Municipales 2026 à l’horizon : l’inquiétant Michaël Delafosse

Le Poing Publié le 10 octobre 2024 à 19:29 (mis à jour le 11 octobre 2024 à 14:07)
Avant son discours, Michaël Delafosse est heureux de dédicacer pour ses admirateurs, l'ouvrage rédigé par un journaliste du Figaro, pour tailler sa statue de maire de gauche préféré de la droite. (Photo : Le Poing)

Le maire de Montpellier a organisé ce mercredi 9 octobre une grande réunion publique de ses soutiens. Chacun.e pense aux prochaines élections municipales. Se prétendant grand pacificateur, le candidat à sa réélection ressasse ses obsessions sécuritaires et dérape dans une chasse aux sorcières contre des Insoumis pseudo-islamisants

Entre sept et huit cents personnes (au jugé), se sont rassemblées mercredi 9 octobre en début de soirée dans le Parc Rimbaud, quartier des Aubes à Montpellier, face au siège de la Fédération héraultaise du Parti socialiste. Ielles répondaient à l’appel de Michaël Delafosse, maire de la ville, pour ce qu’il annonçait comme « un grand moment politique et convivial ». Si la formule sonne un peu creux, elle n’est quand même pas vide de sens : la notion de “convivialité”, un parfum de bonne humeur tranquille et partagée, semblent faire écho à « la gouvernance apaisée », dont le Premier magistrat s’est présenté en champion, tout au long de cette soirée.

Ce serait en faisant la paix avec tout le monde (c’est-à-dire tous les tenants de divers pouvoirs, mais pas toutes les populations, on va le voir), que Michaël Delafosse tiendrait la clé des succès innombrables et admirables qui seraient les siens. Restons encore un instant sur ces questions d’ambiance. Comme râleur au Poing, on aura remarqué qu’il était bien difficile de trouver un verre de vin à boire ce soir-là. Décidément, le socialisme languedocien a changé depuis les grandes époques d’il y a cinquante ans, peuplées des héros de la gauche viticole. Tout glisse dans l’air du temps. On en est aux food trucks. Donc à la bière. Juste un signe. Parmi d’autres.

A part quoi, on était entre gens de bonne compagnie. Une part non négligeable des effectifs sont fournis par les membres de staffs de cabinet (au look trench Hugo Boss reconnaissable entre tous, et autres mises féminines toujours très sourcilleuses), employé.es des organismes satellites, et autres figures clientélo-dépendantes (notamment dans les rangs de la culture, qui savent ce que subvention veut dire).

Reste un nombre considérable aussi, de militant.es, de sympathisant.es, qui font un monde entre deux âges, voire un peu plus, qui a pu compter sur des fronts de la vie sociale et politique, souvent nostalgiques d’une épopée frêchienne – Georges Frêche fut le maire tonitruant de Montpellier, puis président de région, de 1977 à 2010 . Un souvenir qui ne laisse aujourd’hui que le stade décadent de ses héritages résiduels. Ce petit monde est celui de couches moyennes – même si on y aperçoit telle ou telle figure bourgeoise du Cercle Mozart – social-démocrates en toute sincérité pourquoi pas, demeurant protégées des grandes duretés du système. Pas les populations “des quartiers”, dirons-nous.

Tous les observateurs pressentaient cet événement comme un geste avant-coureur, dans la perspective des élections municipales de 2026. C’est entouré de plusieurs conseillers municipaux de sa majorité, que Michaël Delafosse a pris, seul, la parole. Pendant une cinquantaine de minutes, il a axé son discours presque exclusivement sur le bilan. Tout cela prononcé sans notes. A l’analyse, cela présente l’avantage qu’il s’exprime “en vrai”, hors filtre calibré des cabinets. A cette aune, il faut se souvenir que ce dont on omet de parler en dit autant, sinon plus, que ce dont on parle. On va y revenir.

Côté bilan, donc, l’insistance est mise avant tout sur le fait que les promesses ont été tenues. Le fleuron en la matière étant la gratuité des transports. Le maire égrène toute une série d’autres réalisations. Mais comme, au Poing, on reste très politique, on a écouté tout cela comme l’action d’un maire qui fait le taff, certes, ainsi que la quasi-totalité des maires font le taff, tout en ne discernant pas bien ce qui se dégagerait comme étant proprement de gauche, dans cette perspective. La gratuité des transports ? Mais toute une gauche aurait préféré la tarification préférentielle au profit des plus démunis. La future mutuelle communale ? Oui sans doute. La grande rénovation urbaine de La Paillade ? Elle est considérable, mais était inévitable ; elle émane des grandes politiques nationales, sans distinction de bords.

A part quoi, l’autre grand point traité en détail, chiffres à l’appui, et quasiment en tête d’inventaire, par le maire, fut sa politique sécuritaire, avec plus de police partout. A ce propos, c’est avec humour qu’il veut s’en sortir, pour remarquer combien cette politique lui a valu d’articles élogieux dans Le Figaro. On peut être professeur d’histoire, et s’arranger avec la vérité, en omettant de préciser que c’est Valeurs Actuelles, hebdo de l’extrême-droite Bolloré, qui a le premier salué brillamment l’avènement du « maire atypique de Montpellier ». C’est grave par les temps qui courent. Tout le monde n’a pas envie de se satisfaire de la pirouette d’un trait d’humour à ce propos.

Puis en écho de la « gouvernance apaisée », de la « convivialité » et tout le tsouin-tsouin, la figure centrale exposée dans ce discours delafossien est celle de la petite vieille heureuse de se poser sur le nouveau banc de l’Esplanade aujourd’hui apaisée, pour s’émerveiller du spectacle des enfants en train de jouer. Certes il y a un mieux, par rapport à l’époque où on arrachait les bancs, sinon les enlaidissait, pour être sûr que les SDF n’en profitent pas. Mais bon, entre les petits vieux et les cyclistes ravis de promener leurs enfants en vélo-cargo, il faudrait remarquer aussi les livreurs Uber, tenus de foncer pour s’assurer une pitance d’esclaves contemporains. Cet autre monde, dans la même ville.

Il peut y avoir des Montpelliérains déjà un peu âgés parmi les journalistes du Poing. Et d’aucun finir par en vouloir à l’actuel maire de Montpellier, d’être capable d’éveiller une nostalgie de Georges Frêche. En son temps, il y eut tout lieu de dénoncer cet autocrate populiste, cynique et violent, conformant sa ville aux exigences des mutations capitalistes. Mais au moins provoquait-il la sensation de donner, qu’on soit pour, qu’on soit contre, un grand cap, aux allures (même illusoires…) d’aventure collective. Autre chose que l’égrenage lénifiant d’aujoud’hui.

Du reste, on est venu au Parc Rimbaud, en quête de projection dans l’horizon 2026. Michaël Delafosse n’a strictement rien annoncé sur ce plan. Alors sur quoi a-t-il conclu ? Au final, dans son plus long développement, le plus fervent – et de manière inquiétante, le seul véritablement acclamé – il a repris ses incantations pour « les valeurs républicaines de la laïcité et de l’universalisme », face à ceux qui « en attisant les tensions, portent une lourde responsabilité », tandis que menacent « des forces obscurantistes », et autres risques de fanatisation.

Et si le maire candidat trouve un peu de flamme, c’est pour assurer : « Je ne cèderai rien, jamais, sur ces questions-là ». Partant sur ces bases, les municipales 2026 risquent d’être gravement délétères. Parmi les questions par ailleurs gravissimes qui ne viennent même pas à l’esprit, en tout cas pas à la bouche, de Michaël Delafosse, il y a par exemple l’écologie ; un mot qu’il n’aura prononcé en revanche qu’une seule fois.

Si apaisant qu’il se proclame, le leader social-démocrate se révèle bien fiévreux. Soudain il souligne cette rocambolesque affaire des tracts le dénonçant à la porte des mosquées, des menées obscures sur la boucle WhatsApp Oumma, et des arrangements en sous-main avec L.F.I… On frise la paranoïa complotiste, dans un article de L’Opinion, autre publication très a droite et très soucieuse du sort du maire de Montpellier.

Lequel en a été bouleversé, jure-t-il. Il s’est retrouvé « stigmatisé », sous forme calomnieuse juge-t-il, puisque soupçonné « d’intolérance sur les questions religieuses ». Peut-être serait-il temps de s’interroger sur ce qui arrive, à force de manipuler le magnifique principe de laïcité, et la travestir en arme d’affrontement civil : en outil permettant de trier les bons Français et les moins bons.

Les résultats des dernières consultations électorales dans les quartiers populaires – et non musulmans, faut-il le préciser ? – de Montpellier ont tout pour inquiéter Michaël Delafosse. Jamais en reste des lumières de la gauche-cassoulet, La Gazette les a qualifiés de “staliniens” en faveur de L.F.L.. Un mépris qui en dit long, puisqu’ainsi tous les votes ne se vaudraient pas ; en tout cas pas ceux d’une populasse fanatisée, qui n’habite pas en centre-ville.

Or, tandis que le pays glisse massivement vers le vote à l’extrême-droite, que la social-démocratie gestionnaire macro-compatible se révèle n’être que son marchepied, peut-être se trouve-t-il qu’un électorat populaire n’en puisse plus de la misère, de la relégation, de l’effritement des services publics dus à tous, de la précarisation des statuts, la perte des droits, l’absence de perspectives, le mépris culturel, et préfère, peut-être illusoirement par ailleurs, un vote de tournant à gauche. Ça c’est le taff politique.

Difficile d’être un homme politique responsable en 2024, sans du tout parler du Proche-Orient. Là encore, on découvre Michaël Delafosse se posant soudain en victime, injustement attaqué assure-t-il, puisqu’il défendrait vaillamment la solution à deux États. Or, ce que tout le monde perçoit est son soutien absolu et inconditionnel à la politique du gouvernement d’extrême-droite de Benjamin Netanyahou, dont le projet colonisateur n’a jamais avancé d’un millimètre vers une solution à deux États.

Alors oui, il y a de grands courants de sensibilité dans l’opinion montpelliéraine, sans rien de musulman ou d’anti-laïc (et autres manipulations hors de propos) pour considérer que devant un génocide en cours, la position du maire de Montpellier, à qui on ne demande pas d’être pro-palestinien, est, aveuglément, dangereusement partisane et déséquilibrée. Dans le hall de l’Hôtel de Ville, la “maison de tous”, un grand panneau a été dressé, pour dire que Montpellier exige la libération des otages israéliens. Oui. Absolument. Tout le monde veut le retour de tout otage à la maison. Mais est-il impossible de rajouter, dans la même phrase, que Montpellier exige un cessez-le-feu ; cela à l’instar de la plupart de toutes les instances régissant la vie internationale ? Mais voilà qui dépasse les capacités pacificatrices de la gouvernance montpelliéraine.

Grand inspirateur de la gouvernance prétendument apaisée, capable de s’entendre avec le maire de Sète et de Nîmes, et s’arranger avec Delga et Mesquida, invitant à des moments de convivialité, pensant tout à la taille des petites vieilles de l’Esplanade, Michaël Delafosse n’est en rien un artisan de paix, quand il en vient aux questions qui comptent.

Pas mal de Montpelliérain.es aiment leur ville, aussi pour sa belle capacité à rester largement imperméable à l’extrême-droitisation de leur région et du pays. Mais s’ielles se rendent à un meeting de Michaël Delafosse, ielles pourront avoir l’impression qu’à l’intention d’une partie de la population, stable et intégrée, blanche comme par hasard, on agite la hantise d’une autre partie de la population, classe – voire communauté – dangereuse, occupée à des menées obscures ; allogène comme par hasard. Mais qu’heureusement un sauveur se présente pour les en protéger. C’est le seul moment qui soulève la ferveur de ses soutiens. Précisons toutefois que Michaël Delafosse ne recourt pas à ces critères raciaux.

Est-ce vraiment sur de telles questions qu’il faudrait conclure, en guise de perspective d’avenir ? On se retrouve sur le flanc gauche du ressassement des thématiques qui, à l’extrême opposé, permet aux pires idées de prospérer (notamment dans ces médias Bolloré, à qui le maire de Montpellier n’inspire qu’opinions positives). Comment un professeur d’histoire, censé se nourrir intellectuellement à gauche, peut-il jouer sur une telle gamme d’émotions ? Qui donc est pris en flagrant délit d’attiser les tensions ?

Le souffle ainsi donné à l’horizon 2026 paraît bien inquiétant.

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