public (une salle archi pleine, bon nombre de jeunes, quelques syndicalistes aussi) retrouvait Philippe Poutou au cinéma Utopia, qui programme le film Il nous reste la colère. Ce long-métrage y restera à l’affiche pour trois semaines. Il est passionnant. Au départ, ses jeunes auteurs, Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert, n’avaient d’autre motivation que d’observer de quoi est fait le militantisme syndical qui nourrissait les gros bataillons des manifs où ils allaient contre la loi El Khomri.
C’est pourquoi ils ont inséré leur caméra, pendant plus d’une année (deux cent cinquante heures de rush !) au sein de la section CGT, comptant Philippe Poutou dans ses rangs, qui animait la lutte des ouvriers de l’usine Ford de Blanquefort, en banlieue de Bordeaux. Ayant duré treize années, cette lutte est devenue célèbre, quand bien même elle n’a pas pu éviter la fermeture de leur usine (872 licenciements). « Mais le seul fait de résister, de lutter, empêche de conclure à une simple défaite ».
Le film révèle l’action syndicale au jour le jour. Il en devient captivant : une suite palpitante de péripéties, de rencontres, d’alliances, de trahisons, de réflexions, de joies, de déceptions, d’espoirs fous, de douches froides, d’analyses, d’actions, de rebondissements, d’ardeur, de désillusions. Cette formidable matière aura inspiré à Philippe Poutou et aux intervenants dans la salle un débat non moins captivant. Une fois de plus, il s’est agi d’examiner les difficultés, finalement les raisons de la défaite : « La brutalité du capitalisme ; la nullité des pouvoirs publics ; le climat de résignation, la peur de seulement s’affirmer ; l’usure, avec l’âge grandissant des ouvriers ; le peu de troupes pour avoir envie de lutter, même avec des militants syndicaux très dynamiques ; la tentation de certains de s’en tirer au mieux à titre seulement personnel ; les stratégies de division, de discrédit, d’isolement qui exploitent cela, côté patronal ; les structures syndicales très hiérarchisées, incapables d’agir efficacement au-dessus du niveau des unions locales ». Moment mémorable du film : l’apparition des Gilets jaunes qui, « en quelques jours d’apprentissage des luttes réussissent ce que les syndicats sont devenus complètement incapables de faire ».
Le tableau paraît ardu, voire bien sombre. Dans leurs nouveaux jobs, aucun des camarades de Philippe Poutou n’a repris une carte syndicale. Mais ça n’est pas assez pour que le syndicaliste porte-parole du NPA cesse de miser sur « un syndicalisme digne. Toute lutte spécifique a quelque chose de globalisant, rejoint un sens politique profond, pour réorganiser l’économie et la société, qu’il faut remettre sous le contrôle de la population et des producteurs ». Enfin, cette raison d’espérer : les multiples soutiens, même minimes (entre autres de la part d’artistes), qui signifient la portée générale que recèlent les luttes.
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