Manifestation à Montpellier : « Assassin de la culture, rends la moula ! »

Le Poing Publié le 15 février 2025 à 19:58 (mis à jour le 16 février 2025 à 22:06)
Environ 500 personnes ont manifesté à Montpellier ce samedi 15 février pour dénoncer les coupes budgétaires dans la Culture. ("Le Poing")

Ce samedi à Montpellier, une manifestation pleine de tonus et de diversité a dénoncé les mesures ultra violentes imposées au domaine de la culture par le président (PS) du département de l’Hérault. L’effet de sidération est désormais dépassé

Comment décrire Constant Kaïmakis ? Il n’est plus jeune du tout. Il a toutefois gardé un tonus de baryton, capable de haranguer les foules sans micro. C’est une figure totémique du monde de la culture dans le département de l’Hérault. Egalement un syndicaliste batteur de pavés pour Solidaires. Il fit partie des équipes pionnières de l’Office départemental de la culture, dans les années 80. C’était un temps où un gouvernement socialiste semblait synonyme de volontarisme culturel. Un ministre bouillonnant et populaire, Jack Lang, pouvait se déplacer jusqu’à Octon, au bord du Salagou, pour honorer les projets culturels des acteurs et élus du territoire.

Tout cela tourne au champ de ruines. Le président de ce même département, toujours porteur d’une étiquette PS, gérant une déroute financière généralisée, décide, dans un coin de tableau Excel, la suppression de 100 % des budgets alloués à la culture (hors compétences obligatoires et organismes où il est directement engagé par convention, avec la métropole de Montpellier par exemple). Sur cette prise de décision, il ne s’exprime que par communiqués de presse, sans même les semblants d’une apparence de concertation, voire seulement de courtoisie, en discutant avec les acteurs de ce domaine.

On ne peut que citer l’humour grinçant de Frédéric Michelet, une grande figure locale du théâtre de rue, quand il interpelle : « Mais vous ne pouvez pas réduire la culture à zéro pour cent ! Sinon qu’est-ce qu’il va rester comme décision à prendre au Rassemblement national, quand il vous aura remplacé ? ». L’effet de sidération a d’abord été total. Il n’y a pas une collectivité de droite ou d’extrême-droite dans ce pays pour avoir manifesté une telle brutalité de méthode, ni une telle radicalité dans la liquidation de cette exception républicaine française, qu’est le service public de la culture, cherchant à favoriser la création artistique et son accès au plus grand nombre. Cela depuis Malraux, ministre gaulliste assumant les idéaux du Conseil national de la Résistance (on n’en était pas arrivé à Rachida Dati).

Retour à notre Constant Kaïmakis. Sur toutes ces questions, notre homme concluait un précédent rassemblement, encore assez morose, mercredi dernier sur le parvis de l’Opéra-Comédie, en mettant la foule au défi : « Chacun de nous ici doit ramener au moins trois personnes de plus pour la prochaine manifestation, samedi ». Message reçu cinq sur cinq. Multiplication des effectifs par quatre, entre six et sept cents personnes, au point de rendez-vous, boulevard Louis-Blanc, au pied de l’Agora de la Danse. Ou plutôt de ses grilles, toujours aussi sinistres ; toujours immuablement fermées.

« Tous les lieux intermédiaires qui permettent de travailler, le Théâtre du Hangar, le Théâtre d’O, deviennent inaccessibles. On nous propose d’énormes pôles, comme ici devant nous. Et pendant ce temps, la formidable génération des jeunes de l’après-Covid, qui sortent des écoles avec la pêche, bourrés d’idées et d’envies, sont laissés à l’arrêt, dans le désespoir face au climat, aux guerres, à l’extrême-droite triomphante. La liberté qu’offrent nos métiers est indispensable. A ces jeunes, ouvrons les portes. C’est pour cela que je me bats ! » : ainsi s’excalame Claire Engel, qui est par ailleurs responsable du syndicat des compagnies indépendantes.

On n’égrainera pas ici la liste des revendications, qu coulent de source. On préférera retenir plein d’étincelles de signes, qui ont émaillé cette manifestation. Froid piquant, mais soleil respendissant. Musique partout, morosité nulle part. Manif d’artistes, pour beaucoup, tout de même : la trille entêtante du hautbois languedocien, son répertoire festif occitan, impec par saison de carnaval. Mais encore la sourde frappe impactante de la batucada, qui s’y marie très bien, et emporte en vrai parcours (Albert 1er, , Peyrou, Jeu de Paume, Gare, Comédie).

L’idée insolente de la foule qui reprend en rythme calqué sur les percus : « Assassin de la culture, rends la moula ! ». Plus tard, le peu attendu : « Siami tutti antifascisti ». Car enfin, ceux de cet autre bord ont tant dit : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ». Manif très politique donc, et pas seulement par la présence d’écharpes tricolores (élus Verts, ou LFI). Manif surtout très diverse, où l’un des plus brillants instrumentistes de l’Orchestre de Montpellier côtoie les nombreux précaires survivant en intermittence, et les jeunes et les anciens, les agents d’organismes dédiés, les écoles, la musique et le théâtre – la danse lamentablement absente pour l’essentiel.

Diversité des discours. Un Gilet jaune en appelle à ranimer l’ardeur de « rejoindre tous ceux qui souffrent des ravages du capitalisme ». La foule entonne : « On est là, on est là, même si Kleber ne veut pas, nous on est là » (le président du département de l’Hérault s’appelle Kléber Mesquida, auquel seuls ses actuels méfaits auront permis de conquérir une – triste – notoriété médiatique nationale). Le représentant CGT élargit l’analyse, appelle sa confédération « à ne surtout pas s’enferrer dans l’esprit de conclave » (en référence à la méthode Bayrou), puisque l’option de « la stabilité par le budget », se traduit en fait par « un budget de chaos ». De destructions.

Sursaut il vient d’y avoir. Perspectives il y faut, pour consolider. Les actions de terrain vont se poursuivre dès la semaine qui vient. Elles « seront connues par les canaux habituels », indique l’une des animatrices du mouvement. Au passage sous l’arche Giral du Peyrou, les manifestants sont salués par une haie d’honneur d’étudiants, grande banderole déployée, pour inviter à leur propre assemblée générale de mobilisation jeudi qui vient à Paul-Va. Désir de convergence dans l’air, pour d’autres printemps.

Et c’est d’ailleurs à Michèle, étudiante, que revient d’avoir su prononcer un discours travaillé, émouvant autant que percutant, à hauteur des exigences extrêmes de la période. Citation de Paul Valéry pour commencer : « Tout peuple qui s’endort en liberté se réveillera en servitude ». Poursuivant : « Nous pouvons encore déchirer l’obscurantisme qui menace. Il nous reste le droit de nous rassembler, de créer, d’affirmer notre humanité. La démocratie ne meurt que si on la laisse mourir ». Plus ce tacle d’humour : « Comment notre président qui a épousé sa professeure de théâtre pourrait laisser mourir l’art qui lui a permis d’être initié en amour ? »

Plus vert, à l’autre extrémité générationnelle, le tonitruant Constant Kaïmakis rappelle qu’il est d’origine grecque, bien placé pour conclure que « Kleber Mesquida est au socialisme ce que les champignons à la grecque sont à la cuisine hellénique ». Tout ça avait vraiment la pêche.

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