Logement : la résistance s’organise face à l’ahurissante loi Kasbarian
Première réunion à Montpellier contre une nouvelle loi en cours de discussion, entièrement au service des propriétaires, contre les locataires les plus en difficultés, et contre toute possibilité de squat
Il n’y avait pas la quantité. Mais il y avait la diversité. C’est à dire la qualité. Vingt-cinq personnes se sont réunies mercredi 8 février 2023 à Montpellier, pour envisager des actions possibles contre la loi Kasbarian. Laquelle est actuellement en cours de navette entre le sénat et l’assemblée nationale. Parmi ces personnes présentes, Bernard représente l’association CLCV (comme Consommation Logement Cadre de Vie). Il ne s’agit pas d’un groupuscule d’agitateurs professionnels : « En général, nous acceptons le jeu de la concertation avec les autorités. Mais sur ce projet de loi Kasbarian, nous l’avons refusé. Ce texte est intégralement à rejeter. On n’y trouve absolument rien qui puisse être discuté » s’énerve-t-il.
Autour de la table se retrouvent aussi d’autres personnes qui toutes ont à voir avec les questions du droit au logement pour les plus précaires. Cela va de la Cimade, le M.R.A.P. ou Welcome, concernés par l’accueil des réfugiés, à de jeunes figures de l’histoire passée actuelle ou à venir des squats à Montpellier, en passant par une attachée parlementaire de la députée LFI Nathalie Oziol, un professionnel de Médecins du monde, la Ligue des droits de l’Homme, ou Sébastien, fort de ses engagements au D.A.L. (Droit au logement). Lui avertit d’emblée : « L’histoire a montré qu’il ne faut surtout pas opposer les droits des “mauvais squatteurs” d’un côté et les droits des “gentils locataires en difficultés” de l’autre. C’est une division qui rend service aux intérêts d’en face. Et cette loi le démontre évidemment, en attaquant sur ces deux plans conjointement ». On sent bien son envie qu’à nouveau un comité du D.A.L. se recrée à Montpellier, pour activer les luttes sur ce front.
Également présent à la réunion, l’avocat Nicolas Gallon, spécialiste de ces dossiers, a exposé les nouveaux dispositifs en cours de discussion entre les parlementaires. « C’est un texte très bref, exclusivement tourné vers le durcissement répressif. C’est incroyable. Depuis la loi de 1989 sur le logement, c’est la première fois qu’est promu un texte de régression en matière de droits locatifs ». Bernard (CLCV) s’exclame à nouveau : « C’est ahurissant. On vote en accéléré, comme une pure urgence, une loi qui s’attaque aux plus pauvres ! Cela en plein contexte post-Covid, en pleine période de renchérissement de l’accès au logement, de raréfaction de la construction de logements sociaux, et en pleine flambée de l’inflation en général, mais des coûts de l’énergie et du chauffage en particulier ».
De son côté, l’homme de loi estime que « ce texte aurait pu être écrit directement par les associations de défense des intérêts des bailleurs ». Il se résume en deux obsessions : « faciliter les expulsions de locataires en défaut de paiement d’une part ; et aggraver les peines de quiconque entre dans des lieux sans autorisation d’autre part ». Côté locataires, très peu de dispositions en définitive, « mais très choquantes puisqu’elles criminalisent la pauvreté ».
Cela en prévoyant des amendes délirantes, jusqu’à 7 500 euros (!) et même de la prison (ce que le sénat a provisoirement suspendu), en cas de maintien dans les lieux après un ordre d’expulsion. Le délai entre commandement à payer des loyers en retard et l’émission de l’ordre d’expulsion est réduit de huit à six semaines. Et celui entre l’assignation et le passage en justice de trois mois à deux mois. Enfin, les juges ne pourront plus accorder de délai que de moins d’un an pour apurer une dette, quand ils pouvaient aller jusqu’à trois ans avant cette loi.
Pour les squats, la distinction tombe entre des locaux d’habitation effectivement habités, et n’importe quel local d’habitation, même vide, même de longue date. Et on y rajoute les locaux professionnels (même vides, même de longue date). Le préfet est tenu de faire exécuter l’expulsion dans un délai de vingt-quatre après le signalement par le propriétaire. Cela supprime toute la démarche judiciaire qui précédemment permettait de négocier des délais grâce auxquels les squatteurs disposaient d’un sursis pour rester à l’abri et stabiliser leur démarche. Le traitement des affaires devient donc purement administratif, automatique, sans nécessité aucune d’une décision de justice, et dans un délai imparable (ici 24 heures, pendant qu’un référé-liberté, susceptible de le contrer, demande déjà au moins 48 heures pour son audiencement). Et les sanctions sont multipliées par trois (45 000 euros d’amende et trois ans d’incarcération contre 15 000 euros et un an jusque là).
Enfin, un flou est créé autour de la notion d’entrée sans autorisation dans un lieu à caractère professionnel (même vacant), laissant craindre tous les détournements du texte à but exclusif de répression de certaines actions militantes concrétisées par une introduction, même temporaire et symbolique, dans des lieux. Si on doutait qu’on a ici affaire à une politique de classe totalement débridée, même le volet idéologique a été prévu : 3750 euros d’amende frappera l’auteur.ice de propagande ou de conseils en faveur des squats.
Une initiative publique sera organisée dans les semaines qui viennent pour tenter d’alerter l’opinion, déjà noyée sous l’avalanche des textes anti-populaires (loi retraite, droit des migrants, etc) au point que la résistance militante peine à remonter ses curseurs au niveau requis. Dans l’immédiat, ce sont les parlementaires qui vont être alertés, avec demandes d’entrevue (à l’exception de ceux du RN). Les organisations de terrain espèrent parvenir à exprimer qu’une telle loi se traduirait par des conséquences néfastes extrêmement concrètes. On se souvient que ce sont ces organismes, essentiellement pris en charge par des bénévoles, qui ont dû faire face à toutes les urgences de la rue au moment des confinements. Pour une fois, les autorités leur avait accordé du crédit, quand elles sont elles-mêmes inaptes à assurer les nécessités de la population.
Il a été rappelé que l’agglomération de Montpellier compte 30.000 logements vacants, quand on estime à 4000 les personnes en grave difficulté de logement, dont un millier simplement abandonnées à leur sort dans la rue (à ramener aux 600.000 habitants d’une métropole où prospèrent par ailleurs les bétonneurs de la promotion immobilière).
Alors qu’on ne parlait que d’audience chez les parlementaires, deux personnes présentes ont détonné ce mercredi : l’une s’est déclarée elle-même présentement sans toit et sans papiers (pour cause de Brexit), en déplorant donc le caractère trop “officiel” à ses yeux, des autres personnes présentes autour de la table. Apparemment bien informé, ce même intervenant a insisté pour que soit jouée la carte des occupations en mode intercalaire, de concert avec les élus (soit une occupation temporaire accordée dans des locaux vacants, le temps qu’y démarrent des chantiers pour leur reconversion ultérieure). Enfin, une simple citoyenne est venue dire sa colère et son désarroi après qu’une famille voisine, monoparentale avec quatre enfants, se soit vue signifier sa mise à la rue à la fin du mois. Comme s’il fallait concrétiser, justement, l’urgence des problèmes dont on traitait.
Toutes celles et ceux qui veulent rejoindre le collectif d’action contre la loi Kasbarian peuvent prendre contact avec le 06 25 36 99 35.
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