Précarité alimentaire : pour manger, ils font les “chourses”
Paul et Marie sont étudiant·es. N’ayant pas le temps de travailler en plus de leurs études, ils sont contraints, surtout face à l’inflation, de voler dans les grandes surfaces pour s’en sortir. Pour Damien, le vol est carrément devenu un art de vivre et une action politique quotidienne
Article initialement paru dans le numéro papier numéro 39 du Poing, “Précarité alimentaire, du blé pour manger”, toujours disponible sur notre boutique en ligne.
Selon le syndicat étudiant l’Unef, 56 % des étudiant·es ne mangent pas à leur faim. Si certain·es font la queue dans des files d’attentes pour recevoir une aide alimentaire, d’autres ont opté pour une solution plus radicale. Paul (tous les prénoms sont modifiés), 24 ans, étudiant en pharmacie, explique : « Je choisis les heures de pointe,,je m’habille très bien, et j’utilise un sac à double-fond. J’arrive à la caisse automatique et je ne scanne qu’un article, le reste est caché » Il s’est déjà fait prendre. « J’ai payé, concède-t-il simplement. Par peur que ça aille plus loin. » Marie, 25 ans, étudiante en sociologie, ne s’est quant à elle jamais faite attraper. « J’ai conscience d’être une privilégiée, je suis une meuf blanche, donc moins soupçonnable… »
Un geste économique et politique
S’ils volent depuis des années, ils assurent le faire plus depuis l’inflation. « Avant, je volais 20 % de mes courses, maintenant c’est plus autour de 60 % », confie Marie.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les vols dans les supermarchés et les petits commerces ont augmenté de 14 % en 2022. Des antivols ont fait d’ailleurs leur apparition sur la viande et le poisson. Au delà de la nécessité, ils voient cela comme un geste politique, comme l’explique Paul : « Oui, c’est de la survie. Mais d’un autre côté, ça ne me dérange pas de voler les capitalistes qui se font du fric sur notre dos. C’est une forme de résistance individuelle, je ne serai pas contre des actions de réquisitions collectives, mais je ne peux pas attendre qu’elles se mettent en place. »
Même son de cloche chez Marie. « Je considère que ce que je vole devrait être accessible à tout le monde. J’en ai marre de manger des pâtes tous les jours, alors je prends dans les enseignes bio pour bien manger. Quand je sors du magasin, j’ai un sentiment de vengeance qui me fait plaisir. »
Des petites victoires concrètes et immédiates
De son côté, Damien a fait du vol un art de vivre. « J’ai commencé à voler en CE1 avec une copine. Au début je faisais des cauchemars tellement je me disais que c’était mal, mais c’est vite passé… Je ne sais plus faire les courses sans voler. Si je repars d’un magasin sans rien, c’est l’échec. » Il estime voler au grand minimum l’équivalent de trente euros par semaine, soit l’équivalent d’un treizième mois par an.
Il revendique tout. « Bien sûr que je kiffe. On se fait dépouiller tous les jours par les magasins, alors c’est normal qu’on les dépouille en retour. » Et quitte à voler,autant se faire plaisir. « Je prends du fromage à la découpe, des bonnes pièces de viande, tout ce qui est cher et bon d’une manière générale. » Sa technique ? Voler souvent, mais peu. « La règle implicite chez pas mal de supermarchés, c’est qu’en-dessous de cent euros de vol, tu payes et tu échappes aux flics. Mais on vient de me dire que ce seuil aurait été abaissé à quarante euros ! »
Il s’est déjà fait attraper mais n’a pas l’air traumatisé. « Une fois, un vigile m’a chopé avec un chargeur, alors je l’ai payé. Mais je suis bien reparti avec un kilo de foie gras par contre… » C’est un professionnel, qui se tient informé des nouvelles techniques grâce à de la documentation spécialisée sur Internet, que nous ne relayerons pas ici pour ne pas inciter à commettre un délit. « Les vigiles sont là pour faire monter la pression, mais toi, tu ne dois pas rentrer dans leur jeu. Quand je rentre dans un magasin, je repère tout de suite les caméras, les rondes des vigiles et j’évalue si je peux appliquer mon protocole. » Une règle implicite fait cependant consensus chez tous nos interlocuteurs et interlocutrices : ne pas voler les petits commerçants.
Trois ans de prison et 45 000 euros d’amende
Par obligation légale, Le Poing se doit d’écrire que voler les enseignes de multinationales qui exploitent leurs salarié·es et profitent des guerres pour faire monter les prix, c’est vraiment très mal. D’ailleurs, un vol simple est puni de 45 000 € d’amende et de trois ans de prison (article 311-3 du Code pénal).
Elian Barascud et Jules Panetier
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