À Montpellier, la justice au service des enjeux politiques ?
Mercredi, comme chaque semaine, avaient lieu les audiences de comparution immédiate (CP) du tribunal judiciaire de Montpellier. En France, en 2024, le ministère de la justice relève 60 348 procédures de comparutions immédiates (49 220 en 2016), un type de justice particulièrement rapide, voire expéditif, et de plus en plus commun. Pourquoi ? Des raisons politiques avant tout.
Gérald Darmanin, nouveau garde des sceaux, qui déclarait il y a quelques jours dans le cadre de la mort du jeune Elias vouloir « apporter une réponse pénale rapide et ferme », s’inscrit dans un discours de politique plus global, qui veut accélérer la réponse judiciaire, et qui le fait savoir à chaque nouveau drame. La comparution immédiate est parfaite pour cela. Tout va vite.Très vite.
La section Française de l’Observatoire des prisons nous précise à ce propos : « 29 % des personnes sont jugées le jour de la fin de la garde à vue, au total 70 % des affaires sont jugées dans un délai inférieur à 4 jours », pour un temps d’audience de 29 minutes en moyenne. Et cette justice est-elle ferme comme c‘est le souhait d’une partie de la caste politique ? En CP, plutôt. Elle « multiplie par 8,4 la probabilité d’un emprisonnement ferme », indique l’Observatoire.
Et de quels délits parle t-on : il s’agit nécessairement de délits punis d’au moins 2 ans de prison ou de flagrants délits punis d’au moins 6 mois d’emprisonnement, ne requérant pas d’enquête approfondies.
Au regard de ces éléments, avec la comparution immédiate, as-t’on les instruments d’une justice efficace ou à l’inverse bâclée ? La réponse est entre les deux.
A Montpellier, ce mercredi après-midi, au programme de la salle 7 : une affaire de trafic de stupéfiants, plusieurs affaires de violences.
Les 29 minutes en moyenne, on y est, mais parce que certaines affaires durent 15 minutes, d’autres 45 minutes voire1 heure, c’est assez inégal.
Certains prévenus ont à peine rencontré leur avocat, souvent, presque toujours, commis d’office, et préparent encore leur défense dans les couloirs du tribunal, à quelques minutes de leur comparution. Même la présidente du tribunal et ses assesseurs découvrent certains éléments au fil de l’eau. Parfois, ils s’emmêlent sur les dates, qui ne correspondent pas toujours au déroulé exact. Car la police aussi doit faire vite…
Le plus flagrant, c’est la fracture sociale. Les droits des prévenus, exclusivement des hommes ce jour-là, mais surtout l’annonce des condamnations, sont expliqués dans un jargon juridique qu’ils ne comprennent pas. C’est le moment le plus important et c’est finalement celui où ils ne pourront pas poser de question au tribunal. Il faudra attendre les explications de leur avocat. Pourtant, et c’est une autre réalité des comparutions immédiates, la plupart ont déjà fait face à la justice au moins une première fois (entre 63% et 72% des prévenus d’après l’Observatoire).
L’audience la plus rapide, c’est celle d’un homme âgé d’une cinquantaine d’années. En 2020, il avait déjà commis des destructions avec dégradation, et a aussi reçu une condamnation aux assises, sans plus de détail. Aujourd’hui, il comparait pour des faits de violences avec circonstances aggravantes sur sa mère de 82 ans, chez qui il réside. Au vue de son état d’agitation, de sa véhémence , le procureur a requis un report d’audience et une expertise psychiatrique, sachant que l’homme avait effectué un séjour à l’Hôpital La Colombière en 2020. Au terme d’une double délibération, l’homme rejoint un second prévenu dans le box dédié. On n’a décidément pas le temps de les recevoir un par un…
Le verdict du cinquantenaire tombe : l’homme passera donc un peu moins de deux mois en détention provisoire, en attendant son audience le 19 mars, avec expertise psychiatrique entre-temps. Et c’est peut-être là-aussi qu’il y aurait urgence à agir. Au-delà de déterminer sa responsabilité pénale, le système judiciaire est ainsi fait qu’avant d’avoir la certitude que l’état de l’homme est compatible avec une détention, on le place en détention provisoire.Absence de structure adaptée, de moyens ? Probablement…
Ce qui est plus frappant dans le fonctionnement de ce système, c’est, semble t-il, la nécessité de faire coïncider le traitement judiciaire avec l’actualité.
Au cours d’une autre audience, trois jeunes hommes de 18 ans sont présentés simultanément devant la juge, pour des faits commis ensemble. Ils font l’objet de cinq chefs d’accusation identiques : acquisition, détention et cession de stupéfiants, avec récidive pour deux d’entre eux, participation à une association de malfaiteurs, ainsi que détention d’arme.
En fait, les trois jeunes hommes, originaires de Clermont-Ferrand et Lyon, se sont rendus sur l’île de Thau (Sète) une semaine, mi-janvier pour faire les « chouf », les guetteurs, « pour 80€ par jour », explique le premier prévenu. « Est-ce que ça valait le coup ? », s’interroge la présidente du tribunal. Les trois sont connus du juge des enfants, pour des délits liés aux stupéfiants, à la conduite sans permis, au refus d’obtempérer. Ils ont aussi en commun, comme beaucoup de prévenus, une situation précaire : ni en emploi ni en formation, avec un suivi à la mission locale pas vraiment respecté.
Dans sa présentation des éléments de personnalité, et c’est le cas pour chaque prévenu, la juge précise les consommations de substances de chacun. « M.Mada*, vous fumez 1 à 2 joints par jour », « M.Raal*, vous consommez 2 paquets de cigarettes par jour ». Des éléments d’appréciation dont on ne connaît pas l’impact exact mais révélateur d’une réalité sociologique. L’Observatoire des prisons le rappelle ainsi « la majorité rencontre des problèmes de santé (dépendance, troubles psychiatriques) ».
Pour les trois jeunes hommes, le procureur a d’abord rappelé les enjeux nationaux liés au trafic de drogue, notamment sur l’île de Thau, citant le procès aux assises lié à la mort de Ayoub Anjjar. Il a parlé d’exemple. Mais ici, doit-on faire des exemples ou juger individuellement trois jeunes hommes ? C’est dans ce sens que l’avocat de M.Aouf* a demandé rhétoriquement « pourquoi ne pas ouvrir une information judiciaire et saisir un juge d’instruction si l’affaire est d’une telle importance ? ». Pour chacun, le procureur a requis deux ans d’emprisonnement, avec révocation du sursis probatoire pour les concernés, et pour tous, interdiction de séjourner dans l’Hérault ou de détenir une arme pendant 5 ans. Ce sera bien la condamnation finale des trois hommes, avec mandat de dépôt immédiat et une peine augmentée à 18 mois (avec sursis révoqué) pour deux des prévenus. Les avocats avaient demandés des mesures éducatives, mais ce n’est pas ce qui sera retenu. En un claquement de menottes, les prévenus sont escortés hors du tribunal.
Affaire suivante. C’est un homme de 25 ans, originaire de Marsillargues. Il est accusé de violences sur sa femme enceinte : coups de pieds, morsures etc. Le médecin légiste a observé des ecchymoses notamment sur les bras et au niveau de la clavicule. Le jeune homme justifie ses actions par « un coup de nerf », alors que sa femme l’avait comparé à son ex.
Comme la plupart des prévenus, il a une situation précaire : sans emploi, sans logement propre, avec des problèmes d’addiction (alcool, cannabis) et un casier judiciaire. Là, le procureur a évoqué le grenelle des violences faites aux femmes et le nombre de féminicides depuis le début de l’année, déjà 9 en deux mois. Dans cette affaire, le procureur a requis 12 mois d’emprisonnement avec révocation du sursis probatoire, interdiction de se rendre à Lunel ou Marsillargues pendant 5 ans, et bracelet anti-rapprochement pour le tenir éloigné de sa future ex-compagne.
Son avocat a plaidé un schéma familial compliqué, avec une mise à la porte à 18 ans, sans ressource, et un refuge dans la délinquance. On ne saura jamais le poids de ces arguments, en tout cas M.Cude* a finalement écopé de 6 mois d’emprisonnement avec mandat d’arrêt, les mesures d’éloignement demandées, ainsi que 1000€ de dommages-intérêts pour le préjudice moral.
C’est deux voire trois fois moins de temps que les trois jeunes condamnés, « petites mains » d’un grand trafic, pour reprendre les expressions d’un des avocats de la défense. Cela rappelle cette distinction, fondamentale, entre justice et morale, et questionne sur la notion de priorités judiciaires.
*Noms modifiés
Manon Pichon
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