Montpellier : quand déclamer un poème lors une action anti-pub conduit au tribunal
Ce jeudi 20 février, un homme était jugé pour “groupement en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de dégradations de biens”, pour avoir participé à une action symbolique de dénonciation de la publicité dans l’espace public en septembre dernier, durant laquelle il avait lu un poème. Il a été relaxé
“Groupement en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de dégradations de bien en réunion et sur la voie publique.” Un chef d’inculpation -proche de celui de l’association de malfaiteurs- qui paraît tout droit sorti des récits d’anticipations dystopiques à la Minority Report, où la police arrête les gens avant même qu’ils n’aient commis un délit. C’est justement cette infraction pour laquelle R., un trentenaire montpelliérain au casier judiciaire vierge, passait devant le tribunal de Montpellier ce jeudi 20 février.
Le 29 septembre dernier, les militants écolos d’Extinction Rebellion Montpellier organisaient une action anti-publicité sur la place de la Comédie. Des publicités grand-formats, type abri-bus, étaient collés au sol de sorte à réaliser une grande fresque, pour sensibiliser à la présence de ces messages, jugés parasites, dans l’espace public.
Dans la salle d’audience, la juge, qui fait le récit de la journée sur la base des procès-verbaux de la police, indique que R. aurait été vu en train de prendre part à cette action avec un mégaphone et de recoller des affiches par terre. La police intervient, lui demande ses papiers, qu’il n’a pas. Selon, eux, il aurait refusé de donner son nom, ce que le prévenu nie.
A la barre, le comédien et écrivain de métier raconte, avec aisance et décontraction, sans doute liées à sa profession : “Je suis arrivé à midi sur la Place de la Comédie, l’idée de l’action était de sensibiliser sur la présence de la publicité dans l’espace public. Il y avait un côté artistique à la performance, certains faisaient des origamis avec des affiches publicitaires, moi je déclamais un poème au mégaphone dans le cadre de ce happening. Il y avait du vent, et je me suis agenouillé pour ne pas que les affiches se décollent. Elles étaient collées avec de l’eau et de la farine, et non avec de la colle forte comme mentionné par les policiers. Je ne pense pas avoir participé à des violences ou des dégradations, c’était un happening artistique.”
“Pourquoi n’avoir pas raconté cela en garde à vue et avoir préféré garder le silence ?”, demande alors la procureure. Le prévenu répond : “Pour moi, j’ai été arrêté pour avoir déclamé un poème, et vu ce qui m’était reproché et le comportement que les policiers ont eu avec moi, je ne me suis pas senti à l’aise.” Il raconte avoir été insulté dans la voiture qui le conduisait au commissariat. La police lui aurait également refusé quatre fois l’accès à un médecin alors qu’il avait des médicaments à prendre. “J’ai finalement pu voir un docteur à quatre heures du matin”, précise-t-il.
Autre grief qui lui est reproché : avoir refusé de donner son ADN en garde à vue. Motif : “J’ai considéré que c’était intrusif et que ça violait mon intimité.” Pour la procureure, l’affaire présente “un vrai problème sur la question de l’intentionnalité. S’il participait effectivement à cette manifestation, Il n’y a pas d’intention de commettre des violences et des dégradations.” Sur la question de condamner ou non le refus de donner son ADN, elle laissera au tribunal le soin de trancher.
Voyant la tournure que prenaient les débats et le vide abyssal du dossier, Me Codognès, l’avocat de R., reste bref, et reprend à son compte la remarque de la procureure : “Aucun élément ne permet de notifier l’intention de commettre des violence ou des dégradations.”
S’en suit, cinq minutes plus tard, lors de l’annonce de la relaxe totale du prévenu, un dialogue assez surréaliste. La juge lui lâche en souriant : “Vous auriez pu nous lire un poème aujourd’hui quand même.” Le trentenaire rétorque : “J’y ai pensé, mais je me suis dit que ça n’aurait pas été approprié.” Réponse de la juge : “Oh si, ça nous aurait changé un peu de ce qu’on voit d’habitude !” Une scène d’une légèreté finalement poétique, dans une institution usuellement si violente et étriquée.
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